Les dernières élections communales ont été l’occasion pour SMartbe de relancer le débat sur la politique culturelle au sein des villes en Belgique. L’Association Professionnelle des Métiers de la Création a ainsi organisé des rencontres entre milieu artistique et milieu politique dans plusieurs de ses antennes : Anvers, Saint-Gilles, Liège, Namur, Charleroi, Mons et Tournai. Le but : « mettre en avant le rôle des pouvoirs communaux et provinciaux dans le développement culturel mais aussi souligner l’importance de la culture dans le développement urbain ».
Cette opération nommée « culture commune » avait pour slogan « Je vote culture ». Carmelo Virone est le coordinateur pour Wallonie-Bruxelles : « la première étape de cette opération était de fédérer les professionnels et d’analyser en quoi les artistes constituent un groupe avec toutes ses spécificités. Puis exposer les revendications et montrer en quoi le secteur créatif est un pôle crucial dans le développement d’une ville. »
Et pour orienter les débats, un mémorandum, préalablement rédigé par Alain de Wasseige, détermine les six objectifs principaux [ref]ce document est consultable en ligne : http://issuu.com/laosmartbe/docs/memorandum-3-fr-web?mode=window&backgroundColor=%23222222[/ref]
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Intégrer la culture dans un projet global de Commune/Province
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Intégrer la culture dans les politiques d’aménagement du territoire
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Défendre les métiers de la création
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Élaborer une politique globale en matière de relations aux publics
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Mettre en oeuvre une politique d’évaluation
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Défendre un budget
A Liège, c’est à la librairie Livres aux trésors, que les six candidats des partis présentant une liste complète aux communales ont été invités à venir débattre. Présents ce soir-là : Louis Maraite (MR), Michael Lambert (Ecolo), Jean-Pierre Hupkens (PS), Cindy Pahaut (VéGa), Michel Firket (CdH), Antonio Gomez Garcia (PTB+). Le 2 octobre dernier ils se sont vus poser, entre autres, cette question : « Quelle(s) culture(s) à Liège, quelle politique culturelle à Liège ? »
Comme pour chaque débat pendant une campagne électorale, les six candidats ont chacun leur tour récité leur programme sans vraiment tenir compte des questions posées. Qui oserait d’ailleurs dire que la culture n’est pas un enjeu majeur dans le développement d’une ville ? Ce n’est donc pas sur ce point que le débat a eu lieu. Les questions se sont posées en terme de moyens et de soutiens, financiers certes, mais aussi politiques. Sur quelles forces vives la Ville peut-elle prendre appui ? Quel projet de ville peut-on proposer ? Avec qui collaborer lorsqu’on parle de politique culturelle au niveau communal ?
Jean-Pierre Hupkens, alors échevin de la culture (on ne connaît toujours pas la nouvelle répartition des échevinats pour Liège) : « le politique a un rôle d’assortisseur, d’interlocuteur, et un rôle structurant à jouer. » Et c’est bien ce que demandent les artistes : que les politiques jouent leur « rôle structurant ». Le «comment» pose néanmoins problème. Car il semble bien que le monde du milieu créatif ou culturel (difficile de parler de l’un sans l’autre) reste ignoré, méconnu et surtout stéréotypé, ce qui empêche les débats de ce type de se concrétiser.
Une culture (et des politiques) de « bric et de broc«
Pour Louis Maraite du MR, la culture, à Liège, elle est faite « de bric et de broc. De brique, la brique et de broc, le pognon. » Selon lui, il est évident que « le redéploiement de Liège passera par le culturel » avec une équation simple : patrimoine = musée = culture = tourisme. L’objectif, dans le cadre d’une politique culturelle communale, est bien ici de s’en servir comme promotion pour la ville afin d’attirer des touristes – sous-catégorie de cette business target visée par les métropoles : les consommateurs.
Ne devrait-elle pas aussi servir, d’abord, les habitants de ladite ville ? Pour Antonio Gomez Garcia du PTB+, la réponse est oui : « il ne faut pas voir la culture comme instrument économique et ne pas mettre les villes en concurrence. Il faut donner les moyens aux petites structures, partir des quartiers. » Et VéGa ? Ils pensent exactement la même chose.
Plusieurs propositions ont été formulées : création d’une commission indépendante (PTB+), mise en place d’un répertoire d’outils pour les artistes (VéGa), ouverture d’un lieu de création mutualisant les ressources et les moyens (PTB+, VéGa, Ecolo), relancer les grandes expositions liégeoises et créer la FLAC – Fonds Liégeois pour l’Aide à la Création – (MR). Cette dernière idée, proposée par Louis Maraite permettrait, selon lui, de récolter de l’argent qui serait réparti par le pouvoir politique entre divers projets. « La FLAC ça fait plouf ! » répond Ecolo. « Comment évaluer ? Comment choisir à qui on attribue cet argent ? Il faut travailler avec l’existant, avec les asbl, avec les artistes. Structurellement il faut un service de la ville identifiable et dépasser les enjeux politiques. Nous avons besoin d’une nouvelle méthodologie. Les cadastres ont déjà été faits, les assises, pareil. Entendre et ne pas agir crée de la frustration. »
À Liège, les idées ne manquent pas et vont un peu dans tous les sens. Lorsqu’une personne du public pose la question de l’utilité d’un Centre Culturel Régional, les réponses restent vagues :
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« Oui, mais comment ? » (Ecolo)
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« Le CCR doit être une structure qui chapeaute et qui décentralise, ne doit pas être une structure qui arbitre. Il faut sortir de la logique événementielle et marchande. » (VéGa)
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« Aujourd’hui, nous sommes coincés, parce que les territoires ne sont pas pensés de manière cohérente, entre la Province, la Ville et la Communauté Française. » (PS)
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« Le structures sont des gadgets. » (MR)
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« Le CCR est un projet qui plane au-dessus de nous et qui ne descend jamais. » (CdH)
Jusqu’à quel point les pouvoirs politiques doivent-ils s’engager ? Quels moyens sont réellement disponibles ? Les politiques déclarent sans problème vouloir supporter la culture. Les discours sont faciles, la mise en oeuvre l’est beaucoup moins. L’ancienne législature avait pourtant promis de belles choses à Liège. Parmi les projets, une maison de la création, encore au stade de l’ébauche.
Jean-Pierre Hupkens se targue pourtant, durant la rencontre, d’avoir augmenté de 40% le budget de la culture, avant de déclarer, quelques interventions plus loin : « Liège est une ville convalescente, on ne doit pas mettre un toit sur chaque initiative ».
La « culture urbaine » que Michel Firket (CdH – échevin de l’urbanisme sortant) souhaite revaloriser passera par l’événementiel, un mot fourre-tout pour dire qu’un projet culturel est intéressant s’il ramène beaucoup de monde, de sponsors, et donc de l’argent. Entendons, par exemple, les Fêtes de Wallonie… « Il faut optimaliser les outils culturels comme l’Opéra, le Théâtre de la place, la Sauvenière ». Des lieux déjà identifiés et déjà viables, certes, mais pas suffisant étant donné l’importance de la production créative et artistique à Liège. Michel Firket : « la création culturelle ne doit pas toujours être dépendante des pouvoirs publics, sous forme d’assistanat. Les artistes et opérateurs culturels doivent aussi se trouver des publics et des ressources autres. » Certains politiques ont l’art de se dédouaner, en renvoyant les artistes vers le secteur privé.
Deux visions ont émergé durant ce débat, sans être clairement formulées par l’un ou l’autre parti : ceux qui pensent que c’est au politique de « guider » la culture, de décider ce qui fait du sens pour la ville et son « rayonnement » ; et ceux qui pensent, au contraire, que ce sont aux artistes et aux opérateurs culturels de proposer, d’innover, de créer et aux politiques de les suivre et de les soutenir (quitte à prendre des risques).
Un mois après le débat, et deux semaines après les élections communales, la question de la politique culturelle reste en suspend. Carmelo Virone, revenant sur l’ensemble du processus, juge le bilan « très positif ». « On a réussi à rassembler 600 personnes au total, avec une vingtaine d’artistes engagés par ville, pas forcément membres de Smart. Avec les vidéos réalisées à Charleroi, par exemple, on a des traces des engagements politiques, ce qui permet d’éventuellement revenir sur ces promesses plus tard. »
On est effectivement en droit de se demander où nous mèneront toutes ces bonnes paroles ? Le pari de SMartbe d’interpeller les politiques sur l’importance de la culture pour le développement d’une ville semble réussi. Le problème se situe au niveau de la compréhension du terrain et des besoins. Les revendications des artistes semblent à chaque fois rentrer par une oreille et ressortir par l’autre.
culturecommune.be
En plus des rencontres, l’opération « culture commune » s’est matérialisée à travers un site internet : http://culturecommune.be/ qui devait servir de plate-forme communautaire et dresser le profil culturel de chaque ville :
« Vous êtes candidat ?… rendez-vous sur la page des formulaires « candidats ». Vous pourrez y compléter votre fiche personnelle, votre liste, et surtout, prendre connaissance des six objectifs et vous engager à les faire sinon aboutir, au moins avancer, en tout ou en partie, dans votre commune.
Être candidat, c’est évidemment être citoyen actif dans sa commune. Rien ne vous empêche de participer également à notre campagne « Je vote culture ! » en tant que tel : rendez-vous sur la page des formulaires « citoyens ».
Vous êtes citoyen actif dans votre commune, dans l’associatif, en tant qu’artiste, ou tout simplement attentif aux enjeux de la politique culturelle locale ? Rejoignez-nous : pour dresser le portrait culturel de votre commune, interpeller vos élus et vos candidats, pour informer, vous informer, débattre et agir. Rendez-vous sur la page des formulaires « citoyens ». »
Malheureusement, ce dispositif a été un échec, dû, entre autres, au fait que la liste définitive de tous les candidats n’était prête que quinze jours avant les élections. Le site ne semble pas avoir réussi à mobiliser et paraît maintenant à l’abandon… Quant aux débats et rencontres organisés durant la période de campagne électorale, s’ils ne s’inscrivent pas dans un processus plus long, ils n’auront été qu’un énième appel au secours lancé aux politiques.
« Ce débat n’était pas de la communication, tient à préciser Carmelo Virone, c’était en fait la face apparente de toute l’opération. Des artistes se sont réunis pour les préparer, avec comme base le mémorandum rédigé par SmartBe. Le but est d’arriver à poser les questions en terme politique, à des politiques. Après autant d’énergie mise en commun, il faut réorganiser des rencontres avec les artistes qui sont, eux, désireux de poursuivre. Il faut transformer la plainte en revendication politique. Mais en même temps il est nécessaire de ne pas aller trop vite. Nous avons besoin d’un projet très structuré pour tenir sur le long terme. »
En organisant la campagne « je vote culture », SMartbe a tenté de relancer le débat sur la signification d’une politique culturelle au niveau communal. Malheureusement, du côté des artistes et des milieux créatifs, une force politique capable d’émettre des propositions manque encore à l’appel. Et l’enjeu de ces prochaines années pourrait bien être sa constitution…
Pour aller plus loin :