Cette année le Festival OffScreen met le cinéma de la Cannon à l’honneur. Petit retour sur cette société de production mythique.
La Cannon ? C’est le kitsch, le cinéma de l’inavouable mêlant ninjas, monstres vintages et bimbos peu vêtues. La Cannon, c’est Delta Force, Invasion U.S.A mais aussi Le Bras de fer ou encore Le justicier de minuit. Bref, les années 80 en plein ! Des perles du cinéma, que l’on doit aux Israéliens Menahem Golan et Yoram Globus, fondateurs de « Noah Films », société de production qui remportera une nomination à l’Oscar du meilleur film étranger et le Golden Globe en 1965 grâce à son Sallah Shabati. Noah Films rencontre un certain succès avec ses films Opération Thunderbolt et Lepke le caïd (avec Tony Curtis) mais peine à se faire une place sur le marché international. En 1979, Golan et Globus rachètent Cannon Group, société américaine de productions de films à petits budgets spécialisée dans les films d’horreur et les nudies (films de « madames-toutes-nues »).
Le début d’une grande aventure pour les deux cousins puisque pendant plus de dix ans, la Cannon inonde les salles de ses œuvres avec plus de 300 films au total. La petite société devient une des entreprises les plus prolifiques d’Hollywood. Le secret de son succès ? Compenser ses scénarios parfois aux limites de l’indigence par des effets d’annonce démesurés. Les deux comparses ne se refusent rien : promo des films sur des ballons dirigeables, rachats de salles de cinéma en Angleterre, en Italie, aux Pays-Bas et en Allemagne. Ils décident également de racheter les studios londoniens d’Elstree et s’implantent en France où ils créent Cannon France. Le duo se positionne ainsi en tant que producteurs, distributeurs et exploitants. La notoriété croissante de la société lui permet de relancer les carrières de Charles Bronson et Chuck Norris, icônes du patriotisme musclé américain, et lui permet également de s’associer à quelques grands noms comme ceux de Sylvester Stallone, Shô Kosugi – le méchant de L’implacable Ninja –, Richard Chamberlain, Lou Ferrigno ou encore Dolph Lundgren. Les cousins vont même lancer la carrière d’un certain Jean-Claude Van Damme : une démonstration d’arts martiaux au milieu d’un restaurant et notre JCVD national décroche son premier rôle à succès, celui de Frank Dux dans Bloodsport.
Mais la Cannon, c’est aussi des films d’auteurs comme Runaway Train d’Andreï Kontchalovski, Love Streams de John Cassavetes ou encore Barfly de Barbet Schroeder. Ces quelques films dénotent mais témoignent d’une volonté d’entrer dans la cour des grands en décrochant, pourquoi pas, une palme ou une statuette. Très peu reconnue par ses pairs, la Cannon ne souffrirait pourtant pas d’une ou deux récompenses prestigieuses. Golam et Globus en sont pour leurs frais puisqu’ils ne reçoivent que l’Ours d’Or du Festival de Berlin en 1984 pour Love Streams, et le prix de consolation au Festival du Film de Venise en 1985 avec Le Soulier de satin de Manoel de Oliveira. Golan propose même à Jean-Luc Godard de réaliser une adaptation d’une pièce de Shakespeare : King Lear. Le film ne reste que cinq jours à l’affiche aux Etats-Unis et n’est projeté qu’une seule fois en France car les deux producteurs, scandalisés par la version finale, entrent en conflit judiciaire avec l’auteur d’A bout de Souffle. Le film, invisible pendant plus de dix ans, réapparaît en 2002 avec une adaptation diffusée en France par Bodega Films.
Surnommés les « Go-go Boys », les cousins enchaînent les investissements hasardeux et les flops se succèdent : Le bras de fer – considéré comme le plus gros échec de la carrière de Stallone –, Cobra, Le Justicier braque les dealers, Massacre à la tronçonneuse 2, ou encore Superman IV, l’un des derniers clous dans le cercueil de la Cannon. Reprendre une franchise de Majors en réduisant les budgets de moitié ne fait qu’écorner l’image du super-héros à coups d’effets spéciaux catastrophiques, et le public ne cache pas sa déception. Ne tirant aucune leçon de leurs échecs, les compères continuent d’investir aveuglément à la fois dans le cinéma d’auteur et dans les productions nanaresques. Produire plus pour gagner plus… la Cannon s’enlise. Au début des années 1990, la société met la clé sous le paillasson. Cannon Group finit par être racheté en 1993 par Metro-Goldwyn-Meyer avant de définitivement disparaître en 1994.
Grâce à ses productions éclectiques et ses célèbres ninjas, ainsi que la personnalité haute en couleurs de Menahem Golam (l’homme exhibera fièrement la nappe sur laquelle il a signé le contrat avec Godard avant de l’insulter quelques années plus tard en pleine conférence de presse), la Cannon est un véritable kaléidoscope de scandales et de coups foireux, paradoxalement susceptible de laisser carte blanche à ses réalisateurs (Tobe Hooper se montre volontiers très nostalgique de son passage dans la firme).
2014 : année de la consécration avec la sortie des documentaires Electric Boogaloo de Mark Hartley, et The Go-Go Boys commandité par les deux cousins. Ce dernier, présenté à Cannes, permet à Golan de fouler une dernière fois le tapis rouge, aux côté de son comparse de toujours, avant de décéder le 8 août 2014. La sortie contiguë des deux films consacre l’esprit Cannon : enthousiasmés initialement par le projet de Mark Hartley, dont la mise en chantier précède le leur, Golan et Globus tentent de prendre les commandes. Hartley résiste, et les comparses se retirent brusquement du projet, annonçant quelques semaines plus tard la réalisation de The Go-Go Boys, produit par eux-mêmes sur eux-mêmes, en toute objectivité et dont la sortie prématurée tentera de court-circuiter le film de Hartley. On n’apprend pas aux vieux singes à faire la grimace.
Invasion U.S.A, en « double bill » avec La petite Boutique des Horreurs, samedi 14 mars à partir de 19h30, à la Zone. Présenté par Valentine Deluxe.
Electric Boogaloo : jeudi 19 mars à 20h, au Nickelodéon.
The Go-Go Boys : vendredi 20 mars à 20h, au cinéma Sauvenière, présenté par Dick Tomasovic et Michael Goldbergh.