Dans un entretien au Soir peu avant sa défaite électorale, l’ancien bourgmestre socialiste d’Anvers adjurait les Francophones, en particulier les médias francophones, de ne plus critiquer Bart De Wever. Le syndrome de Calimero veut en effet que plus les francophones le crossent, plus cela le renforce.
« C’est la première victoire flamande depuis la Deuxième Guerre mondiale », dit le leader de la NV-A au lendemain de son succès électoral. Il voulait sans doute dire : depuis celle du VNV.[ref]La Ligue nationale flamande (Vlaams Nationaal Verbond ou VNV) était un parti fasciste flamand fondé en 1933 par Staf De Clercq, qui obtint aux élections du 24 mai 1936 16 sièges à la Chambre, et 17 % des voix en Flandre aux élections de 1939. Ce parti se lança, pendant la guerre, dans la collaboration active avec l’occupant nazi.[/ref] On ne le dira donc pas à sa place, ça ne sert à rien, Patrick Janssens a raison. En Flandre, la référence à la collaboration n’agit pas aussi massivement comme épouvantail qu’en Wallonie ou à Bruxelles. C’est comme ça. Résultat, sans doute, peut-être, de plusieurs décennies d’équivoques au sein du mouvement flamand, toutes « tendances » politiques confondues. Serrer les rangs francophones autour d’une figure repoussoir dans « l’autre camp » est parfaitement stérile.
Asinus asinum fricat
D’abord parce qu’il se trouve toujours des politologues appointés pour venir doctement vous reprendre : la N-VA n’est pas un parti extrémiste, ce sont de vrais démocrates, les vilains pas beaux, c’est le Vlaams Belang, faut pas tout confondre. Si vous rétorquez à ces experts en byzantinologie que vous ne voyez pas vraiment où est la différence, vous serez taxés d’« antipolitisme » (crime suprême, ce sera vous désormais l’ennemi de la « démocratie ») et le débat sera clos. Les experts coupeurs de cheveux en quatre peineront par contre à expliquer la schizophrénie de ce processus « démocratique » : un électorat populaire vote pour un parti notoirement anti-social, qui entend « dégraisser » la sécurité sociale ; un électoral flamand, dont on sait que la grande majorité souhaite le maintien de l’union nationale, vote pour un parti ouvertement séparatiste ; et ainsi de suite. Les politologues prennent le vote beaucoup plus au sérieux que les électeurs. Il n’y a aucune raison que la chose « politique » en aille différemment du reste de la société spectaculaire. On vote pour la N-VA comme on regarde les séries américaines, sans zapper, et les pubs qui vont avec, pour pouvoir dire à ses collègues le lendemain, derrière une stella : c’était nul, hein ?
Ensuite, parce que la percée de la N-VA a pour principal bénéfice de clarifier l’échiquier politique et d’en faire ressortir le principal clivage, qui n’est pas communautaire ou linguistique, mais social – l’accusation de racisme à l’encontre de la N-VA est stérile, non qu’elle ne le serait pas, mais parce que son racisme social subsume l’autre. On le sait bien désormais, c’est écrit partout, la N-VA, n’est pas un parti, mais un fan club patronal. [ref]On emprunte ce mot à Tom Lannoye, un de ces nombreux artistes flamands à s’être levé contre le parti nationaliste.[/ref] C’est la cinquième colonne du Voka, le syndicat des patrons flamands, restés coincés dans un reaganisme ringard, et qui voient des « marxistes » cachés dans les soupiraux. « Il faut considérer la N-VA comme un pur produit du « fédéralisme belge », qui a fait émerger une bourgeoisie flamande nationaliste. Aujourd’hui, la N-VA est devenu l’instrument politique privilégié de cette dernière. Cette bourgeoisie nationaliste flamande est contre la Belgique parce qu’elle veut approfondir et accélérer les mesures néolibérales et pense qu’elle y arrivera plus facilement en se débarrassant du « poids » de la Belgique francophone. Il s’agit d’une bourgeoisie nationaliste, mais elle ne parle pas des droits culturels, etc. : elle ne parle que de fric. » [ref]Interview de David Dessers, un des rares conseillers communaux de la gauche radicale, élu à Louvain sur la liste S21 (pour Socialisme 21), sur « Avanti », 24 octobre 2012 .[/ref]
Ces objurgations n’ont jusqu’à présent eu aucun effet. Au contraire, lorsqu’on parle d’union sacrée du côté francophone pour sauver ce qu’il reste du système social belge, les masques tombent. Pour Charles Michel, Didier Reynders, Gérard Deprez, Guy Lutgen et tous les vaillants défenseurs des rentiers et des « entrepreneurs » (ceux qui gagnent, bien entendu), particulièrement remontés contre les chômeurs, les assistés, etc., il faut couper l’herbe sous le pied de De Wever… en appliquant ses recettes. Si l’avenir de la Belgique dépend de cette bande de marionnettes, prête à brader la sécu pour un morceau de fromage actionnarial, on ne donne pas cher de sa peau. Pauvre B…
Car, et enfin, l’extraordinaire médiocrité du personnel politique (et médiatique) actuel explique pour une part le phénomène Bart. Il n’y a guère plus d’homme politique d’envergure en Flandre (en Wallonie non plus d’ailleurs) pour pouvoir opposer un discours fort, sinon construit, aux diatribes pourtant intellectuellement très moyennes du ténor de la N-VA. Que celui-ci ait cette réputation d’intelligence (on ne parle pas d’habileté politique, qui est tout autre chose), que sa parole passe pour autorisée, en dit long sur le niveau. Que ses déclarations sur la « wallonisation de la Flandre », la responsabilité des Wallons (socialistes) dans la fermeture de Ford-Genk, pour prendre seulement la plus récente de ses sornettes, provoquent, non un énorme éclat de rire, mais des commentaires politiques qui se veulent sérieux, est très alarmant.
« En politique, l’absurdité n’est pas un obstacle » (Napoléon)
Dès lors, il n’y a plus de raison de se gêner. A Alost, la nouvelle majorité emmenée par la N-VA veut créer un nouvel échevinat. Une trouvaille. Un « échevinat des affaires flamandes », pour préserver le caractère flamand d’Alost. Une ville qui, rappelons-le, est à trente kilomètres de Bruxelles, bien au-delà de la soi-disant « tâche d’huile » francophone qui salit la périphérie bruxelloise. Jusqu’à son abandon dans les années soixante, le mouvement flamand prétendait que l’intégrité culturelle flamande était menacée par… le recensement linguistique. Aujourd’hui, il s’est trouvé un nouveau moulin à l’assaut duquel il s’agit de se lancer : le « phénomène du chemin de fer ». Les trains sont les chevaux de Troie de la francisation de la terre flamande.
Cet ennemi ferroviaire va être judicieusement combattu, non en bloquant des trains – ça, c’est vulgaire, des méthodes dignes de cheminots wallons gréviculteurs –, mais en pavoisant fièrement la cité aux couleurs de la Flandre et en apposant un lion sur les plaques de rues… Que faut-il penser d’une telle initiative, qui semble à ce point absurde, sans aucun intérêt, quoique plutôt coûteuse, pour les Alostois surtout ? De la pure communication politicienne ? Il y a bien quelques Francophones, pire : quelques « allochtones » (comprenez : des immigrés ou descendants d’immigrés d’origine maghrébine pour lesquels le français est la langue véhiculaire) qui se sont installés à Alost, à la recherche d’un immobilier un peu plus abordable qu’à Bruxelles, mais prétendre qu’ils menacent le caractère flamand de la ville relève encore de ces galéjades dont le parti nationaliste nous abreuve.
L’appellation « échevinat (ou mieux : commissariat) aux affaires francophones » aurait sans doute été plus juste. Stop ! Ça suffit ! La N-VA n’est pas un parti raciste. C’est pourquoi la section locale entend confier ce nouvel échevinat à un transfuge du Vlaams Belang, Karim Van Overmeire, un des auteurs du plan en 70 points contre l’immigration porté par son ancien parti. Une référence. Le SP-a trouve l’idée fâcheuse et renâcle un peu. Le CD&V moins, il est vrai que les bourgmestres « chrétiens-démocrates » du Brabant flamand se sont particulièrement illustrés dans les mesures anti-francophones. Dans la législature qui vient, il faut s’attendre à d’autres mesures similaires, comme la fermeture de plaine de jeux pour les enfants francophones ou les intimidations aux commerçants du « Rand » qui vendent leur camelote en français. Ce « nationalisme banal » (Michael Billig) semble hélas avoir de beaux jours devant lui. Vexatoires ou franchement ignobles, elles feront jeter des cris d’orfraie d’indignation aux chroniqueurs des médias francophones, qui en appelleront à la Démocratie en page une, verseront des larmes de crocodiles sur les prochains licenciés d’une usine qui délocalise en page trois, et trouvent tout à fait normal la traque des chômeurs en page huit.