Un Pays de Cocagne social

10 février 2013

Le « modèle » allemand fait souvent rêver par ici ceux qui ne sentent pas dans leur cou le souffle de la nécessité. Prompts à louer les « performances » économiques de nos voisins, ils oublient parfois d’en rappeler le coût social et humain, totalement exorbitant. Après les chômeurs, ce sont les retraités qui vont bientôt payer la facture de la concentration des richesses.

retraite

Depuis des décennies, celles du « miracle » allemand, la figure du retraité allemand traînant son embonpoint dans les lieux touristiques est devenu un lieu commun. Ces voyages à l’étranger risquent bien désormais d’être obligatoires pour les moins fortunés d’entre eux. Et définitifs. D’après « The Guardian » [ref]« Germany ‘exporting’ old and sick to foreign care homes », Kate Connolly, Wednesday 26 December 2012.[/ref], des retraités sont couramment envoyés dans des maisons de soin en Europe de l’Est et en Asie. C’est à ce genre d’« exportation » que mène les politiques d’austérité actuellement en vogue auprès des élites. La qualité de soins laisserait à désirer en Allemagne, ce qui ne les empêche pas d’être d’un coût bien supérieur aux tarifs pratiqués en Europe de l’Est. Des milliers de retraités allemands ont donc été envoyés là-bas. Et ce nombre d’« exportations de seniors » va vraisemblablement croître dans les prochaines années.

Beaucoup de retraités allemands sont allés chercher ailleurs des soins ou une résidence que leur allocation pouvait couvrir. Ils n’ont parfois pas le choix. D’après des statistiques fédérales, plus de 400.000 seniors n’ont pas les moyens de se payer un séjour en maison de retraite en Allemagne [ref]Dont le coût mensuel moyen est à situer entre 2900 € et 3400 €.[/ref], un nombre qui croît d’environ 5 % par an. Selon le Sozialverband Deutschland, ceux qui ont construit le « miracle » allemand et y ont souvent usé leur santé se retrouvent désormais dans la situation de déportés, largués comme de vieilles chaussettes. Encore ceux-là ont-ils la chance de ne pas être renvoyés au turbin. En 2011, 761 000 personnes âgées, dont les pensions ont été rabotées par les ravalement de façade successifs de l’Etat social, occupaient des petits emplois de proximité, des « mini-jobs », comme on les appelle gentiment outre-Rhin, rémunérés jusqu’à 400 euros. [ref]Soit 60 % de plus qu’en 2000, note le quotidien « Süddeutsche Zeitung ». Ces seniors complètent avec ces faibles salaires une retraite de misère. Ils distribuent des journaux, rangent les étagères dans les supermarchés, font des sondages par téléphones, promènent des chiens… Cf. « En Allemagne, des retraités à louer », Le Monde, 16 octobre 2012.[/ref] Mini-jobs, mini-prix, et avec ça tu ne fais pas le maximum.

Les petits vieux, on délocalise ou on déporte?

Plus de sept mille retraités allemands étaient inscrits dans des maisons de retraite hongroises en 2011. Plus de trois mille avaient été envoyés en République tchèque, plus de six cents en Slovaquie. Sans compter qu’on ne dispose pas de statistiques pour ceux qui ont atterri en Espagne, en Grèce et en Ukraine, et qu’un nombre croissant finissent leurs jours en Thaïlande et aux Philippines. Ils y sont pour des soins prolongés, voire de manière définitive. Certains ont bien sûr choisi d’être là, parce que cela coûtait moins cher – en moyenne entre un et deux tiers des prix allemands – mais aussi parce que les soins qu’ils recevaient étaient de meilleure qualité. Mais le journaliste du Guardian a aussi retrouvé des retraités qui visiblement étaient là contre leur gré. Et le risque est grand de voir des patients atteints de démence, ou d’alzheimer, envoyés à l’étranger, sans comprendre ce qui leur arrive.

Les fournisseurs de soins sont en train de construire des lieux de résidence pour les anciens à l’étranger. L’industrie de la vieillesse, très profitable, est en pleine expansion et pratique, elle aussi, à sa manière, les délocalisations. Les assureurs institutionnels allemands, les « Krankenkassen », commencent à se demander s’il n’est pas préférable de financer des soignants à l’étranger plutôt que le service national de soins. Car en Asie et en Europe de l’Est et du Sud, tout est moins cher : le salaire des soignants, les frais de nettoyage et d’entretien, les terrain immobiliers… La législation actuelle ne le permet pas, mais rien ne dit qu’elle ne sera pas modifiée un de ces jours…

 

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