M’enfin #4

3 février 2015

M’enfin! Maintenant ça va suffire de hurler au loup pour dénoncer le climat sécuritaire voir liberticide comme des robots gauchistes! Et si, après tout, les exigences de la lutte anti-terroriste, peu importe sa légitimité, nous permettaient enfin d’avoir de nouveau une politique ambitieuse d’investissements publics. Le genre de plan qui facilite le retour à la croissance et crée tout plein d’emplois ? Tenez, rien que lundi passé, la ville de Liège a débloqué 309 000 euro pour améliorer l’équipement de la police. Alors, on en trouvera toujours pour râler mais en période d’austérité budgétaire, ça s’appelle un miracle!

Alors, évidemment, on entend déjà d’ici les chants taillons du défaitisme (vous ne changerez donc jamais…) : « de quoi parle-t-on? Tout le monde ne peut pas travailler à la FN ou vendre des gilets pare-balle ni être militaire ou policier ! ».

Humpfff ! Encore une fois : allez-vous donc vous décider à vivre avec votre temps ? La lutte contre le terrorisme, aujourd’hui, ça ouvre d’incroyables perspectives : ce n’est pas que l’affaire exclusive de Rambo ou de Starsky et Hutch – ne soyez pas si old school, il faut pouvoir penser en terme de recherche et développement, technologie et innovation, réseaux sociaux et storytelling, hackers et trolls.

Tenez, l’armée britannique, elle, elle est dans la modernité. Au printemps prochain, elle va créer un bataillon de 1500 Facebook warriors. » Et pour faire quoi? » me demandez-vous, incrédules que vous êtes. Et bien pour mener, comme les armées US et israéliennes le font déjà, des opérations psychologiques dans le cadre d’un combat non létal. En clair : « dans un contexte d’infos en continu, de smartphones et de médias sociaux , tels que Facebook et Twitter , la force [dont il est question ici] va tenter de contrôler le récit ».

Une guerre, au XXIè siècle, ça se gagne en conquérant les cerveaux donc en contrôlant la production de récit. Soldat ou policier, désormais, c’est un boulot pour conteur. D’ailleurs, la commission européenne ne s’y est pas trompée, elle qui a mis sur pied une patrouille de trolls, chargée de traquer l’euroscepticisme sur les réseaux sociaux, jusque dans les discussions en ligne. Leur mission : « subvertir le sentiment qu’expriment de plus en plus d’Européens, à savoir que « l’Europe est le problème », et de le retourner, de sorte que chacun en vienne à considérer que la réponse aux défis actuels est « plus d’Europe », et non pas « moins d’Europe » ».

Aujourd’hui, le créneau sécuritaire constitue une opportunité d’avenir pour les gens dans le style tchatcheurs infatigables, prompts à ne jamais laisser le dernier mot à leurs adversaires, débitant en boucles des sornettes idéologiques. Des qualités qui correspondent pile poil aux caractéristiques des gauchistes (ceci dit, en passant, pour ceux d’entre eux qui viendront encore se plaindre en mode « il n’y a pas de travail pour tout le monde »).

Si ça se trouve, dans quelques mois, troll sera carrément inscrit dans la liste des métiers en pénurie! Et dire à son coach Forem qu’on passe toute la journée sur les réseaux sociaux sera considéré par lui comme « un sérieux plus à inscrire sur votre CV » – le sésame vers un emploi, avec peut-être même un statut de fonctionnaire à la clé. Mais vous ne voyez jamais ce qu’une situation géostratégique, pour bordélique et foireuse qu’elle soit, peut amener comme opportunité de changement bénéfique…

Et remarquez bien, au lieu de pester pour on ne sait quels motifs de pacifistes, que la guerre contre le terrorisme pourrait aussi offrir des possibilités à d’autres profils de glandeurs patentés. Je pense ici aux gamers, qui ont toutes les qualités requises pour devenir pilotes de drones à temps plein. D’ailleurs, tant qu’on parle de glandeurs et de drones, sachez que parmi l’arsenal des technologies de lutte contre le terrorisme, ces derniers ont ceci de particulier qu’ils offrent à une autre catégorie socio-professionelle flirtant problématiquement avec l’inutilité, la possibilité de se ré-insérer dans le monde du travail. En effet, les drones changent tellement la donne dans le rapport à l’ennemi et dans l’éthique militaire que les armés US et israélienne ont dû engager des philosophes pour parvenir à justifier leur usage.

Donner du boulot, même aux philosophes ! Allez! Si c’est pas la preuve que la guerre contre le terrorisme, c’est une promesse d’avenir pour tout le monde, je ne sais pas ce qu’il vous faut : M’enfin !

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