En attendant la pilule pour hommes…

À D’une Certaine Gaieté, on aime bien l’idée que les gens puissent avoir accès à l’information dont ils et elles ont besoin pour effectuer des choix en toute connaissance de cause. Et on se rend bien compte que ce n’est pas toujours le cas, notamment quand il est question de santé, et plus précisément de contraception, alors on a demandé à Mademoiselle Catherine (qui n’a jamais caché son non désir d’enfants) de nous parler de vasectomie, parce que la contraception est autant l’affaire des hommes que des femmes.

7 juin 2019

Illustration en couverture de Jo

L’an dernier, j’ai organisé une collecte un peu particulière pour les 40 ans d’un ami : plutôt que de rassembler des fonds pour lui offrir un très beau voyage, à lui qui déteste quitter Bruxelles, j’ai compté sur la générosité de son entourage pour lui offrir enfin la vasectomie dont il parlait depuis tant d’années. Évidemment, c’était une boutade puisque, en Belgique, la vasectomie est remboursée par la sécurité sociale. Il n’empêche qu’il était absolument ravi de l’initiative, et rarement avais-je vu visage aussi radieux que le sien à la découverte de son « chèque-cadeau ». 13 mois plus tard, il franchit le pas, faisant appel à moi pour lui tenir la main en salle de réveil (j’étais très émue). Ma déception fut grande quand il me fit part qu’il était déjà sorti d’anesthésie avant même que je n’aie enfilé mes bottes de sept lieues pour lui tenir compagnie (et, accessoirement, le raccompagner chez lui, l’hôpital lui interdisant expressément de rentrer seul à son domicile). Quand j’arrive dans sa chambre, il est vaillant, d’humeur guillerette, et toujours accroché à la perfusion qui ne lui sera retirée que quelques heures plus tard. Finalement, l’opération, anesthésie générale incluse (1) La vasectomie ne nécessite qu’une anesthésie locale, mais peut être pratiquée sous anesthésie générale à la demande du patient. , aura duré moins de temps que l’attente avant et après.

Comme une migraine de burnes

La vasectomie consiste en une ligature des canaux déférents, qui permettent aux spermatozoïdes de quitter les testicules pour rejoindre la prostate. Il s’agit donc d’une contraception définitive qui, contrairement à bon nombre de moyens de contraception féminins, n’altère en rien l’activité hormonale ni la sexualité du patient. Prise en charge par la mutuelle, l’opération dure moins d’une demi-heure, et le patient peut quitter l’hôpital de jour au bout de quelques heures. Finalement, ça ne me semble pas beaucoup plus contraignant que la pose d’un dispositif intra-utérin (dit « stérilet ») ; selon le site Vasectomie Québec, « la majorité des hommes estiment que c’est ‘moins pire que d’aller chez le dentiste’ », et si j’en crois les témoignages recueillis par mes soins, la sensation de douleur et de gêne est de courte durée, sauf rares complications.

« En termes de douleurs, c’est court : 2 ou 3 jours, surtout quand tu fais certains mouvements ou subis certains contacts. La gêne est quand même un peu plus longue, mais quasiment sans franche douleur », me confie Thomas. Hugues précise qu’il « y a la douleur de la chirurgie : ouvrir et refermer, ça fait évidemment un peu mal, et on doit faire attention pendant 5 à 6 jours (notamment quand on se lave). Puis il y a une sorte de gêne qui, dans mon cas, a duré environ 3 semaines en s’atténuant au fur et à mesure. C’est comme quand on t’écrase les couilles, mais en moins fort ; un peu comme une migraine, mais dans les burnes. Ça n’empêche ni de marcher ni de s’asseoir, mais bien de courir ou de faire de la gym ». Et Tom d’ajouter que la douleur n’a rien eu de traumatisant.

Manu, lui, a carrément fait le trajet aller-retour… à bicyclette : « L’hôpital se trouve à 2km de chez moi, et comme je devais me présenter avant 7h, j’ai pris le vélo pour laisser la famille dormir encore un peu avant l’école et le travail. Sorti d’anesthésie à 11h30, j’attendais avec impatience de partir. Quand l’infirmière a dit que s’il n’y a pas de problème urinaire, on peut rentrer, je me suis habillé, ai pris mes affaires et suis reparti comme j’étais arrivé : à vélo ».
Si ça, ce n’est pas badass, j’ignore ce que c’est !

Tabou et idées reçues

Longtemps considérée chez nos voisins français comme une mutilation corporelle, et donc de facto illégale jusqu’en 2001, la vasectomie est bien plus répandue en Belgique que dans l’Hexagone : environ 10 % chez nous – dont une grande majorité en Flandre – contre un microscopique 0,8 % chez nos voisins, soit cinq fois moins que le nombre de ligatures des trompes, une opération pourtant beaucoup plus lourde. La sociologue Cécile Ventola explique cette réticence par le fait que la France reste un pays nataliste où les médecins généralistes « sont rarement formés à d’autres méthodes contraceptives que la pilule féminine ». Ceci dit, même en Belgique, on est bien loin des 20 % canadiens, britanniques ou néo-zélandais, où la vasectomie est le moyen de contraception principal pour environ un quart de tous les couples mariés. La réticence – à vrai dire purement psychologique – à franchir le pas tient davantage du fait que la vasectomie soit encore largement méconnue, pour ne pas dire taboue, que de réelles contre-indications. Parmi les freins (sans mauvais jeu de mots), citons la crainte – parfaitement légitime – d’une hospitalisation, mais aussi un nombre incalculable d’idées reçues, parmi lesquelles on trouvera en vrac une baisse de la libido (et donc, de la « virilité »), une incapacité à éjaculer, une diminution de la qualité de l’orgasme, une corrélation avec le cancer de la prostate, sans oublier la confusion parfaitement ridicule entre vasectomie et castration.
Toutes ces idées reçues, comme leur nom l’indique, sont évidemment parfaitement fausses.

Cerise sur le gâteau, la vasectomie affiche un taux d’efficacité record de 99,9 %, ce qui en fait la méthode de contraception la plus sûre, en plus d’être celle qui s’encombre du moins d’effets secondaires. La décision ne doit cependant pas être prise à la légère, car il s’agit là d’une contraception définitive

[ref] La vasectomie n’est réversible que dans à peu près la moitié des cas moyennant une intervention bien plus lourde, la vasovasostomie, nécessitant une hospitalisation de plusieurs jours. [/ref]

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La procédure, (très !) schématisée par un urologue.

Inégalité des sexes

Si vous n’êtes toujours pas convaincus, je vous invite à avoir une pensée pour toutes les femmes qui, pour leur propre confort et le vôtre, subissent une multitude d’effets secondaires liés à leur méthode de contraception au cours de leur existence. J’irais même plus loin : la prochaine fois que vous féliciterez un homme d’avoir fait le choix de la vasectomie, faites donc preuve du même enthousiasme à l’égard de toutes les femmes sous contraceptif. Mon propre parcours de contraception fut particulièrement calamiteux, et je trouve toujours un peu embarrassante la fierté triomphale avec laquelle certains hommes annoncent en grandes pompes leur vasectomie, récoltant des lauriers là où personne n’a jamais pensé à saluer le courage et la témérité des femmes qui prennent en main leur contraception (et les nombreux effets secondaires qui vont généralement avec). Il est vrai que pendant longtemps, il était normal que les femmes soient les seules à s’en soucier puisque ce sont elles qui tombent enceintes. Or, les temps changent, et les mentalités aussi. Ainsi, de plus en plus d’hommes prennent-ils leurs responsabilités : quel homme ne s’est jamais inquiété d’une grossesse non désirée ? Quel homme n’a jamais craint de se faire faire un enfant « dans le dos » ?

Paul, par exemple, n’a jamais voulu avoir d’enfants. « Ce non désir a toujours été très clair, mais ma compagne espérait me faire changer d’avis, ce qui n’est jamais arrivé. Cette relation a pris fin, et à 40 ans, je ne voulais surtout pas me faire ‘piéger’ par la première venue. J’ai donc subi cette opération pour prendre en charge moi-même ma contraception et vivre une vie sexuelle épanouissante. Cette opération, j’aurais dû la faire beaucoup plus tôt, dès le début en fait, car un homme qui ne veut pas d’enfant et qui impose cette décision à une femme en l’obligeant à prendre toute cette chimie pendant des années, je trouve ça un peu con. J’ai été un gros con : un gros con de plus dans cette société qui profite inconsciemment de la soumission inconditionnelle des femmes. Mais aucun médecin ne voulait pratiquer l’intervention sur une personne aussi jeune, car ils envisagent la possibilité d’un changement d’avis avec l’âge, et je le comprends. Je voudrais dire à tous les hommes qui ne veulent pas ou plus d’enfant : prenez votre contraception en charge vous-même ! C’est une opération ultra légère, et non ! ça ne fait pas mal aux couilles. Il est temps de libérer les femmes de cette pilule de merde qui perturbe leurs hormones. »

À une époque où l’abstinence n’est plus une obligation morale pour la majorité d’entre nous et où le droit à l’avortement n’est malheureusement pas acquis, la contraception est plus que jamais l’affaire de toutes et de tous au sein d’une relation hétérosexuelle, et la virilité – tout comme la féminité d’ailleurs – ne passe plus par la procréation. En attendant la mise sur le marché d’autres contraceptifs masculins (que l’industrie pharmaceutique nous promet depuis longtemps), le préservatif externe et la vasectomie restent les seules options fiables pour les hommes souhaitant contrôler leur fécondité [ref] Rappelons au passage que seul le préservatif (interne et externe) protège contre les infections sexuellement transmissibles. [/ref].

En fait, la vasectomie, c’est un peu la partie de « Tu préfères… » la plus évidente au monde : est-ce que tu préfères avoir des nausées, maux de tête, insomnies et sautes d’humeur récurrents pendant 35 ans [ref] (pour ne citer que quelques effets secondaires de la pilule contraceptive) [/ref], ou des couilles boursoufflées pendant 3 semaines ?

Vous trouvez franchement qu’il y a matière à hésitation ?

Notes

Notes
1 La vasectomie ne nécessite qu’une anesthésie locale, mais peut être pratiquée sous anesthésie générale à la demande du patient.

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