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La rose d’Eddy

Jeudi, je vois cette affiche collée sur la vitrine d’un immeuble vide, à côté de la grande surface où je me rends pout acheter de quoi manger. Affiche est sans doute un grand mot.

18 avril 2017

Jeudi, je vois cette affiche collée sur la vitrine d’un immeuble vide, à côté de la grande surface où je me rends pout acheter de quoi manger. Affiche est sans doute un grand mot. C’est juste une feuille de papier avec une inscription en caractères gras: Eddy est décédé ce mercredi matin vers 8 heures. Son cœur était faible. Son foie a demandé trop d’effort à son cœur qui n’a pas tenu.

On a glissé la feuille dans une pochette en plastique perforé, pour la protéger. Entre cette pochette et la vitre blanchie à la chaux, une mince rose jaune.

Qui était Eddy? Je ne sais pas. Peut-être un de ces hommes que je croisais régulièrement à l’entrée du magasin, assis par terre, une canette de mauvaise bière à la main, un de ceux à qui parfois je donnais une pièce et qui me rendaient un merci sonore et sans honte. Un qui avait un cœur et un foie, et le cœur a lâché.

En Italie et dans d’autres pays latins, on a conservé cette coutume de coller les avis mortuaires dans les rues. C’est ainsi que l’on peut apprendre la disparition de la Signora Concetta Profumata, du Dottore Cesare Panciuto, arrachés à l’affection des leurs, et la nouvelle se répand, et l’on sait sans l’ombre d’un doute à quelle famille éprouvée il faudra présenter ses condoléances, et l’on se rend visite, entre voisins ou connaissances.

Ici personne ne revendique la mort d’Eddy. Sans doute était-il trop seul, trop sauvage, trop marginalisé pour que sa mort appartienne à qui que ce soit. Mais il y avait au moins quelqu’un pour qui Eddy comptait, c’est sûr, et qui voulait que ça se sache qu’on allait l’incinérer le mercredi suivant. Un ami qui veillait à sa dignité.

Cette affiche et cette rose anonymes faisaient d’Eddy un frère, de la rue, du quartier, de tous les passants dont le regard s’arrêtait un moment.

Il y avait aussi une inscription ajoutée au bic sur la feuille, des mots qui parlaient d’un triste monde et du gouvernement des riches.

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