« Nous sommes les générations arrogantes qui sont persuadées qu’un bonheur durable leur a été promis à la naissance – promis ? mais par qui donc ? » Amin Maalouf.
Moi, Marta Luceno Moreno, journaliste et doctorante en information et communication à l’ULg, je décide de prendre la parole ce soir, en mon nom, afin d’exprimer ma colère envers ce qu’il se passe dans mon pays, l’Espagne.
Nous nous sommes convaincus que nous aurions une belle maison, un bon travail dans lequel nous épanouir, du chômage si le travail venait à manquer, la liberté d’expression pour dire ce que nous voulons dire, de manifester si les choses n’allaient pas comme nous le souhaitions… Nous sommes persuadés que nous avions ces droits, que personne ne pouvait nous les arracher… mais nous avons oublié qu’il faut continuer à lutter, que rien n’est vraiment acquis tant que le pouvoir ne se trouve pas vraiment aux mains du peuple. La crise a donné l’opportunité à l’État de réduire nos droits, de nous répéter qu’on a vécu au-dessus de nos possibilités et nous, nous les avons crus. Quand je dis « nous » je parle des Espagnols, mon peuple, mais demain ce « nous » pourrait être belge aussi.
Depuis plusieurs dizaines de mois, nous vivons une crise » sans précédent « -nous dit-on-, une crise qui ferme des petites entreprises mais qui donne des milliers aux banques, une crise qui appauvrit le pays mais enrichit encore plus les riches, une crise qui transforme les être humains en esclaves de leurs hypothèques… Mais surtout nous vivons une crise qui sert d’excuse pour nous dérober nos droits fondamentaux.
Toute personne a droit au logement, pourtant depuis le début de la crise presque 400.000 personnes ont été expulsées de leur maison en Espagne. Ayant perdu leur boulot, leurs allocations de chômage puis leur maison, ils se retrouvent à vivre de la pension de leurs parents ou encore pire, à vivre dans la rue. Ces derniers mois, les choses se sont visiblement aggravées, le taux de chômage ne cesse d’augmenter et le nombre de personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté a dépassé des chiffres historiques. Nous sommes maintenant dans ce moment critique où beaucoup d’Espagnols ne peuvent plus supporter la pression. Nous commençons à compter les victimes mortelles de la crise. Sans travail, sans chômage, sans aide de l’État, deux personnes ont craqué. Elles se sont suicidées au moment même où la police est venue les expulser de leur maison. Ce sont les deux premières victimes mortelles de cette crise.
Seulement maintenant, après deux morts, le gouvernement espagnol a entamé une procédure afin d’imposer aux banques un délai supplémentaire pour ces familles qui ont du mal à payer leurs hypothèques. Alors que cette proposition était déjà passée plusieurs fois au Parlement, aucun parti politique n’avait accepté de remédier à ce problème. À l’époque, et encore aujourd’hui, le pouvoir en place avait été beaucoup plus bienveillant envers les banques – ceux-là même qui expulsent les gens- pour leurs donner de l’argent afin de remplir les trous financiers. Tant qu’il n’y a pas de morts, le gouvernement continue donc à faciliter la vie aux banques qui ont provoqué la crise et à pourrir l’existence de ceux qui n’y sont pour rien mais qui en souffrent plus largement.
Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifique, par contre le gouvernement espagnol étudie la possibilité de « moduler » le droit à la manifestation. En attendant, les manifestations contre la « réduction d’acquis sociaux » sont réprimées par l’État par des moyens dignes d’une guerre de basse intensité. Mais comme les agressions contre les manifestants donnent une mauvaise image du pays, notre gouvernement a trouvé la parade : interdire l’installation de caméras de presse lors des dernières manifestations à Madrid ; la télévision publique ne relaie donc les manifestations que s’il y a des accrochages avec la police. Le discours typique des médias reste alors toujours le même : ce ne sont que des militants d’extrême droit visiblement agressifs, ce ne sont que des punks anti-système, etc. Bref, ils ne sont pas un peuple qui se révolte mais des punks qui veulent tout casser. Heureusement, les gens commencent à s’en douter, commencent à s’informer autrement et une grande majorité s’est rendue compte que « ce n’est pas une crise, c’est un vol ».
Toute personne a droit à l’éducation et au service sanitaire, sauf que des milliers d’Espagnols se retrouvent avec leurs enfants confinés dans des cours de plus de 30 élèves là où il n’y en avait que 10. Des milliers de jeunes étudiants ont arrêté leurs études parce qu’ils ne peuvent plus payer les droits d’inscription à l’université. Les choses sont aussi de plus en plus graves du côté de la santé publique espagnole car le gouvernement a fortement réduit le nombre de travailleurs dans les hôpitaux à tel point que certains ont complètement fermé certains services. Ils ont aussi réduit au minimum les salles d’opération ce qui prolonge l’attente pour les personnes malades, qui parfois meurent avant d’avoir leur rendez-vous. Des décès qui s’ajoutent à la liste des « morts à cause de la crise », une liste qui ne cesse d’augmenter ! Il ne faut pas chercher très loin pour trouver des exemples, des milliers de personnes attendent des interventions chirurgicales cruciales pendant des mois, voire des années.
Tout personne a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. Deux millions de familles espagnoles vivent sans allocation de chômage. Les chiffres sont assez parlants. À la différence de la Belgique, chez nous il n’existe pas le CPAS, seulement une aide de 400 euros pendant un an après avoir fini la période assez réduite de chômage. Lorsque l’aide se termine, les gens se retrouvent à la rue, l’État retire la garde de leurs enfants, ils n’ont plus droit au service sanitaire, bref ils n’ont plus le droit de vivre dignement. Plus de 30.000 personnes vivent ainsi en Espagne.
Ça c’est l’Espagne d’aujourd’hui, le pays où l’on sauve les banques et on laisse mourir les personnes, le pays où en plus de perdre ta maison tu dois continuer à payer ton hypothèque, le pays où les politiciens nous promettent de changer ces lois absurdes quand ils sont dans l’opposition et quand ils sont au pouvoir ne font absolument rien pour changer tout ça, et j’en passe. Aujourd’hui je parle de l’Espagne, mais demain ça pourrait être le cas de la Belgique. Le discours de l’austérité est bel et bien déjà là en Belgique – l’augmentation de la TVA, la réduction des allocations de chômage, etc – donc je me demande si nous -les Belges- nous allons attendre qu’une «liste de morts à cause de la crise » soit créée en Belgique ou si nous allons nous révolter pour en finir avec ce mensonge qu’ils appellent « crise ». Revenant à la phrase de l’écrivain Amin Maalouf, on ne nous a rien promis, nous devons lutter pour avoir nos droits. Rendez-vous demain pour une véritable révolution.