À l’occasion des Nuits du Paradoxe « La liberté d’expression, et puis quoi encore ?! », D’Une Certaine Gaieté collabore avec la Ligue des Droits de l’Homme dans le cadre de leur cycle « Paroles libres » sur les délits et les désirs d’expression. Jeudi 28, à 18h, au départ D’Une Certaine Gaieté, nous vous proposons une visite urbaine à travers les graffitis, avec comme guide Obetre.
Obetre. Artiste-sociologue bruxellois. Porte-parole de la légalisation du graffiti et de la réappropriation de l’espace public. Obetre est un touche à tout, tant au niveau des techniques qu’il utilise que des thèmes qu’il aborde dans ses projets. Son « Graffiti Guide » l’amenant en terre liégeoise pour faire un état des lieux des graffitis en cité ardente, l’occasion était trop belle de l’interroger.
Entonnoir : « Graffiti Guide », ton projet mis en place avec Lezarts Urbain, il consiste en quoi concrètement ?
Obetre : J’amène un public, par une déambulation dans la ville, à regarder les graffitis, les « traces du quotidien ». Dans un premier temps les observer et les reconnaître pour ensuite les classifier et enfin, à travers nos questionnements, arriver à des formes d’analyses et d’interprétations. C’est une balade contextuelle, sur des lieux et des « traces » précises, emprunte de regards sociologiques et philosophiques.
E : Tu t’exprimes, le plus souvent, via l’espace public. C’est une source d’inspiration importante pour toi ?
O : L’espace public c’est notre quotidien, ce que l’on voit, sent, bouffe… à longueur de temps. C’est donc une évidence, pour moi, de m’inspirer de ce quotidien. Ce qui m’intéresse, c’est l’espace public au sens historique, étymologique du terme pour mieux percevoir ce mot valise, utilisé à tort et à travers aujourd’hui, et dégager l’essence même de ce concept. Pour arriver, ensuite, à se questionner sur la politique de ce même espace public ; comment se le réapproprier ? Qu’est ce qui est privatisé ? Et qu’est ce qui est public ? Alors que de nos jours, l’espace public devient des espaces transitoires, sans véritable lieux chargés d’une culture locale. Je pense, sincèrement, que le graffiti fait partie des mouvements, parfois même inconscients, qui crée une nouvelle culture, en opposition à cette désertification de l’espace public.
E : Tu réponds quoi au gens qui disent que le graffiti est une atteinte à l’espace public ?
O : Leur vision de l’espace public est fausse. Ils se le représente comme un lieu fonctionnel ; des voitures qui doivent rouler, des piétons qui doivent marcher… Or l’espace public, né de la Révolution française, est un espace de critique du gouvernement et surtout de débat des questions d’intérêt commun et donc un espace libre d’accès à tous, sans pression économiques et/ou politiques. La base de la démocratie quoi. Et le graffiti, sur plein de points de vue, correspond à cette volonté de libre accès à l’espace public. C’est l’expression pure qui le fait vivre, parce que l’espace public en soit n’existe pas, il est neutre. L’espace neutre se publicise au moment où des actes le constituent, comme l’espace privé d’ailleurs. L’espace privé, lui, se caractérise par des émetteurs unilatéraux, des monologues tandis que l’espace public se caractérise par un dialogue physique. Malheureusement peu de personnes peuvent physiquement le façonner, pour cela il faut un gros tas de billets. Mais à partir du moment où l’on t’empêche de t’exprimer dans l’espace public, il devient un espace de monologue, fasciste, à une seul idée, un espace privatisé. La frontière est floue entre l’espace public et l’espace privé et l’on tombe vite dans la légitimité de la propriété privé ; c’est ma façade, ma camionnette… Mais où y a-t-il des espaces libres d’expression physique alors ? Il n’y en a pas ou alors pour des messages qui ne font chier personnes mais qui ne parlent pas non plus. Le graffiti est donc une solution pour palier au manque d’accès à ces médiums d’informations physiques.
E : Y a-t-il des limites dans le graffiti à ne pas franchir ?
O : Ce sont des limites personnelles et culturelles, en fonction des valeurs propres au graffeur et à la société. Il y a cette tendance à penser qu’il n’y a aucune limite dans le graffiti, due au faite que les graffeurs prennent une petite liberté que tout le monde ne prend pas, or c’est faux. Bien sûr qu’il y en a, malheureusement, trop même. J’aurais tendance à dire, qu’il faudrait faire sauter certaines limites, que les lieux cessent d’être sacralisés.
E : Tu t’en met toi, des limites ?
O : Non vraiment pas… du tout !
E : Graffiti, sculpture, performance… il y a encore des choses que tu n’as pas encore expérimentées et qui te tentent ?
O : J’ai l’impression d’avoir fait le tour des grosses disciplines mais un petit tour. Il y a des choses où je n’ai pas beaucoup d’expérience, comme le théâtre ou la réalisation de film… l’architecture me plaît bien aussi, pourquoi pas commencer des études là-dedans. Mais d’un autre côté, je commence tout doucement à vouloir me préciser dans un domaine, arrêter de me lancer dans tant de projets différents et savoir dire non à toutes ces choses qui m’attirent, mais pour ça, peut-être qu’il faut une certaine santé et un équilibre mental que je n’ai pas.
E : Quels sont tes projets dans l’immédiat ?
O : Je vais bientôt exposer des photos dans une galerie à Bruxelles, le vernissage aura lieu le 4 décembre. Aux alentours de Noël, pendant deux semaines, je vais créer des petits abris qui seront disposés dans Bruxelles, dans le style « Graffitecture », dans le but de collecter de l’argent qui sera redistribué aux sans-abris. J’animerai, ensuite, un stage d’ateliers où travailleront, en bénévolat, 200 personnes afin de construire des petites tirelires permettant de récolter de l’argent, également pour les sans-abris.
E : Et dans le futur ?
O : Ce à quoi je rêve, là, pour le moment, c’est une petite cabane perdue au milieu des montagnes au Japon pour aller méditer sur les cascades d’eaux et les oiseaux qui passent quoi, tu vois ?
Propos recueillis par Jérôme Grogna
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