A la façon des cent mille milliards de poèmes de notre Raymond Queneau, l’on pourrait composer cent mille milliards d’hommages à cette vie, à ces mille vies de notre ami Michel. Ces cinq cent trente-huit mots choisissent de n’en rendre qu’un tout petit, par le petit bout de la petite lorgnette d’une discrète amitié, et s’efforceront – la partie n’est pas gagnée – d’escamoter ces larmes qu’il aimait, car la tristesse, en ces moments-là, mouille trop les pensées puis les mots, et on n’y lirait plus rien… Ils tenteront aussi – à l’heure de célébrer son départ, on n’est pas à un paradoxe près – l’exercice de style – Queneau encore… – de considérer la vie époustouflante de Michel comme certains le feraient…de la vie d’un saint[ref] Ce texte qui n’était pas destiné à l’écrit transcrit un hommage dit lors des funérailles.[/ref].
Car s’il n’était pas croyant ni n’avait dieu ou maître, il se rapprochait beaucoup des saints. Il rayonnait comme eux, il était comme eux assurément digne d’une certaine admiration, et, comme eux, il était…insupportable. Voici donc une toute brève hagiographie d’un saint, je veux plutôt dire, d’un sacré insupportable, sous la forme – une fois n’est pas coutume – d’un chapelet récité à sa mémoire, égrenant ses étonnantes…j’allais presqu’écrire…vertus. Mais n’exagérons rien.
Michel, c’était une intuition qui sentait, ressentait, pressentait, et, comme vous le savez, explorait nos vies et nos œuvres comme personne, en épinglant nos faiblesses, nos contradictions, nos lâchetés, en révélant d’un claquement de doigts la vanité de nos vérités et certitudes, mais aussi en illuminant et sublimant à merveille la banalité d’un quotidien qui nous était paru, avant qu’il y jetât un œil, médiocre et anodin.
Michel, c’était cette imagination instinctive qui foisonnait au service de tout et de rien, du grand tout et des petits riens. Une imagination radieuse qui faisait déborder le plus insignifiant des gestes, qui transformait les carpes en lapins, le lieu commun en champ de foire, les rires aussi, en larmes.
Michel, c’était, au-delà du culte du paradoxe – et vous en verrez un -, une constance parfois capricieuse, jusqu’à l’entêtement, un attachement tenace à ce qu’il pensait, entreprenait, et aimait, à ce qu’il croyait juste et vrai, cela fût-il injuste et faux. Qu’importe le prix à payer, jusqu’à tout perdre, pourvu qu’il demeurât fidèle à lui-même.
Michel, c’était aussi un opportunisme de bon aloi ; pas de qui retourne sa veste mais de qui saisit toute idée, toute émotion au bond, l’opportunisme du cœur et de la passion, seule sagesse sentimentale[ref]
En italique, une invite d’André Maurois[/ref].
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Michel, c’était aussi – nombreux en témoignent – un fabricant exceptionnel d’amitié, non pas celle d’un cœur d’artichaut mais celle qui s’enracine dans le cambouis du quotidien, dans les souvenirs communs, l’amitié qui se nourrit des portes qui claquent, des réconciliations, des va-et-vient des cœurs, et qui, dans l’intimité – j’en témoigne -, était bouleversante de générosité.
Au terme de ces années de maladie qui ne furent, étrangement et à bien des égards, pas moins exceptionnelles que ses années flamboyantes, sa mort toute paisible n’empêchera jamais que tout cela fut, et que tout cela vive encore puisque nous restons ici et lui survivons.
Pierre Pichault