Sa prise de parole est prise de pouvoir sur sa propre identité
Échange entre Christine Aventin et Camille Nestor (mixed media)
Christine Aventin « J’ai donc assisté hier à la Zone à ma première soirée slam. (ndlr : soirée slam dans le cadre de Contre/Bandes) Et la misogynie ordinaire qui imprègne la plupart des textes m’a frappée. L’idée de la parole des mecs qui prennent la parole comme un combat. Mais comme un combat qui, en fait, écrase tranquillement tout ce qui n’est pas eux. Ce truc, qui m’énerve à chaque fois, qui fait que l’oppression que subissent les mecs leur donne le droit d’être tranquillement des connards. Super égocentrés sur les enjeux de leur propre posture : hétéro et masculino et dominant. Liée au fric/à l’absence de fric, à l’ambition de réussite/à l’affirmation d’une marginalité sociale, et puis les putains, les salopes et les chiennes.
Fichtre !
Et nous, les meufs et les gouines, qui nous retrouvons dans l’éternelle bienveillance forcée parce que, bien sûr, la moindre réaction qui irait dans un autre sens que l’éclat de rire consensuel hahaha nous ferait passer pour la rabat-joie de service.
Et donc, tout ceci a éclairé sous un jour particulièrement propice à la discussion mon regard sur toi, ton écriture, ton personnage.
Ou : comment en effet s’imposer, s’exposer, tout en se mettant à l’abri.
J’ignore si ceci fait sens pour toi.
Mais j’ai hâte d’en parler avec toi.
J’ai beaucoup aimé ce que tu as montré et dit et si j’avais su, tudieu, je serais venue avec des textes. Voilà mon seul regret ».
Camille aka Nestor « Ce que tu dis fait tout à fait sens. Sous couvert de première fois, de timidité ou de pas-encore-rodé, certains slammeurs se préservent des huées de par une certaine médiocrité. On réagit en « Oh, respectons l’effort et l’exercice que c’est de monter sur scène. Et cela engendre un genre de complaisance qui me met assez mal à l’aise.
Je suis très contente que ça t’ait donner en vie de lire, de dire et d’écrire. Le travail et le combat restent nécessaires. Changer la mentalité communément admise, du moins la remettre en question, en passant par la culture populaire et les zones d’expression libres (libres mais pas moins exigeantes pour autant).
Merci de m’écrire ça. Moi aussi, ça me donne envie d’écrire, de lire et de dire. Avoir partagé cette expérience va nous nourrir dans la discussion.
J’attends donc tes premières pistes de question. »
Christine Aventin « La première question qui me vient est :
Je me demande comment tu es entrée sur la scène slam ? Y es-tu d’abord venue comme « une fille avec un texte ». Genre : normal ! 🙂 Et alors, est-ce que c’est la scène, le code, le public, (tout ce que je veux bien que tu me décrives si tu te souviens de tes premières fois, de tes sensations, de ce qui s’est passé pour toi et pour eux/elles), qui t’a amenée peu à peu à chercher une autre forme de présence ?
Ou bien travaillais-tu déjà comme tes formes comme « comédienne/clown/mime/interprête » /forme que je perçois plus proche du théâtre, et de l’auto-fiction / et dans ce cas, tu aurais vu la scène slam comme une possibilité de toucher un public sans avoir à être programmée officiellement dans un lieu ?
Mon Dieu ! Je suis désolée de cette question à tiroirs et doubles fonds…
J’espère que tu vas y trouver autre chose que des chaussettes solitaires.. »
Camille aka Nestor
« Ce sont de très bonnes questions, ça me plait de théoriser tout cela et de revenir sur le pourquoi du comment et le par-où du vers-quoi. Veux-tu qu’on se retrouve quelque part dans l’aprem pour discuter ? »
Nestor au bout de mon fil, ce mercredi 22 octobre « C’est une très bonne question pour commencer cette discussion car la question des genres, je l’ai d’abord abordée de manière artistique. En vérité, c’étaient des questions intimes beaucoup trop fragiles et personnelles pour que je me sente le courage de les affronter dans la vie.
Dès le début, je veux dire dès mon entrée sur la scène slam, je me suis fait appeler Nestor et j’étais dans le travestissement, mais je ne pensais pas du tout que ce serait ma thématique. Ces sujets, je ne les abordais pas de manière consciente. Au point que je ne me rendais pas compte que c’était de ça que je parlais. Je me rendais pas compte du poids que c’était de rentrer directement sur scène en disant je m’appelle Nestor.
On croit que le slam, c’est libre comme forme, mais en fait c’est plein de conventions y compris de conventions implicites. Ainsi par exemple, à Bruxelles ou à Liège, ce n’est pas le même diapason. De sorte qu’il y a comme une homogénéisation involontaire qui a lieu parce que, mine de rien, quand tu montes sur scène, tu veux plaire aux gens qui sont là, et donc tu essaies de correspondre à ce que tu sais qu’on attend de toi, et donc tu te conformes, et finalement par une sorte de mimétisme global, tout le monde finit par adopter la même posture. Et ça, ça m’a toujours énervée. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai arrêté mes études à Lassaad. C’est une école (Théâtre et Mouvement) très riche, qui t’ouvre à plein de disciplines tout en te laissant partir à la recherche de ton univers personnel, mais il n’y a rien à faire, le groupe, dans son existence et dans son fonctionnement, fait qu’au bout de deux ans passés ensemble, quand tu regardes autour de toi, tu vois des clones.Quand je suis arrivée sur la scène slam, en Nestor, j’ai entendu tous les gros discours sur ce qu’est censé être le slam – comme quoi, ce que je fais, moi, ce n’est pas du slam – et justement, je me suis dit : chiche que c’est du slam et que ce sera du slam ! De là, l’envie, la volonté de prendre les codes, de les utiliser, de les retourner, et quand bien même, d’avoir ma place là-dedans, mais sans pour autant compromettre ce que j’ai envie de faire.
Si je me souviens du moment de la collision entre ma vie et la scène ? Oui !
Au tout début, lorsque j’ai commencé le slam, j’étais intéressée plus que tout par cette forme : parler face à des gens, c’est mieux que la chanson, c’est mieux que le théâtre, parce qu’il n’y a aucune fioriture artistique, tu es seule face au public, et c’est d’autant plus sincère et direct. La première fois, je suis venue avec un texte qui était pour moi une chanson d’amour, que j’avais écrite vraiment pour quelqu’un, je suis montée sur scène et j’ai dit ce texte, et je me suis rendu compte, du fait de le dire sans le chanter, qu’en fait il n’y était pas question d’amour mais d’enfermement. Et je me suis dit : Ca, c’est une expérience géniale, je veux continuer le slam !
Et donc, pour revenir à la question des genres, et au moment de la collision, je me suis rendue compte que je parlais de ça et que je voulais le revendiquer comme tel, lorsque j’ai joué à la Maison Arc-en-Ciel. Ca correspond au moment où j’ai commencé à réfléchir en terme de spectacle, de manière globale. Avant je faisais des textes plic ploc, avec la recherche formelle comme revendication d’originalité, j’ai ça dans mon caractère d’avoir envie toujours de faire les choses différemment. Et puis soudain, en rassemblant les choses avec cette idée de monter un spectacle, je me suis rendue compte du propos dominant, et là je me suis dit que j’avais presque envie d’en faire un engagement. De défendre le propos.
En tant que spectatrice et auditrice, ça m’a fait beaucoup de bien d’entendre des artistes dire des choses que je ressentais moi-même. J’avais envie de prendre ce rôle-là pour les autres, d’être celle qui a le courage d’affirmer une honte, un ridicule, et d’en faire quelque chose de joyeux et de célébratif et d’explosif. Faire de toutes ces hontes et de tous ces rididules un truc jubilatoire et explosif !
Je sais que « honte » et « ridicule » sont des mots très forts, qui choquent souvent les gens, mais c’est vraiment comme ça que je l’ai vécu de l’intérieur. Je n’ai pas réussi, moi, à assumer mon androgynie pendant l’enfance, alors que je me sentais déjà petit garçon, parce que je me sentais ridicule et honteuse.
Et puis vient ce moment où l’on se rend compte que ça peut devenir autre chose, et même sexy avec cette esthétique queer du travestissement, je me suis rendue compte que « Allez tous vous faire foutre ! » ces barrières ne sont là que si on le veut bien. Et pour moi, ça avait été un ridicule, une honte, et ça m’avait empêchée d’être.
J’utilise ces mots parce que je l’ai vécu comme ça.
(C’est comme ton mot « berdache », dans Red Shoes, tout à coup tu réalises que le fait d’être entre deux choses, ça peut être magique et libérateur pour les autres qui le voient et qui se disent en te voyant : Ah bon, ya moyen, comme un oiseau, de passer de l’un à l’autre, mais c’est génial ! Et même ça peut signifier quelque chose proche du divin, du sacré.)
Les autres enfants à l’école, et même plus tard, les ados, ils se moquent de toi dès que tu es différent, je me posais la question du pourquoi. Pourquoi les différences sont montrées du doigt et jugées moins bien ? Ne serait-ce pas simplement parce que la majorité des gens se l’interdisent, cette différence, et donc s’il y en a un/e qui ose être différent/e, on lui rabat son caquet ! »
Christine Aventin après avoir assisté au Cabaret de Clôture du Festival contre/Bandes Ma question – celle par laquelle j’ai envie de te solliciter après cette carte blanche contre/bandiste, est la suivante : je reprends le mot « sexy » que tu as utilisé au cours de notre dernier échange. Je confirme : ta présence est à plein de moments sexuellement très attractive. Et c’est troublant, cette association inattendue entre le burlesque (est-que ce mot est le bon ? que veut-il dire au juste ?) et le.. (quoi dire ?) le glamour/ le sex-appeal/ la manipulation érotique. J’aime bien cet équilibre sur le fil invisible du SM, aussi. Sans avoir l’air d’y toucher.
Tu veux bien lancer là-dessus ta machine cérébrale, stp ? »
Camille aka Nestor : cette nouvelle question que tu poses est tout à fait intégrée dans ma recherche : comment mêler poésie et burlesque, et surtout pourquoi. Tu introduis les idées d’attraction, de trouble et de SM…
Mes débuts dans le burlesque en ont étonné et choqué plus d’un. « Mais, tu écris, tu danses, tu mets en scène, tu es comédienne… pourquoi t’as besoin de te désaper, de te dégrader, tu pourrais mieux faire, faire mieux, qu’est-ce que tu cherches ? » Faire mieux. Certes, mais les débuts sont toujours un peu débutants, non ? C’était mon premier boulot d’artiste. J’étais encore à l’école LASSAAD ; les professeurs nous y enseignaient l’art du mouvement, du mimétisme, de la métonymie, du geste juste, unique et universel. Dans cette école, même le masque neutre s’accordait en genre. Un élève masculin ne travaillait pas avec le même masque qu’une élève. Dans cette école, on ne dévoile pas la nudité et on occulte la sexualité. L’inverse radicale (certaines écoles où la séduction est de mise, jusqu’au rapport prof-élève) n’a rien d’idéal, loin de là ! Mais voilà mon caractère : on me prouve blanc, je vais soutenir noir et démontrer par l’exemple que c’est tout aussi bien, voir mieux que blanc ^^ Me v’là donc effeuilleuse et travelotte !
D’autre part, l’espace des marges, l’univers de la nuit, les « sous »-couches, les « basses »-classes, les irrégul-hilarités, les à-côtés qui ont pas la cote, les ridiculs, les désirs refoolés, les folies gerbées, les hontes-ologies … me fascinent, me touchent et m’inspirent ! Et puis, j’avoue qu’à l’époque c’était pour moi l’occasion de reconquérir ma liberté physique, sexuelle et esthétique. Aujourd’hui, c’est bien plus qu’un simple ego-trip-thérapeutique : ça devient, une ode, voir un appel à cette/ces libertéS. D’avoir pu expérimenter ma propre déculpabilisation, j’en viens à souhaiter celle des autres. Et pas que d’un point de vue érotico-sexuel.
L’acteur en scène est une sorte d’icône. Il est dépassé par ce que les regards du public projettent sur lui. Il faut qu’il en soit conscient, ou au moins prévenu. Donc quand tu parles d’attraction, merci, mais attention. C’est plus les notions de désir et de plaisir que j’aime mettre en scène, et non pas ma propre petite silhouette. Quand j’ouvre le show en avouant au public que je fantasme sur lui depuis l’enfance et que j’enchaîne avec une chanson coquine qui lui est destinée (« Je me suis léché partout en pensant à vous… » : contorsions aussi rigolotes qu’absurdes !), je ne fais que lui suggérer un rapport de séduction par métaphore. Mon intention n’est pas de ramener des groupies dans ma loge !
Tu dis que j’aborde le SM, mine de rien. C’est possible. La soumission, la domination sont présentes dans le quotidien, dans les rapports humains, même hors séduction, et même sans douleur. Le problème dans l’expression sado-masochisme, c’est l’idée de souffrance. Là, non, c’est pas trop mon truc… et à la ville comme à la scène, ça me botte pas des masses de me faire botter. Mais le jeu des rôles (finalement, c’est un bon résumé du théâtre) et le jeu des échanges me plait assez. Distribution des caractères et des personnages, d’accord, mais à une condition : c’est de ne pas la figer sur la première page du texte. Pareil dans la vie : foutez-nous la paix avec cette distribution rigide ! Se retrouver fixé-piégé à l’un ou l’autre poste, à l’un ou l’autre rôle, à l’un ou l’autre genre, à l’une ou l’autre classe ou case ou caste, non merci. Pas bouger pour pas perdre sa place, ça passe ou… ça dépasse les bornes ! Alors allons-y… Dans l’intimité, vivons libres et heureux sous nos cachettes de couettes. Mais aussi, là où l’on s’expose encore plus qu’à la vie : à la scène. Avec la poésie comme porte-voix, avec subtilité pour rester respectueux des limites de chacun, par suggestion pour ne pas imposer une interprétation plutôt qu’une autre, avec légèreté pour laisser libre court et libre arbitre aux sensibilités du public-audience-lectorat.
Sacrée tartine ! »
Nestor sera présente (sous réserve d’une non qualification au championnat de Belgique de Slam) à l’atelier « Femmes, parole et pouvoir » organisé par l’asbl « D’une Certaine Gaieté » ces 15 et 16 novembre. [Plus d’infos]