Topolitiques — de la fin du monde

4 avril 2013

Nous ignorons encore dans quel sens nous serons poussés, une fois que nous aurons quitté notre ancien territoire. Mais ce sol même nous a communiqué la force qui à présent nous pousse… vers des pays sans limites… Nous savons qu’il y a un nouveau monde »

F.Nietzsche

« Je pense que je pourrais finir par écrire une belle musique harmonique. Harmonique non pas au sens traditionnel, certes, mais dans un sens anarchique. L’harmonie en question inclurait aussi les bruits ».

J.Cage

Le Monde n’en finit pas de ne pas finir. Nous n’en avons toujours pas pris acte. Ce Monde ancien s’est diffracté: le globe en tant que belle unité, splendide rondeur sur laquelle nous pourrions nous reposer.

Un temps long, pourtant, nous sépare de cette liaison, bien mal nommée “mondialisation», laquelle a commencé, comme nous l’indiquent les travaux du philosophe P.Sloterdijk, depuis l’aube grecque, avec la mathématisation de la voûte céleste, et s’est diluée avec les sciences du chaos et la découverte (sic) que “nous ne sommes pas seuls au monde”. Décentrage radical… et joyeux.

Le mondialisme semble être un occidentalisme, en effets, bien plus qu’une “juste représentation de ce qui est”. Les berceuses des médiacrates et autres gestionnaires du néant bégayent sérieusement. Et ce n’est pas triste!

La fin du monde a déjà eu lieu. Et nous n’avons rien appris, ou si peu. Car en effet, sous le calme couvercle du Monde bouillonne une guerre sans merci ou, ce qui revient au même, une pacification policière. L’ombre de Dieu continue à être vénérée, par les global players apôtres de la fin de l’histoire cristallisée dans les démocraties-marchés, ou par les prophètes de malheurs trouvant un flasque réconfort dans l’annonce d’une apocalypse globale.

Là se situe notre effroi. La fiction de l’Unité du Monde continue d’agir, dans une répétition amorphe, liquéfiant tout possible tentant de résister à la mobilisation totale en Son Nom cyclopéen, monoptique, panoptique : la négation du politique.

Le (to)politique est toujours local, balbutiant, expérimental, tâtonnant. Tout le contraire de La Politique comme re-présentation gouverne/mentale du troupeau humain qu’On nous vend.

Les expérimentations politiques ne peuvent se déployer qu’en un pluri-vers, et non un Univers mondial soi-disant unifié par quelques sbires qui-nous-veulent- du-bien, sous leur gris chapiteau de capitaux. Le cirque religieux de l’Economie est l’atrophie du politique.

Le devenir-monde d’un dogme n’est pas chose nouvelle : il puise ses sources dans l’hégémonie romaine et l’élaboration d’un droit supra-national, dans l’assomption de celui-ci par l’invention chrétienne d’un universalisme susceptible d’étendre ce droit à la Terre entière. Et la possibilité ainsi donnée au Kapitalisme d’installer la généralisation des rapports marchands sur l’ensemble de la planète.

La grande erreur serait de considérer que la lutte contre le Dispositif Mondial consiste à remettre le monde sur ses pieds: remettre le Capital à sa place, poser l’Homme au centre de ses développements techniques, brûler les images mercantiles. Il y des lieux, des femmes et des hommes, des images, des mondes…

Le Monde n’a ni pieds ni tête ! Il est un plurivers en perpétuelle mutation en chatoyante hybridation, sur lequel nous ne pouvons avoir de prises que locale ent, dans des lieux (topolitiques), des existences concrètes !

Il est un pachyderme inhabitable et nous sommes des aveugles en déséquilibre, « maladie de peau de la terre ». Plutôt que de pleurer sur notre cécité, il faudrait plutôt nous demander où sont les cannes blanches, quels sont les bons mots à utiliser pour bien parler de ce qu’il se passe, ne se passe pas, ne passe pas dans ce qu’il se passe. Chercher les gestes justes qui fassent puissance, toujours ici et maintenant, lorsqu’on nous serine que « le monde est comme ça, on ne peut le changer ». Art de l’éloquence, danse à la limite de la chute, actes habiles, bruits et silence. Pour une harmonie pluriverselle, sans fin.

La prise est toujours locale, en situation. Chantant la divergence des mondes, elle tourne le dos aux élégies quant à la volatilisation de l’existant ou – autre face de la même médaille – à son universelle solidité, si proche de la haine de la vie formidablement diagnostiquée par Nietzsche.

Elle croit que des sphères flamboyantes résistent à la grande liquidation sous le glacial couvercle du Monde… Elle sait que toujours la vie invente… et que tout reste à créer.

 

Nicolas Zurstrassen

 

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