Il y a peu de thèmes qui ont été abordés de façons aussi variées dans l’art que celui de la mort. Nul autre phénomène n’est aussi rassembleur pour l’être humain. Nous savons en effet peu de choses avec certitude, exceptée celle-ci : nous mourrons tous un jour. L’homme a donc de tout temps répondu à ce besoin vital de donner un sens à cet état de fait. L’art populaire actuel regorge de visions très singulières la mort, en particulier dans le domaine du fantastique.
Tour d’horizon de quelques médias et artistes.
George Romero
Romero a amené, tout comme Anne Rice pour la figure du vampire, une définition nouvelle du mort-vivant. Le zombie originel est un cadavre animé par un sorcier selon un rite vaudou, pour exécuter la volonté de celui-ci.
Dans ses films, les cadavres animés chassent les vivants pour les dévorer. Ils sont réduits à un seul instinct primaire : se nourrir. Une réminiscence brumeuse de leurs anciennes habitudes, celles d’avant leur mort, continue parfois de les animer. Dans Dawn of the dead (1978), les zombies qui jonchent un centre commercial poussent leurs caddies distraitement. L’interrogation sur un certain mode de vie du consommateur américain n’est évidemment pas loin.
Mais le plus terrible est la peur panique qui s’empare des survivants. Une seule morsure pouvant suffire pour transformer un individu en monstre, les héros sont contraints d’abandonner ou tuer leurs pairs condamnés, avant de devenir la proie de ceux ci. A mesure que les zombies se multiplient, la société se désunit, s’effondre et le monde devient un endroit dénué d’espoir.
C’est l’aspect du mythe qui a le plus été revisité à la suite de l’oeuvre de Romero, dans les fictions mettant en scène des zombies. On peut notamment citer la BD « The walking dead », dont le scénariste Robert Kirkman fait régulièrement mourir ses personnages principaux, à l’exception du héros, tout au long de la série. Cela parfois sans aucun préambule, laissant planer sur la lecture un sentiment de danger permanent. Cela se matérialise également dans les dialogues entre les personnages qui avouent s’habituer à une espérance de vie qui, pour eux, se compte désormais en mois.
Tim Burton
La mort a une place toute particulière dans la filmographie de Tim Burton. Il met en scène un outre-monde burlesque, au sein duquel les esprits des trépassés mènent leur existence, tout comme les vivants.
Dans Beetlejuice (1988), les Maitland découvrent avec stupeur, en rentrant chez eux, qu’ils n’ont pas survécu au crash de leur voiture. Entre les vers de sable géants qui dévorent les esprits imprudents et les formalités administratives post-mortem à n’en plus finir, la mort n’est décidemment pas une chose facile. Mais le pire reste à venir : une nouvelle famille, qui n’a rien de commode, vient de s’installer dans leur maison. Ils sont bientôt contraints de faire appel à Beetlejuice, un « bio-exorciste » de seconde zone, déjanté et lubrique, pour chasser les envahissants nouveaux locataires.
De la même façon, dans les Noces Funèbres, le héros Victor Van Dort passe du monde des vivants, au teint gris comme la cendre, tristes, coincés et puritains, au monde des morts, qui est aussi loufoque que festif.
Ce dernier est dépeint avec banalité et « normalité ». Les vivants sont, ici, l’élément incongru et perturbateur. Ils figurent la caricature bête et méchante de la bien-pensante Amérique. On pourrait d’ailleurs dire que les défunts semblent mieux vivre leur mort que les vivants… leur vie.
Anne Rice
Anne Rice a donné un souffle nouveau au roman de vampires grâce à « Entretien avec un Vampire », publié en 1976 et premier tome d’une chronique qui en compte aujourd’hui dix.
Elle y relate l’histoire d’un vampire, Louis de Pointe du Lac, de sa création en 1791 jusqu’à sa vie moderne en 1980, à la Nouvelle Orléans. Son destin est étroitement mêlé à son créateur et mentor, Lestat de Lioncourt.
Les vampires d’Anne Rice, à l’opposé du malfaisant Dracula de Bram Stoker, entretiennent des rapports complexes avec leur propre nature. Louis s’accroche à son humanité perdue et est déchiré par son besoin de sang, tandis que Lestat est dépeint comme un tueur débridé et manipulateur.
Un autre personnage central du récit est celui de Claudia, une fillette orpheline de six ans, transformée en vampire par Lestat dans le but égoïste de tromper leur solitude sans âge.
Anne Rice, dont la fille est morte de leucémie presque au même âge, a sans aucun doute fait de l’écriture une forme de catharsis, donnant à cet avatar de sa fille une figure immortelle, à la fois dans la forme et dans le fond. Elle a, au final, dû réécrire la fin de son roman pour faire mourir Claudia… et peut-être tourner une page de sa propre vie.
Les morts-vivants et nous
Les figures du mort-vivant n’appartiennent plus, aujourd’hui, uniquement au registre de l’épouvante. Ils se sont humanisés à travers les générations successives d’artistes qui les ont mises en scènes.
Ces récits se font un reflet de notre vie moderne, et posent plusieurs questions résolument actuelles.
Celle du prix à payer pour s’émanciper des normes : Victor Van Dort n’échappe à l’oppression de la société victorienne qu’au détour de son voyage dans l’outremonde.
Celle de la conscience dans un monde impitoyable : Louis le vampire est rongé par la culpabilité que lui inspire son goût pour le sang humain.
Celle de la solidarité : les survivants des invasions de zombies, suspicieux et incapables de s’unir, sont les artisans de leur propre fin.
Les héros de ces histoires sont seuls aux prises avec le pire de l’être humain, incompris et voués à s’endurcir pour survivre.
Et ce n’est pas par hasard qu’il y ait une telle emphase sur le ressenti des personnages. Nous voulons voir les héros confrontés à des défis à la mesure de nos peurs et nos tiraillements intérieurs.
Le mort vivant, damné par excellence, nous renvoie à nos propres angoisses existentielles, tout comme Lestat le vampire, continue de se réinventer en traversant les décennies.
Mathieu Loiseau