Lilith, lasse d’être toujours en-dessous, proposa à Adam de se mettre sur lui pendant qu’ils forniquaient. Celui-ci refusa. Rébellion ; Lilith prit ses cliques et ses claques et dégagea dare-dare du jardin d’Eden.
LilithS, c’est un groupe de femmes activistes basé à Bruxelles. Elles s’imposent par l’action directe dans l’espace public, pour faire passer des messages ou exprimer des idées. Elles sont révolutionnaires, anticapitalistes et anti-impérialistes.
Derniers faits revendiqués : des litres de sang répandus sur le carrelage de l’aéroport de Bierset pour dénoncer la complicité de l’Europe dans le conflit Israëlo-palestinien. Un câlin extatique offert – seins nus et drapeaux arc-en-ciel – à Christine Boutin lors de la rencontre européenne des jeunes actifs catholiques. Une danse de la pluie queer et sauvage sur Monseigneur Léonard muré dans sa prière. Une parade à la gloire mortifère de Monsanto menée par des parodies d’eurocrates, à la foire agricole d’Agribex où, par ailleurs, on a signalé l’intrusion de deux Miss humaines égarées au concours bovin de la Blonde Aquitaine.
Politique et féminisme : Tentative de définition
« Ce qui est magnifique dans ce groupe, c’est notre diversité de centres d’intérêts et de priorités politiques. On a toutes en commun de venir du même milieu socioculturel, on est issue de la même génération, et toutes, nous sommes nouvelles dans l’expérience de l’action directe, mais plus que nos ressemblances, c’est la rencontre de nos différences qui nous unit. Le chemin qu’on a fait, c’est celui qui nous mène aujourd’hui à savoir qu’on ne peut pas dissocier le féminisme de la politique. Soudain, on a mis des mots là-dessus, tandis qu’on cherchait à définir LilithS. Le fait qu’on peut, comme femmes activistes se mêler de questions strictement politiques sans avoir à se demander si on est légitimes. Et rien que ça, se donner le droit d’agir dans l’espace politique, en dehors du territoire défini comme étant celui des luttes de femmes, c’est déjà du féminisme ! »
Que dire de Femen ?
« Ce qu’on en dit à chaque fois, c’est qu’on a décidé de ne pas s’y référer car on ne veut pas entrer dans le jeu sournois qui consisterait à polémiquer. On ne veut ni casser du sucre sur leur dos ni profiter a-contrario de leur image. Donc voilà, ce qu’on peut en dire, c’est que certaines d’entre nous se sont rencontrées lors de la constitution d’une faction Femen en Belgique; et que les LilithS n’existeraient pas s’il n’y avait eu notre implication dans Femen à un moment donné. On en a gardé une formation très efficace à l’action directe, à la communication et au self-control. »
La non-mixité
« On n’a jamais dû s’en défendre ni même s’en expliquer. Le parti-pris de la non-mixité dérange en général beaucoup de gens, mais dans le cadre spécifique de l’action directe, c’est juste un état de fait. Il est possible que la non-mixité de notre groupe ne suscite aucune question parce que nous sommes explicitement radicales, et qu’il y a suffisamment de choses à dire sur cette radicalité ! C’est comme si la radicalité de nos actions évinçait toutes les autres questions. Par contre, ce qui pose régulièrement problème pour les gens, c’est quand nos actions n’ont pas de liens directs avec le féminisme. On a eu diverses réactions sur fb qui allaient dans ce sens-là : Occupez-vous plutôt des femmes ! Ne perdez pas de vue votre combat !
Des corps de femmes dans l’espace public
« La présence de nos corps et leur mise en jeu dans nos actions suscitent de la haine et du sarcasme. On essuie de la violence physique, de l’agressivité verbale et de la dérision phallocrate – genre : « Ces filles n’y connaissent rien à la politique, elles veulent juste s’exhiber et faire du buzz ! »
Lors de notre attaque contre Boutin, on était vraiment dans la gueule du loup, et soudain, on a cru entendre des femmes dans le public qui prenaient notre défense, elles criaient : « Ne les touchez pas, ne les touchez pas ! » mais finalement, on a compris qu’elles mettaient en garde les services d’ordre qui tentaient de nous évacuer : ils ne devaient pas nous toucher, parce qu’on était le diable !
Pour ces gens, c’est insupportable qu’on affirme notre position, en s’imposant, ils prennent ça pour de la violence, ce qui est évidemment injuste car qui décide de donner la parole aux uns plutôt qu’aux autres ? Quand on a décidé de mener l’action contre Léonard, c’était en réaction à une longue interview qui lui avait été accordée à la radio. Il y avait de la violence dans ces propos ; Et il y a aussi quelque chose de violent dans le fait que les médias lui donnent autant d’espace pour développer ses théories homophobes et dégueulasses ! Qui décide que certaines formes de violence ont droit à la liberté d’expression et d’autres non ?
Prise de pouvoir ?
« Nos actions sont en quelque sorte une prise de pouvoir momentanée sur un sujet particulier, mais notre volonté n’est pas de prendre le pouvoir. Ce n’est pas notre démarche. Notre but, c’est de créer des artefacts dans la norme de ce qu’est un débat démocratique. Altérer les structures. Déconstruire la notion de pouvoir. En étant un groupe, de femmes, anonymes : qu’y a-t-il de moins associé au pouvoir que nous, dans cette société ? Clairement… »
La parole et l’intime
Au début, nos réunions du lundi soir étaient pensées comme un espace d’organisation, et puis, suite à une pause dans nos actions, elles ont pris un autre sens. C’est devenu hyper important pour la santé du groupe mais aussi pour notre santé personnelle de concevoir ces réunions comme un lieu d’échange de paroles et d’expériences, intimes et collectives. Et la non-mixité offre un territoire qui ne se trouve pas ailleurs. L’idée du partage des connaissances aussi est importante, on a des centres d’intérêt ou des domaines de savoir très différents et ça nous donne une grande tolérance par rapport aux ignorances ou à la méconnaissance des autres sur certains sujets. Ce qui est loin d’être toujours le cas dans les groupes affinitaires. Plusieurs fois, on s’est proposé des mini-conférences, qui sur l’histoire du punk, qui sur la politique belge. Ca crée des passerelles, et comme on est toutes très proches de l’actualité, il y a toujours à un moment donné quelque chose qui ressort, qui nous donne envie d’en parler. On se donne des dossiers à étudier, à suivre et on guette le moment opportun pour une action.
Echanges avec Margo Fruitier autour de la parole, de la puissance et de l’intime :
Le groupe existe depuis un an comme LilithS. Je fais partie des fondatrices. Avant ça, j’ai passé 5 mois et demi chez Femen.
Je viens d’un milieu de gauche ; mon père ne se dit pas anarchiste, mais c’est tout comme. Et quant à ma mère, le moindre de ses gestes quotidiens est politique ; elle ne le dit pas avec des mots, mais elle le dit de tout son être ! Gamine, ils m’embarquaient dans des manifs. Et je me souviens très bien quand, pour la première fois de ma vie, j’ai eu honte d’un événement politique : je devais avoir huit ans. Je me suis posé longtemps la question du comment s’engager. Quel type d’engagement. Avec une sorte de culpabilité à être là sans rien faire. Même si je savais que l’art m’offrirait des opportunités de parole – je suis réalisatrice de cinéma et c’est là que se trouve mon territoire d’exploration de l’intime. Je n’avais pas envie d’un engagement qui consiste à distribuer des tracts dans une manifestation entourée par des cordons de police. Un groupe organisé radical et en même temps qui se jette à corps perdu dans la lutte, c’est dur de trouver ça, et du coup, en vérité, on a fini par le créer !
Entre nous, il y a un vrai soulagement à s’être trouvées. On fait l’expérience à travers ce groupe d’une forme de sororité. Nous sommes des sœurs d’armes. Ce qui signifie qu’on ne passe pas forcément beaucoup de temps à parler de notre intimité, on ne sort pas ensemble pour aller boire des coups – Ce qu’on a de commun, c’est d’être à vif sur toutes ces questions politiques et féministes, c’est qu’on souffre de l’actualité et du monde qui nous entoure. Et LilithS nous permet de ne pas être seules dans cette souffrance. L’état du monde, ce que j’en comprends, ce que j’en analyse, me fait grande violence. Et je me sens impuissante. Et les LilithS, c’est une manière de retrouver de la puissance, justement de faire acte dans l’espace public, de crier son désaccord.
Le corps ? Je ne sais pas ce qu’en diraient les autres, mais pour moi il y a quelque chose de désespéré, quand tu t’engages dans une action où ton corps, ta vie même parfois, sont possiblement en péril. Tu te lances à corps perdu ! L’expression dit bien ce qu’elle veut dire. Tu te mets là, tu t’exposes complètement, et ce que tu abandonnes, ce ne sont pas tes idées mais c’est ton corps comme support de ces idées. Le corps va subir les conséquences de ta pensée. Et pourtant, c’est un grand moment de puissance, c’est comme une transe.
Concernant l’organisation du groupe, on essaie qu’elle soit totalement horizontale, en mettant en avant les qualités respectives de chacune. C’est ainsi qu’il m’arrive de jouer le rôle de la porte-parole mais « Margo Fruitier la leader de Femen en Belgique » on l’a tuée ensemble, en faisant LilithS.
Et quant à la place qu’on laisse à l’intime, notre position est proche de la surprotection : c’est nos actes qui parlent, nos communiqués. On a posé une série de règles, le cadre strict de notre mode d’action et de communication, et on s’y tient. Même si, on est d’accord, c’est hyper intéressant d’interroger l’intime, ce n’est pas le lieu ici.
Margo Fruitier sera présente à Liège le 15 et 16 novembre lors du workshop « Femmes Parole et Pouvoir » organisé par l’asbl D’une Certaine-Gaieté dans la cadre du Festival Contre/Bandes
Un article de Christine Aventin