Depuis quelques années, le diagnostic d’une crise écologique sans précédent permet la construction de discours aussi rationnels qu’alarmistes : des experts nous avertissent que, si nous ne faisons rien pour changer nos habitudes, nous courons droit vers une catastrophe du genre complète et définitive. Dans cette ambiance apparaît une crise financière dite « systémique » et son cortège de craintes du futur. Le tout compose un cadre global effrayant qui laisse facilement présager guerres, montées des eaux, épidémies, famines. Toute l’espèce humaine ainsi que les règnes animal et végétal, seraient menacés. Pourtant, sans remettre en doute les conséquences de ces situations, l’annonce de la « fin du monde » reste un grand classique dans l’histoire de l’humanité.
Les pronostics d’une fin du monde générée par l’écroulement de la finance se situent principalement sur un plan structurel. Les crises à répétition ont bouleversé et bouleversent encore le bon fonctionnement des États autant que les trésoreries des simples citoyens. L’effondrement du système financier saperait les bases économiques des États, plongeant les populations dans une misère et une anarchie autodestructrices. Selon ceux nous mettant en garde contre ce genre de scénario, on pourrait alors clairement parler de « la fin de notre civilisation », pouvant entraîner la mort de très nombreuses personnes.
Cette crainte est alimentée par le fait que l’histoire recèle d’autres exemples de civilisations ayant disparu suite à des crises financières. La chute de l’Empire Romain en est un. Les difficultés à subvenir aux besoins des populations et à payer les salaires des soldats causèrent de nombreuses révoltes : l’Empire était constamment au bord de l’implosion et son incapacité à affronter ses ennuis de trésorerie fut l’une des causes de sa disparition – du moins en Occident. L’histoire contient encore d’autres occurrences de rupture majeure naissant suite à des crises financières. L’une des plus célèbres de l’époque moderne reste la Révolution Française. Les troubles financiers de l’État poussent le Tiers-Etat à se révolter. Les discours apocalyptiques autour des problèmes économiques d’aujourd’hui n’ont aucun mal à trouver des source de justification dans le passé.
Les prophéties de catastrophe écologique impliquent des conséquences encore plus effrayantes. La crainte du réchauffement climatique, mais aussi le danger nucléaire, nous conduisent à imaginer le scénario d’une fin complète de l’humanité. Si le thermomètre monte, l’élément naturel pourrait se déchaîner provocant des enchaînements de désastres proprement ingérables : famine, sécheresse, destruction suivies de guerres et de luttes fratricides pour les dernières ressources. En la matière, l’actualité n’a rien de rassurant. En Somalie par exemple, où les sécheresses à répétition sont la cause de nombreux conflits entre tribus pour le contrôle des maigres restes. Ce genre de scénario pourrait désormais s’entendre partout le globe…
La question nucléaire est encore différente. Les incidents de Fukushima nous ont rappelé les ravages que peuvent causer cette énergie. Le souvenir de Tchernobyl est toujours bien présent et ses conséquences bien visibles. Les désastres causés par l’explosion de la centrale ukrainienne ont conduit à la contamination de nombreuses terres pour des millénaires et à la mort de milliers de personnes, sans compter les malformations des nouveaux-nés et l’explosion du nombre de certains type de cancers. De plus, la prolifération des armes nucléaires implique toujours un risque terrifiant d’Armageddon menant l’humanité vers une destruction totale. Les protagonistes de La route, l’effrayant roman de Cormac McCarthy, survivent après une catastrophe nucléaire. Nul ne sait si son origine est militaire ou industrielle – qu’importe : le monde n’existe plus, et ils errent dans le plus sombre des enfers.
Ces deux craintes ne sont pas irrationnelles : que les moteurs soient d’ordre financier ou écologique, l’histoire nous apprend que des ruptures aux conséquences tragiques peuvent avoir lieu. Et le fait de constater, au niveau mondial, que certaines conditions semblent réunies, contribue à nourrir les discours les plus alarmistes. On sait que le crack de 1929 a eu un impact sur la seconde guerre mondiale, on voit ce qui se passe au Japon, on repense à Tchernobyl, Hiroshima… tout cela contribue à l’élaboration de prophéties apocalyptiques. D’autant plus que les personnes portant ce genre de discours se trouvent souvent parmi les élites scientifiques et politiques : les chercheurs du GIEC, les hommes politiques regroupés au sein de la famille écologiste et certains économistes hier hétérodoxes mais désormais plus écoutés.
Reste qu’un crack financier peut impliquer un bouleversement de civilisation quand un cataclysme écologique peut signifier bien plus. Le tragique apparaît dans les deux cas, mais la différence d’échelle a son importance.
Fait remarquable, les discours portant sur une fin du monde proche ne datent pas d’aujourd’hui. Il suffit d’ouvrir la Bible pour trouver l’une de ces prophéties : « l’Apocalypse ». Et ce texte date de l’Antiquité. Même si les chercheurs mettent avant une tout autre symbolique, ce texte a été perçu par ses contemporains, et même par les hommes du Moyen Age, comme l’annonciation d’une fin proche, suite à un conflit entre le Bien et le Mal. Dès qu’un événement tragique a lieu, ce texte mythique pointe le bout de son nez. Ceux qu’on appellent les Flagellants verront dans la Peste Noire (1347 et 1352) les signes annonciateur de l’Apocalypse.
Dans d’autres civilisations, à d’autres époques, la fin du monde fut aussi envisagée. Chez les peuples nordiques du Moyen Age, elle porte le nom de Ragnarök. Il s’agit d’une grande bataille entre les hommes, les géants et dieux où seuls un couple d’humains et quelques dieux survivraient. D’après les chercheurs, ce mythe tirerait son origine des peurs du moment : l’arrivée de l’an mil, la montée du Christianisme, les éruptions volcaniques en Islande. Ces peuples interprètent alors ces événements comme annonciateur d’une proche fin du monde.
Outre-Atlantique, les Mayas prévoyaient également la fin de l’humanité. Les peuples amérindiens possédaient un calendrier cyclique, le temps se répétait sans cesse. D’après leur calendrier, la fin du monde devrait arriver 120 ans après la fin du cycle actuel, qui doit finir le 21 décembre 2012. La proximité de cette date mêlée aux craintes évoquées précédemment confère à cette prophétie une bonne place dans l’actualité. Cependant, il y a une erreur de date, car les récits mayas prévoient la fin du monde pour bien plus tard. Ouf!
L’éventualité d’une fin destructrice a très souvent été évoquée au cours de l’Histoire. Si les prédictions actuelles se différencient des précédentes, sans doute est-ce par leur côté scientifique. Dans le passé, les discours apocalyptiques avaient les caractéristiques des mythes religieux, aujourd’hui ils se veulent rationnels. Ils sont produits par des experts en finances ou en écologie. Et contrairement au ton fataliste des prophéties d’autrefois, les énoncés alarmistes d’aujourd’hui semblent vouloir nous influencer pour nous permettre d’éviter le pire. La dernière note pourrait alors nous sembler positive : l’humanité sort toujours triomphante des crises qu’elle a rencontrées, ne sombrons pas dans la résignation et trouvons plutôt des solutions pour rendre viable notre futur.
Jean-Michel Célant