Mais que fait la presse??

29.09.10 : Manif’ de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) « contre l’austérité » – 100.000 personnes selon les organisateurs, 56.000 selon RTL-TVI. Le collectif « precarious united », participant au No Border Camp (NBC), a lancé un appel aux travailleurs précaires afin qu’ils les rejoignent pour défiler avec les Syndicats. Midi : la Police fédérale lance son opération d’arrestations préventives massives contre les travailleurs précaires qu’elle soupçonne d’avoir décidé de répondre à l’appel de «precarious united ». Environ 150 personnes sont arrêtées, certaines à leur sortie du NBC, d’autres dans le métro.

15 décembre 2010

Vers 14h : Place Bara, la Police fédérale immobilise le camion de « precarious united » et tout le groupe derrière. Une banderole « Freedom of movement », jugée « non conforme à l’esprit de la manifestation» par la police, est interdite. Tractations… Le groupe peut se joindre à la queue du cortège. Mais sans camion, ni banderole.

{{ {Vers 14h30} }} : Porte de Hal, intervention de la Police fédérale et encerclement du groupe « precarious united », tension, heurts, gaz poivré, matraques téléscopiques, chaos, colsons, nez en sang, menaces aux photographes… une centaine de personnes interpellées, parquées puis encasernées 12 heures à Etterbeek.

{{ {15h30} }} : Plus aucune trace du collectif « precarious united » dans la manif – gommé par la Police fédérale.

{{ {Ensuite} }} : Communiqué de presse de la Ligue des droits de l’Homme, entre autres, qui porte des accusations graves : « {méthodes « dignes » d’un État policier} ». Même son de cloche de la part de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC), dont un des permanents explique avoir été tabassé par la police puis arrêté sans le moindre motif, sinon de lui « faire sa fête »). La FGTB, elle, parle de « {pratiques [qui] se rapprochent dangereusement de celles des pires régimes politiques} ». Question parlementaire de Zoé Genot à Annemie Turtelboom [[pour (beaucoup) plus d’infos : https://bxl.indymedia.org/articles/357.
Rappelons que la police va également opérer de nombreuses arrestations préventives le vendredi 1 octobre. Qu’une cinquantaine de personnes finiront par s’en prendre au commissariat des Marolles dans la nuit du 1 au 2 octobre (plusieurs inculpés, qui nient les faits). Enfin qu’une série de plaintes seront prochainement déposées devant la Justice et le comité P pour violences (notamment à caractère sexuel), insultes, vol… (affaire à suivre).]].

Les faits sont jugés graves par un nombre « significatif » d’acteurs. L’ensemble de la presse suivait le cortège de la CES. Pourtant, le débat politique n’a médiatiquement (toujours) pas lieu. Comment cette impossibilité se construit-elle ? Mettons de côté les sempiternelles rengaines sur les « médias collabos » ou la « censure journalistique » et profitons de l’occasion pour poser cette question à certains protagonistes de l’affaire…

{{{Une simple opération de maintien de l’ordre ?}}}

Du côté de « precarious united », constat amer : « {Heureusement qu’il y a « Le Soir » pour essayer un peu de comprendre le problème et pour le signaler. Sinon, c’est le désert. On a été confrontés à des techniques policières comparables à celles utilisées à Copenhague [[Où la police danoise était intervenue lors d’une manifestation en marge du sommet climatique en arrêtant préventivement une partie du cortège – soit environs 1 000 personnes. Sans motif précis.
[3]http://archives.lesoir.be/-on-n-8217-arrete-pas-les-gens-preventivement-_t-20101001-012W23.html]] : il s’agit d’intimider et de décourager la contestation par l’usage arbitraire de la force. À certaines personnes qui demandaient pourquoi elles étaient arrêtées, il a été répondu : « vous n’aviez qu’à pas venir manifester ». Mais tout ça ne semble pas constituer un problème digne d’intérêt pour les médias. Or, quand on y pense, avec l’austérité à nos portes, on peut parier qu’il va y avoir de la contestation et du mouvement social : la police est prête, maintenant on le sait – et les médias, pas du tout, ça aussi maintenant on le sait} ».

Ces propos auraient pu nous paraître caricaturaux si la communication de la Police fédérale n’avait pas occupé les médias de manière quasi incontrastée. De l’annonce préalable, via la DH, de la possible infiltration d’un Black Block dans le cortège jusqu’au communiqué de l’agence Belga, relayant les informations selon lesquelles « {les personnes arrêtées étaient en possession d’objets dangereux} », dans la presse, aucune explication complémentaire n’aura jamais été demandée à la police. Laquelle s’est, finalement, imposée comme l’unique interlocuteur crédible pour rendre compte de ce qui se passait – c’est-à-dire « {une simple opération de maintien de l’ordre public} ».

Voix discordante, celle de Martine Vandemeule-broucke, du « Soir », qui a décidé de signaler les arrestations dans le compte-rendu de la manif (publié dans l’édition du 30 septembre) parce qu’elle avait été « interpellée par leur nombre anormalement élevé et par leur caractère préventif ». Une démarche qui participe du questionnement : « Ce n’est que le lendemain que j’ai appris qu’il y avait eu des incidents Porte de Hal. À ce moment-là, j’étais déjà au Cinquantenaire, je ne savais pas ce qui se passait à l’arrière. J’ai demandé aux responsables syndicaux si tout s’était bien passé (je pose toujours cette question au service d’ordre lors d’une couverture de manif), ils n’étaient au courant de rien. Au moment de rédiger mon article, je parle des arrestations préventives qui m’ont choquée mais j’ignore ce qui s’est passé Porte de Hal. Je suis donc revenue sur le sujet le lendemain pour tenter de comprendre un peu mieux les événements. Même si j’avais déjà une petite idée puisque je savais que la manifestation de dimanche, à Steenokerzeel, avait mal tourné. ».

Quand on lui demande comment elle explique qu’elle ait été une des rares journalistes professionnelles à estimer qu’il y avait un problème, elle répond avec une certaine modestie : « Les gens qui ont vu ce qui se passait Porte de Hal on dû penser qu’il s’agissait de fauteurs de trouble. Et si je n’avais pas fait le rapprochement avec les arrestations dans le métro – qui m’avaient beaucoup choquée –, il est possible que cette information ne m’aurait pas plus étonnée qu’autre chose.»

Concernant le monologue policier ininterrompu, Martine Vandemeulebroucke nous confie avoir essayé de demander à un porte-parole de la Police fédérale une réaction aux affirmations de la Ligue des Droits de l’Homme. Et n’avoir obtenu aucune réponse.

Du côté de la RTBF [[Nous n’avions ni le temps, ni l’espace pour interroger l’ensemble des acteurs journalistiques. Le choix de s’attarder sur la RTBF doit être compris comme le contraire d’une volonté d’acharnement contre la télévision de service public.]], on n’a pas partagé l’étonnement de Martine Vandemeulebroucke au moment de rendre compte de la manifestation. François Mazure a réalisé le reportage dans lequel les faits de la Porte de Hal sont présents. Il s’explique : « L’angle de mon sujet, c’était la sécurité. Alors quand je sais que sur 100.000 personnes, les seules arrestations ont lieu en fin de cortège, et qu’elles ne concernent que les militants du NBC qui ne constituent pas le cœur de la manif’ (puisqu’elle est contre l’austérité, pas contre les politiques migratoires)… En tenant compte de l’avis des syndicats (qui ne sont au courant de rien) et des participants, je me dois de reconnaître que cette manifestation est un succès au niveau de la sécurité ».

François Mazure reste ferme à l’égard de toute accusation de censure : « Nous étions Porte de Hal et on a des images (on ne peut pas être plus à la source). Et on les montre : on commence notre reportage sur des arrestations musclées – et on sait l’impact que peuvent avoir les premières images d’un sujet en télé. On dit d’emblée que ces arrestations sont préventives. On ne cache rien! On ne peut pas être plus neutre. Et puis, oui, notre conclusion, c’est que proportionnellement, la manifestation s’est bien passée, de l’avis général. D’ailleurs, à part les incidents de la Porte de Hal, il n’y a eu aucun autre débordement. »

Mais les communiqués de presse, les questions parlementaires, toutes ces voix qui parlent de faits graves, de droits fondamentaux non respectés ? François Mazure explique : « Tout est une question de point de vue. Demandez-moi si les débordements de la Porte de Hal sont graves. Si ce qui s’est passé entre les manifestants – qui ont le droit à l’expression – et la police est normal. Je vous répondrais que ce qui s’est passé est grave et que ce n’est pas normal. Mais ce n’est pas mon sujet! Moi, on m’a demandé de rendre compte de la sécurité autour de la manifestation. Après, s’il faut faire un autre sujet qui revient sur les arrestations préventives, ce n’est pas à moi d’en juger : il y a un Chef de rédaction, un Responsable de l’information – c’est à ce niveau-là qu’on décide ». Tout en précisant que certaines des informations détenues par la RTBF au moment de mettre le JT en boîte ont aidé à la décision : « On a demandé à la Police pourquoi ils avaient procédé à ces arrestations, on nous a répondu que certaines personnes étaient munies d’armes qui pouvaient représenter un danger dans des manifestations de ce type ».

Selon Jean-Paul Brilmaker, avocat, « Si des gens sont armés, ils doivent faire l’objet d’une arrestation judiciaire et non administrative. Il appartenait au journaliste de vérifier cet élément juridique élémentaire plutôt que de se contenter de la déclaration policière auto-justificative »

Ne nous reste alors que des questions. Face à des stratégies de communication telles que celles de la Police fédérale, comment assurer, effectivement, la pluralité des voix nécessaire à la neutralité? Comment faire place à l’événement qui s’impose à l’information quotidienne ? Le rôle de la presse est-il de susciter le débat ou d’en rendre compte ? Comment décider de donner ou non la parole à un groupe minoritaire ?

Bref, à suivre…

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