Ce matin, j’allais tremper ma tartine au sirop de Liège dans mon café quand j’ai distinctement entendu Bertrand Henne prononcer ces mots :
Les syndicats se sont tous rendu compte qu’ils ne pourraient pas se lancer dans un long bras de fer contre ce gouvernement. Un cadre flamand de la CSC me disait récemment qu’il était horrifié par le traitement des médias après la grève nationale du 15 décembre. Beaucoup des médias ont véhiculé une image déplorable de l’action syndicale. Ils ont compris depuis que le rapport de force politique et médiatique ne s’inverserait pas. C’est ce rapport de force qui explique pourquoi, aujourd’hui, deux syndicats acceptent ce qui, il y a quelques mois encore, apparaissait comme inacceptable, et que la FGTB, par son refus, calme le jeu et appelle à l’union.
Et je suis resté ainsi un instant, la tartine suspendue, à me demander quelle était la portée exacte de ce que je venais d’entendre.
Qu’est-ce qu’il sous-entend, là, au juste, sinon qu’il y aurait donc bien un lien de cause à effet entre la répétition systématique d’expressions comme « les usagers sont pris en otage » ou encore la présentation des JT racontant les grèves par des « jaunes » revendiqués, et la production d’un climat politique plutôt défavorable à l’action syndicale ? Je suppose que ça doit se passer un peu comme si, à force de réciter comme des mantras des trucs dans le genre « tout le monde s’accorde à penser que l’âge de la pension doit être reculé » ou « il n’y a pas d’alternative, le coût du travail doit être baissé pour que nous retrouvions de la compétitivité« , « les médias » auraient contribué à paramétrer le rapport de force de telle sorte qu’il soit impossible à tout mouvement syndical d’être audible aujourd’hui – alors qu’en face, pourtant, le gouvernement démonte tranquillement des pans entiers de la sécu et pas mal d’acquis sociaux à la hallebarde et avec le sourire.
Et bin, on s’en était pas vraiment rendu compte…
Mais notez (enfin, si vous êtes d’accord) que c’est marrant que ce soit justement Bertrand Henne qui lâche un truc pareil (à la radio, comme ça, un matin, presque comme pour voir si les gens écoutent bien) parce que si on le suit bien dans son raisonnement, alors, « les médias » seraient contre les syndicats. Or, jusque là, on nous disait que les journalistes étaient « neutres et objectifs ».
Et, si on continue en suivant son raisonnement et en le poussant jusqu’au bout, on tombe sur un truc encore plus fou : si le geste syndical n’est plus médiatiquement possible, même plus en face d’une politique de droite totalement décomplexée, alors, ce n’est pas seulement une bataille qui a été perdue, c’est plus, sans doute beaucoup plus.
Mais bon, en même temps, on ne sait pas s’il faut suivre le raisonnement de Bertrand Henne, qui plus est jusqu’au bout. On continuer de manger ses tartines au sirop de Liège, tranquillement.