La rébellion de la Nature contre l’Homme est ancrée depuis longtemps dans notre imaginaire collectif. Lorsqu’elle n’incarne pas la colère directe de Gaïa (à l’instar du Phénomènes de Night Shyamalan, dont personne ne sait toujours s’il faut en rire ou en pleurer) ou ne mute pas sur notre bonne vieille Terre des suites d’expériences malheureuses de scientifiques trop zélés, la menace végétale vient volontiers de l’espace ; les formes extraterrestres de spores et autres moisissures se fondant incognito dans le biotope au nez et à la barbe du bon peuple peu soucieux de différencier l’Amanita Muscaria du vulgaire champignon de Paris. Une erreur que regrettent les victimes de Day of the Triffids (1963), adapté de John Wydham, et celles des hommes champignons du Matango d’Ishiro Honda (1963). Le roi des monstres, Godzilla en personne, devra affronter le destructeur Biollante, croisement génétique entre son propre ADN et une rose habitée par l’esprit d’une défunte (la vie est pleine de surprises), dans le fort justement intitulé Godzilla Vs Biollante. Offscreen Liège se focalise sur deux illustrations du thème, deux tonalités différentes pour des œuvres à déconseiller aux personnes allergiques à la chlorophylle.
Graines d’épouvante
Lorsque Jack Finney rédige Body Snatchers (Graines d’épouvante dans sa première publication française), il troque l’arsenal technologique habituellement employé par les extraterrestres belliqueux contre un mode d’infiltration bien plus insidieux : des graines se dévellopant en cosses dont le fruit n’est nul autre que votre copie-carbone, partageant un esprit collectif avec les autres voleurs de corps, et ne laissant du modèle initial qu’un triste cadavre désseché. Quelques serres pour laisser pousser discrètement les premières semences et vous n’avez plus qu’à répandre le mal. Des prémisses idéales pour mettre en place un suspense paranoïaque qui fera école. L’année suivant la publication du texte, le cinéma s’empare du sujet.
Nous sommes en 1956, l’Amérique vient de connaître le maccarthysme et la paranoïa à grande échelle. Une grille d’analyse à priori évidente, mais L’Invasion des Profanateurs de Sépulture témoigne peut-être également de la perte de confiance progressive de l’Amérique en elle-même et de l’arrivée dans la fiction d’épouvante du Mal dans la sphère intime (auquel on ajoutera le fait que l’un des scénaristes fut lui-même sur la liste noire du sénateur McCarthy). Le réalisateur Don Siegel réfutera la lecture politique de son œuvre pour lui préférer des considérations plus larges sur la généralisation de l’apathie. Monteur sur Casablanca et futur réalisateur de L’Inspecteur Harry, Siegel place L’Invasion des Profanateurs de Sépulture sous influence directe du film noir (dans lequel il s’était précédemment illustré), ne sacrifiant jamais le réalisme de son approche malgré le recourt à un éclairage expressionniste, idéal à modeler l’angoisse diffuse que nécessite l’histoire.
Aldrovanda Musica
Avide de chair humaine, la plante carnivore de La Petite Boutique des Horreurs (1986 – Frank Oz) l’est. Rien de tel qu’une bonne dégustation avant de pousser la chansonnette dans cette cultissime adaptation de la comédie musicale à succès, elle-même inspirée de la comédie noire de Roger Corman. Célèbre pour son implication dans le Muppet Show et son travail de génie sur Yoda dans les films fondateurs de la saga de George Lucas, Frank Oz s’adonne occasionnellement à la réalisation et cette petite boutique fait sans conteste partie du haut du panier de sa filmographie.
Outre son attraction principale nommée Audrey II, plante carnivore géante et accessoirement véritable merveille d’animation traditionnelle, Frank Oz réunit un pur idéal de casting de comédie 80’s : Rick Moranis, Steve Martin et une apparition mémorable de Bill Murray dans un rôle tenu par un Jack Nicholson débutant dans le film d’origine. Enjoué dans le ton, La Petite Boutique des Horreurs n’en est pas moins cruel sur le fond, au point que la fin originale, particulièrement dévastatrice, sera retournée au profit d’un final consensuel suite à des projections test peu enthousiastes. En 2012 néanmoins, le film est enfin édité dans sa version intégrale, apportant la dernière pierre à un édifice jouissif qui reste, aujourd’hui encore, le plus grand film de plante carnivore géante extraterrestre chantante avec un Steve Martin chevelu dedans.
Christophe Mavroudis
La Petite Boutique des Horreurs : en Double Bill avec Invasion U.S.A., samedi 14 mars à partir de 19h30, à la Zone – Présenté par Valentine Deluxe.
L’Invasion des Profanateurs de Sépulture : mercredi 18 mars à 20h au cinéma Sauvenière.