Bifo : La défaite de l’anti-Europe libérale commence en Italie

5 mars 2013

Franco « Bifo » Berardi, activiste et théoricien aussi influent que brillant a commencé sa « carrière » durant le 68′ italien : il ne s’agit pas du premier venu. Avant les élections des 24 et 25 février derniers, il a déclaré qu’il voterait pour le Mouvement Cinq Étoiles de Beppe Grillo. Les attaques  ont fusé mais, pas de problème, il est du genre à pouvoir motiver ses prises de position. Il a écrit ce texte, publié sur MicroMega.  

L’Union européenne naquit comme projet de paix et de solidarité sociale en recueillant l’hérédité de la culture socialiste et internationale qui s’opposa au fascisme.

Dans les années 90, les grandes centrales du capitalisme financier ont décidé de détruire le modèle européen, et depuis la signature du Traité de Maastricht elles ont déclenché une agression néo-libérale. Ces trois dernières années, l’anti-Europe de la BCE et de Deutsche Bank a saisi l’occasion de la crise financière américaine de 2008 pour transformer la diversité culturelle interne au continent européen (les cultures protestantes gothiques et communautaires, les cultures catholiques baroques et individualistes, les cultures orthodoxes spirituelles et iconoclastes) en un facteur de désagrégation politique de l’Union européenne, et surtout pour plier la résistance du travail à la soumission définitive au globalisme capitaliste.

Réduction drastique du salaire, élimination de la limitation de huit heures de travail quotidien, précarisation du travail des jeunes et extension de l’âge de la pension, privatisation des services. La population européenne doit payer la dette accumulée par le système financier parce que la dette fonctionne comme une arme posée sur la tempe des travailleurs.

Que va-t-il arriver ? Deux choses peuvent se passer : ou le mouvement des travailleurs réussit à arrêter cette offensive et enclenche un processus de reconstruction sociale de l’Union européenne, ou la prochaine décennie verra exploser, un peu partout en Europe, la guerre civile, le fascisme prolifèrera partout et le travail sera soumis à des conditions d’exploitation digne du 19ème siècle.

Mais comment arrêter l’offensive ?

Les élections italiennes constituent une réponse qui peut évoluer de manière positive ou de manière catastrophique. Ça dépend des progressistes, des intellectuels et des autonomes du continent, ça dépend de nous.

75% de l’électorat italien a refusé le projet anti-européen de Merkel-Draghi-Monti.

25% se sont abstenus, 25% ont voté pour le Mouvement Cind Étoiles de Beppe Grillo, 25% ont voté pour le parti de la mafia et du fascisme, et pour le plus génial des arnaqueurs de l’histoire, Berlusconi, ennemi juré d’Angela Merkel parce que la mafia ne peut plus accepter la domination économique de Berlin.

Le mouvement de Beppe Grillo est la nouveauté de ces élections. Il recueille surtout des voix parmi les mouvements de gauche et ils recueille aussi des voix à droite. Beppe Grillo – qui a une formation de gauche autonome et antiautoritaire – a déclaré à plusieurs reprises que son mouvement avait l’intention de soustraire des voix à la droite, et il y est parvenu.

Je ne crois pas que le M5S pourra gouverner l’Italie, là n’est pas le propos. La fonction importante et positive que le mouvement a exercée est celle de rendre le pays ingouvernable pour les anti-européens du parti de Merkel-Draghi-Monti.

L’électorat italien a dit : nous ne payerons pas la dette. Insolvabilité.

La gouvernance financière de l’Europe est finie, même si Berlusconi et Bersani se mettent d’accord pour survivre et continuer à appauvrir le pays en transférant les ressources vers le système financier. Ça ne durera pas. Mais alors le pire peut commencer.

La classe financière essayera d’étrangler l’Italie comme elle a étranglé la Grèce. La crise politique entrera dans une phase de violence et de convulsion. L’issue peut apparaître effrayante. Mafia et fascisme ont prouvé qu’ils contrôlent 30% de l’électorat italien, et la gauche n’existe plus. La sécession du Nord reviendra à l’ordre du jour, même si la Ligue du Nord s’est effondrée.

Pourtant, au contraire, peut commencer un processus qui libère l’Europe de la violence du capital financier, une reconstruction de l’Europe sur des bases sociales. En dehors des schémas hérités du 19ème siècle, un mouvement d’insolvabilité organisée et d’autonomie productive peut se diffuser partout. Un mouvement d’occupation peut transformer les universités en lieux de recherche concrète pour travailler sur des solutions post-capitalistes. Les usines que le capital financier veut détruire devront être occupées et autogérées comme ce fut fait en Argentine après 2001. Les places devront être occupées pour en faire des lieux de discussion permanente.

Le programme, Beppe Grillo l’a annoncé, est un programme très raisonnable :

Salaire de citoyenneté

Réduction du temps de travail à 30 heures

Pension à 60 ans

Restitution à l’école des 8 milliards que le gouvernement Berlusconi avait soustraits au système éducatif

Engagement de tous les travailleurs précaires de l’école, de la santé et des transports

Nationalisation des banques qui ont favorisé la spéculation aux dépens de la communauté

Abolition immédiate du Pacte Budgétaire Européen

Le M5S a empêché la dictature financière de gouverner. À présent, c’est au tour de la société. Aura-t-elle l’énergie et l’intelligence pour gérer sa propre vie au travers d’un mouvement d’occupation généralisé ?

Si elle n’a pas cette énergie, nous aurons mérité le désastre qui suivra.

Note

J’ai lu sur Internazionale que les Wu Ming se plaignaient du fait que le mouvement de Beppe Grillo gère l’absence de mouvement en Italie. Un raisonnement vraiment farfelu. Sous prétexte que la société italienne est incapable de se bouger alors tout le monde devrait rester immobile ? Sous prétexte que les petits amis de Wu Ming sont fatigués alors tout le monde devrait attendre le moment de leur réveil ? Mettez-vous en mouvement au lieu de vous plaindre parce que quelqu’un d’autre le fait à votre place, d’une manière peut-être un peu plus grossière de celle qui plairait aux intellectuels raffinés.

Franco Bifo Berardi

(28 febbraio 2013)

(traduction : Greg Pascon)

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