Je suis née dans un coin reculé du sud de l’Europe, où sexualité et contraception sont tabou, aussi bien dans la famille – entre parents et enfants ou entre fratrie – qu’à l’école. Imaginez-vous des cours sur la sexualité dans des établissements publics où, en 2015, on revendique encore avec ferveur la présence de la croix du christ dans les classes, et où l’unique cours philosophique dispensé est celui de religion catholique ? Bref, la sexualité, c’est niet ! Et la contraception, encore plus, car « ça peut donner de mauvaises idées » ! Restent les copains et les copines, mai ce n’est pas si simple. Peut-être avions-nous déjà intériorisé que l’on ne parle pas de choses intimes, c’est-à-dire de sexe, ni de « choses sales », c’est-à-dire de sexe. Allez savoir…
Quelque mois après mon arrivée dans les terres du nord de l’Europe, alors que j’annonce avoir rencontré un petit ami, j’entends au bout du fil ma sœur aîné qui me dit soudain, d’une voix ferme mais quelque peu cassée : « prends la pilule, hein ! ». Ce sera l’unique fois où on en a parlé. Enfin, parlé…
Mon premier rendez-vous (à vingt ans !) chez une gynéco d’un planning familiale était déjà pris. Elle me prescrit d’emblée la pilule, sans me proposer aucun autre moyen de contraception ni me donner d’explications quant aux répercussions possibles sur ma santé. Je n’en demande pas non plus. Je suis jeune, je prends la pilule, je me sens une jeune femme libre de disposer de son corps.
J’ai pris la pilule pendant cinq ans. Puis j’en ai eu marre. Marre de ne plus sentir mon corps. D’avoir des règles brunâtres plutôt que rouge vif. Marre de dépendre d’une plaquette, d’un médecin pour les prescriptions, marre d’enrichir des multinationales pharmaceutiques. Une petite lumière s’est alors allumée dans ma tête qui m’a poussée à lire ATTENTIVEMENT la notice de la boîte. Ce fut le dernier coup de pouce nécessaire pour me faire arrêter définitivement la pilule contraceptive.
Quand le programme du colloque « Femmes et santé » m’a été présenté, la thématique « droits sexuels et reproductifs » m’a immédiatement interpellée. En particulier la conférence : « Hormones sexuelles en contraception et en ménopause : poisons diaboliques ou instruments clés de de la conquête de l’indépendance féminine ? ».
J’arrive au colloque. C’est l’après-midi. La salle est pleine. Je m’installe au premier rang et allume mon dictaphone. Une longue présentation est réservée à l’orateur, Michel Foidart. Je ne le connais pas – oui, je vous l’accorde, j’aurais dû me renseigner avant d’y aller… – mais je comprends très vite qu’il s’agit de quelqu’un d’important qui a fait une foule de choses dans sa vie, importantes elles aussi !
Je me fais toute petite et j’écoute.
« La pilule et les hormones sexuelles dans le cadre de la contraception et de la ménopause est un sujet extrêmement débattu. »
Certes… mais il n’explique pas pourquoi c’est le cas, et en quoi ce débat consiste.
« D’un point de vue purement médical, [la contraception hormonale] a contribué à l’indépendance féminine. »
Certes… mais elle a aussi contribué à une dépendance pharmacologique, sans parler du contrôle médical du corps de femmes.
« Ce serait présomptueux de dire que ce sont les hormones qui ont libéré la femme, un grand nombre d’éléments sociaux, politiques, sociétaux et conjoncturels ont également contribué à l’émancipation féminine. »
Ah oui quand même, c’est bien de le rappeler. Les luttes de nombreuses femmes qui nous ont amené à jouir aujourd’hui, « nous les jeunes », de droits qui nous paraissent désormais acquis.
Ensuite, la conférence fait place à un historique qui met en parallèle la place des femmes dans la société et les découvertes hormonales en terme de contraception.
Vous pourrez trouver les détails ici.
Aux U.S.A, en plein maccarthysme, les recherches sur la pilule hormonale ne se sont pas déroulées dans un climat paisible. Faute de subsides, la millionnaire Katherine McCormick finance un projet de recherche qui, grâce à la force de persuasion de Margaret Sanger, implique le médecin Gregory Pincus. Les tests pour la première pilule qui sera mise sur le marché seront effectués à Mexico et à Puerto Rico, où la contraception (ou du moins le contrôle des naissance) était autorisée.
C’est sur 250 femmes que les tests sont effectués. Une petite voix intérieure m’interroge. Qui étaient ces femmes ? Etait-ce des femmes pauvres ? Quelles répercussions ont eu ces tests sur ces femmes et leur santé ?
Durant les années soixante, la première pilule est commercialisée. Elle est vendue en vrac. Pour contrer la résistance des églises et des gouvernements plus conservateurs, elle n’est pas présentée comme contraceptif, mais comme « régularisateur de cycles ayant comme effet secondaire le blocage de l’ovulation ».
Le conférencier entame alors son éloge :
« La pilule est une grande satisfaction pour les femmes. Elle fait baisser le taux d’avortement dans les pays où elle est est la plus utilisée. Le taux de mortalité des femmes diminue.[…] La pilule met à l’abri de grossesses non désirées, d’avortements clandestins. Elle permet à la femme de programmer sa vie reproductive d’un point de vue personnel et professionnel. C’est donc un élément de libération considérable.[…] »
Et il poursuit avec une liste infinie d’avantages :
« La pilule permet une régularisation des cycles, des règles moins abondantes, une diminution des risques d’anémie, moins de douleurs au moment des règles et de dysfonctionnement au niveau des ovaires, moins de syndrômes polykystiens, moins de fibromes, moins d’infections pelviennes, moins de risques d’endométriose. Et une diminution des risques de cancer des ovaires et du côlon. »
Je me sens dépassée. J’ai l’impression de me trouver face à une présentation commerciale. Je ne comprends pas ce que je fous là. Je ne trouve pas ma place. Et pourtant, c’est bien des femmes et de leur corps qu’on parle.
Il prend alors une voix charismatique, pour clore la conférence :
« Mais quel est le bon choix ? Le bon choix sera le votre. [sur l’écran, l’image de cendrillon avec sa petite chaussure de cristal]. Chaque contraceptif correspond au profil de la patiente. »
A cet instant, j’ai quasiment failli tomber de ma chaise. Dans la bouche, le goût amer du néo-libéralisme mêlé de conservatisme et de paternalisme. Te faire croire que tu as le choix, que tout ce qu’on fait, c’est pour ton bien en tant que femme. Avec cette cendrillon en fond, symbole à mes yeux de notre société patriarcale et sexiste.
Et je pense à moi, petite jeunette de vingt ans venue d’ailleurs… Ai-je vraiment eu le choix ?
Je me sens seule. Je sors de la conférence avec des questions qui me paraissent être restées sans réponse. La contraception est-elle seulement une question de femme ? Et le partenaire, dans tout ça ? Quelle responsabilité ? Et l’autodétermination des femmes, elle est où ? Dans la dépendance qui s’est construite pendant des années vis-à-vis du corps médical et des grosses firmes pharmaceutiques ? Lesquelles représentent désormais un pouvoir économique qui ne fait rien d’autre qu’instrumentaliser le corps de femmes ? Où est la connaissance de son corps dans tout ça ? Comprendre comment il fonctionne. Se sentir bien. Se sentir épanouie dans un corps qu’on re-connaît et qui est le nôtre.
Je pense à ce qu’une copine qui travaille dans un planning m’avait raconté quelque jours auparavant à propos d’ados qui prennent la pilule sans même savoir ce qu’elle provoque dans leur corps. Est-ce ça, l’émancipation féminine ?