Durant les années soixante et septante, la ville densément peuplée se vide inexorablement pour laisser place à la circulation automobile, aux commerces, aux bureaux et aux parking. On construit des voies rapides sur les quais et on réalise des accès autoroutiers jusqu’au centre de la cité. Des quartiers entiers sont défigurés quand ils ne disparaissent pas complètement. Les habitants fuient. Liège perd environ 50 000 habitants entre 1961 et 1986.
Fin des années septante, la place Saint-lambert et ses environs sont rasés. Un chancre urbain qui durera trente ans où l’on verra se succéder projets urbanistiques, désaccords politiques et problèmes financiers. Un chancre interminable qui provoque la colère des habitants. Une association de défense de la place est créé à l’aube des années 80 pour défendre un des derniers carrés non encore détruit.
« Performance? »
C’est dans ce contexte « morose » que l’asbl « Le Cirque Divers, d’une certaine gaieté » organise entre 1979 et 1980 un cycle de performances « posé d’une manière interrogative dans les domaines artistiques, politiques, viables et économiques ». En partenariat avec l’association de la place Saint-lambert, elle invite Orlan, artiste plasticienne et performeuse française, à réaliser un « MesuRages » (1974-2011) à l’aide de son Orlan-corps. Après la place Saint-Pierre de Rome, le Centre George Pompidou de Paris ou encore le Musée Andy Warhol de Pittsburg, la performance de la place Saint-lambert prend un caractère éminemment politique.
Avec la complicité des ouvriers, Orlan a pour ce faire utilisé les machines du chantier. La performance, initialement prévue sur quatre jours, fut finalement interdite après deux jours par le bourgmestre de l’époque, prétextant une entrave à la circulation. Une aubaine pour l’association de défense de la place et pour le Cirque Divers, le premier pouvant médiatiser son combat et le deuxième s’affirmer comme le trublion de la vie culturelle liégeoise.
Trente ans plus tard, Orlan revient sur sa performance. Comme elle l’explique au micro de Liliane Dewachter et Sophie Grégoir pour le Musée d’art contemporain d’Anvers, l’artiste a revu la place Saint-lambert finalement terminée et s’est dit horrifiée de tout ce bétonnage, pour un projet urbanistique qui ne ressemble à rien. Elle se demande dans quelle mesure elle ne pourrait pas refaire une performance pour dénoncer tout ça. Avis aux opérateurs culturels liégeois …