« A mook? what’s a mook? »

22 janvier 2013

Qui n’a jamais écouté un débat ou lu un texte qui parle de ces défis insurmontables qui se dressent sur le chemin de l’avenir de la presse papier ? L’argument qui s’impose aujourd’hui est celui d’une « mort » difficilement évitable. Et pourtant, en kiosque ou en librairie, il n’y a jamais eu autant de publications différentes : dans la société sur-informée où nous vivons, nos choix de lecteur se noient dans une immensité sans précédent. Un paradoxe au sommet duquel trône, pour ce qui est du monde francophone, l’exceptionnel « phénomène XXI ».

En 2008, Patrick de Saint-Exupéry, reporter pour Le Figaro, et Laurent Beccaria, directeur des éditions Les Arènes, lancent le premier numéro d’une revue appelée XXI. XXI parce que nous sommes au XXIe siècle. Cette publication ne sera pas distribuée en kiosque mais uniquement en librairie, tous les trois mois. Et elle coûtera 15 euros (15,5 euros aujourd’hui). Sans aucune publicité et en redonnant ses lettres de noblesse au genre immuable du journalisme : le grand reportage.

Cinq ans après, les observateurs de la presse en France s’accordent à dire que l’expérience est devenue un succès. Certainement le succès français de la presse écrite papier.

La revue XXI offre à ses lecteurs un univers qui tourne autour de la narration, à travers les textes et les images. Les fondateurs ont eu la volonté de créer un objet unique avec un partage équitable entre 50% d’illustrations (ou de photos) et 50% de textes. Son format, son ton, son écriture claire, pédagogique et descriptive, sa maquette, toutes les étapes de fabrication et d’organisation sont propres à XXI.

Dans les études sur la presse, la revue occupe alors une place particulière. Dans sa forme, XXI est un livre, mais dans le fond, XXI fait du journalisme. Il est alors difficile de trouver une littérature scientifique qui le prenne en compte. Ce nouveau format d’information, qui n’a au fond rien de nouveau, remet ainsi en question le postulat selon lequel le livre, le papier, le journal, seraient amenés à disparaître. XXI remet également en perspective la notion d’information : les quotidiens n’ont pas le monopole de l’information et l’information n’a pas de date de péremption.

Cet ovni, qui appartient désormais au paysage médiatique français, a tellement surpris, que les professionnels ont ressenti le besoin de le classer dans une catégorie à part : celle du « mook ». Ce nouveau terme, qui est la contraction en anglais de « magazine » et de « book », caractérise une publication entre le magazine et le livre.

Les observateurs des médias ont tenté d’établir l’histoire de la création de ce nouveau type de périodique. D’après Augustin Scalbert, journaliste à Rue89.fr, l’expression viendrait du Japon. Mais c’est la maison d’édition « Autrement » qui semble avoir introduit le terme en France, en créant la collection « Le Mook », un « livre-magazine de ceux qui désirent le monde autrement », dont le numéro 1 a été publié en janvier 2008. La revue qui se rapproche le plus du « mook » reste néanmoins Granta, fondée en 1889 à Cambridge.

Cette nouvelle forme de journalisme intrigue. Caroline Stevan, journaliste pour le quotidien belge Le Soir, a publié un article en octobre 2011 intitulé « Les « Mooks », des revues papier post-internet ». Pour elle, le « mook de référence » n’est autre que XXI et se définit comme un « magazine de niche ». Caroline Stevan cite Jean-Marie Charon, sociologue français des médias : « Faire du long à une époque où l’on a l’obsession du court et où l’on dit le reportage moribond était révolutionnaire et hasardeux. XXI a réussi et les autres s’engagent dans cette voie en l’espérant prometteuse. Cela dit, nous sommes à un niveau de diffusion modeste. 53.000 exemplaires est un bon chiffre pour un livre mais nous place dans la catégorie de niche pour un magazine, bien loin du million de Femme actuelle ou des 300.000 de Elle. Le public pour ce genre d’objet est restreint. »

Le « mook » se définit à partir d’objets déjà existants. L’expression est apparue a posteriori, du fait de la nécessité de nommer ce nouveau concept. Une étudiante en journalisme à l’IUT de Tours, a tenté, sur le blog de son école, de dégager les caractéristiques de cet « objet journalistique » : « Lancés en réaction à l’évolution de la presse écrite traditionnelle, qui tourne le dos à l’investigation, au format, long, à la réflexion sur l’actualité, ils privilégient l’enquête au long cours, l’investigation approfondie, l’esthétisme de la maquette. »

Mais, si effectivement XXI semble correspondre à cette définition, pour Patrick de Saint-Exupéry, créateur et rédacteur en chef, et Quintin Leeds, directeur artistique de la revue, ce mot « mook », est un concept qui ne leur convient pas.

« Il n’y a qu’un mot qu’on aime pas, c’est mook. Parce que ça sent le marketing. Ça sent le truc qui n’est pas naturel. Après, si les gens préfèrent l’appeler magazine, ou s’ils préfèrent l’appeler livre, ou revue, ça appartient aux gens. Nous on appelle XXI : XXI. Ça simplifie tout ! Au début tout le monde disait que c’était de la folie furieuse, que ce n’était pas tenable, pas envisageable. Mises à part quelques personnes qui nous ont suivis. Je parle des gens qu’on a rassemblés au début. Mais globalement l’approche, le côté rationalité économique, c’était le scepticisme. Il se trouve que ce pronostic-là a été détrompé. Que le succès était là. Que ce succès – on entre dans la 5e année – ne s’est pas démenti, puisque le dernier numéro a été tiré à 64 000, ce qui est beaucoup, avec très peu d’invendus ; et il se trouve aussi que, depuis l’écriture de cette histoire, il y a eu l’apparition de ce mot « mook », qui n’existait pas quand on a imaginé XXI. Et je vous le disais, ce mot « mook » amène directement dans un univers marketing, dans l’univers du concept. Et c’est vrai qu’à partir du moment où une idée, un concept a été posé, naturellement, on va se dire qu’il suffit de décliner le concept, pour rentrer dans ce nouvel espace de jeu, qui semble plutôt attirant. Puisqu’il y a eu un succès. Donc on va reprendre un certain nombre de basiques. Le prix : 15 euros. Le rythme : trimestriel. L’espace. L’illustration. Et puis on va les arranger d’une autre manière, et on va se dire « il suffit de », et de proposer, et ça va le faire. Mais ce n’est pas forcément aussi simple que cela. Et c’est pour ça que je tilt sur ce mot « mook ». Parce que vous l’avez bien senti, mook, marketing, concept… alors après parfois il y a des gens qui sont très originaux : on fait pas 15 euros trimestriel, on fait 14,90. C’est très original ! » (Patrick de Saint-Exupéry)

« L’expression mook ? Oui, et alors ? Mook je l’ai entendu la première fois quand XXI sortait. C’était Autrement qui avait lancé ça. Et eux l’avaient appelé « le mook ». Mais je pense que c’est un faux truc. On lance une publication sur un thème donné et puis c’est ça qui doit le définir. Je pense que si on définit une publication par sa forme, ça n’en fait pas quelque chose d’intéressant pour autant. » (Quintin Leeds)

Aucune nouvelle publication, telle que Feuilleton ou Usbek et Rica, n’a eu de contacts avec XXI . Pourtant, elles se disent plus ou moins toutes attachées aux mêmes valeurs et à la même conception du journalisme. Cette absence d’échange et de communication permet aux revues d’être indépendantes des autres et de garder le sentiment d’être unique en son genre. Pourtant, XXI semble avoir trouvé une sorte de « formule magique » que beaucoup tente de reproduire, telle la potion magique d’Astérix et Obélix. Patrick de Saint-Exupéry et Laurent Beccaria ont ouvert (ou rouvert) une porte, et « XXI a fait exploser cette porte » :

« Nous sommes là depuis le début. Il y avait une porte qui était fermée, et on nous disait « ce n’est pas possible, il ne faut pas aller là ». Vous savez le panneau sens unique interdit. XXI a fait exploser cette porte, a ouvert un univers, un espace qui n’existait pas auparavant. Ça c’est très clair. À partir de là, il y a deux choses. Que d’autres rentrent dans cet espace, c’est très bien. Personne n’a rien contre. Nous les premiers, parce que ce n’est jamais bien d’être tout seul dans un endroit. Maintenant, si on veut le faire, à mon sens, de manière sérieuse. Parce que dans cet univers-là on peut ré-inventer des choses. On a fait XXI mais il y a d’autres choses qui sont tout à fait possibles. Ça passe aussi par la nécessité, je pense, de ré-inventer quelque chose de différent. Dans le même univers. Que d’autres viennent, c’est formidable, là où c’est plus discutable, je pense, c’est lorsqu’on vient et qu’on se dit qu’il suffit de décliner le concept. On l’a fait à notre manière, quand on a lancé 6mois. C’est le même univers, mais c’est différent. On sent bien que c’est le même univers que XXI, simplement l’écriture est différente, le rythme est différent, le prix est différent, l’objet est différent. On ne trouve pas le principe de XXI là, il n’y a pas d’illustrations. » (Patrick de Saint-Exupéry)

Le mook, c’est un peu tout et n’importe quoi. Mais l’obsession de créer un néologisme pour appeler ce nouvel objet journalistique est surtout révélateur du malaise de la presse qui se bat pour ne pas devenir has been, incapable de se renouveler ou de prouver qu’elle peut encore surprendre.

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