La non maternité est au cœur des réflexions d’Édith Vallée et de Brigitte Liebecq
La première est Docteur en psychologie. La seconde anime depuis 2013 l’atelier d’écriture MaternanceS pour les femmes qui « n’ont pas, pas eu, souhaité ou pu avoir d’enfant » à l’asbl Barricade.
Ces réflexions, je les ai faites miennes depuis longtemps. Nulligeste[ref]nulligeste : terme médical désignant une femme qui n’est jamais tombée enceinte.[/ref], nullipare[ref]nullipare : terme médical désignant une femme qui n’a pas accouché.[/ref], je n’ai ni porté ni accouché d’un enfant.
Ce désir qui n’en est pas vraiment un m’a valu bien des remarques au fil des ans…
Utérus improductif, quelle légitimité ai-je en tant que femme si je me refuse à être mère ?
Sans compter les « Tu changeras d’avis ! », « Ça va venir ! », « Tu n’as pas rencontré la bonne personne ! ». Ces remarques, je les connais tout aussi bien que les commentaires acerbes selon lesquels je serais tour à tour égoïste, incomplète ou vouée à une solitude pire que la mort.
C’est que je l’aime, ma solitude. J’y tiens tout comme je tiens aux rapports entre individus consentants. Entre adultes ; entre adultes et enfants. Et je reste persuadée qu’il y a des cons partout, quel que soit leur âge. Si j’apprécie certaines personnes, j’ai néanmoins beaucoup de mal à apprécier les gens, et la hantise de me retrouver avec un sinistre individu sur les bras jusqu’à ce que la mort nous sépare a certainement eu raison de mes derniers doutes : j’ai vu et lu assez de scénarios catastrophe pour être absolument convaincue que rien – je dis bien rien – ne garantit à qui que ce soit que le chérubin tant attendu ne sera pas le Diable en personne (essayez « We need to talk about Kevin », pour voir).
Malheureusement, la société actuelle ne laisse que peu de place aux individus : la consommation frénétique, plutôt que de nous libérer, n’est bien souvent qu’un signe de frustration, et elle aliène davantage qu’elle ne délivre. Quant aux discours préfabriqués dont on nous abreuve jusqu’à plus soif, de la politique aux médias, ils ne sont bien souvent que des messages visant à nous imposer ce que nous avons à faire, à dire, à penser.
Dans son livre « Pas d’Enfant pour Athéna« , Édith Vallée explore les chemins de vie que poursuivent les femmes pour se réaliser, constatant que la question n’est plus d’opter ou non pour la maternité, mais de choisir sa vie.
Au cours de sa conférence « Non Maternité : les mythes nous parlent », elle prend l’exemple des déesses grecques. Parmi les douze divinités de l’Olympe, six femmes. Sur ces six femmes, trois n’ont pas d’enfants : Athéna, déesse de la guerre, de la sagesse, de la stratégie militaire, des artistes, artisans et maîtres d’école, Artémis, déesse de la chasse, et Hestia, déesse du feu sacré et du foyer. Ces déesses qui ont choisi de ne pas avoir d’enfants se sont épanouies ailleurs, guerrières ou maternantes, rassembleuses ou indépendantes.
Brigitte Liebecq démontre la réalité de cet épanouissement à travers la longue liste de femmes célèbres n’ayant pas eu d’enfant(s) dans son analyse « Et toi, tu as des enfants ? Incarner fécondité et féminité autrement que par la maternité« . Parmi elles, citons Simone Weil, Simone de Beauvoir, Rosa Parks, Hannah Arendt ou encore Rosa Luxembourg.
Tout comme Édith Vallée, Brigitte Liebecq invite à une réflexion sur la singularité – et non pas le problème – du choix de ne pas avoir d’enfant(s), en dépassant les normes et les stéréotypes culpabilisants.
Nous avons la chance de vivre à une époque où la maternité est un choix, un droit, et non un devoir imposé par la loi, la culture ou l’absence de moyens de contraception. Or, je constate bien souvent que si l’on n’a pas de « bonnes raisons » de ne pas être mère (comme de sérieux problèmes de santé, par exemple), les gens se permettent de juger, d’insister, parfois très lourdement.
Le jugement, ce mur invisible entre celles « qui en ont » et celles « qui n’en ont pas » : radicalismes pour/contre dommages et dommageables, empêcheurs de choisir en rond.
La phrase « Je ne veux pas être mère » dans laquelle d’aucuns entendent volontiers « Je n’aime pas les enfants » entraîne bien souvent des questions auxquelles la nullipare est sommée de répondre, alors que la raison principale est peut-être aussi simple que celle qui nous pousse ou non à faire du saut à l’élastique, aimer telle ou telle œuvre d’art, ou apprécier un mets bien précis : on le « sent » ou on ne le « sent pas ».
Je ne demande à personne de suivre mon exemple. Je prétends juste à une chose qui me semble légitime, à savoir un minimum de respect, et le droit d’être vue, perçue comme une femme à part entière, une femme qui a un rôle à jouer au sein de la société, et non une demi-femme qui aurait raté sa vie.
Est-ce vraiment trop demander ?