Après mon expérience chez la gynéco, j’ausculte encore plus attentivement le programme « Femmes et Santé ». Je râle de ne pas pouvoir assister à la conférence d’ouverture le mardi 29 janvier de Martin Winckler, médecin progressiste et féministe. Celui-là même qui le 18 janvier dans son Webzine invitait ses lectrice/eurS à participer au blog Gyn&Co qui propose aux patient-E-s d’établir des listes de soignant-E-S afin de co-construire un « commun », une « éthique commune » de la relation soignant/E-patient/E, de la débarrasser de préjugés de tous ordres, et de respecter les savoirs de l’unE et les besoins de l’autre, pour une prise en charge adaptée de chacunE.
En tous cas, je me dis que cette conférence est de bon augure pour la suite du colloque, « vivement mercredi ».
Le colloque Femmes et Santé présente un programme très fourni avec plus de 40 intervenant-E-s issu-E-s des sciences humaines (philosophie, psychologie, sociologie, sciences politiques, histoire), des sciences dures (médecine, biologie) et d’ONGs.
Etre née femme (identifiée biologiquement et civilement comme telle), nous inscrit dans différents organigrammes et systèmes de valeurs : religieux, politique, économique. Etre une femme vivant au nord ou au sud, être une femme en Irlande ou en Suède, être une femme en période de déclin démographique ou dans l’après-guerre, etc. n’impliquera pas les mêmes enjeux en matière de santé. À priori, le colloque me semble être le lieu où vont pouvoir être mis en perspective et en débat ces différents enjeux à la lumière d’informations éclairées par des champs de recherches et de pratiques variés.
Une journée au colloque « Femmes et santé »
Conférence n°1 : Discours et représentations du corps féminin de la Renaissance à la fin du XVIIIè, approches contemporaines des représentations du corps féminin.
Marie-Elisabeth HENNEAU, historienne, nous rappelle que le va-et-vient entre régimes d’oppression et espaces d’émancipation ou de réappropriation identitaire est le fait d’une longue histoire très peu présente dans les théories féministes occidentales, qui ont tendance à considérer les premiers interstices féministes ouverts avec les Lumières, comme si tout ce qui a précédé n’était qu’obscurantisme.
Elle attire notre attention sur des petites choses que la Grande Histoire, même féministe, n’a pas toujours mentionnées. Ces fragments d’histoire constituent un corpus irrévérencieux qui témoigne de la pro-activité de certaines femmes et de la capacité à s’inventer et exister par elles-mêmes, en produisant, l’air de rien, leurs propres discours, leurs propres codes au sein d’une idéologie dominante et oppressante.
Ainsi, elle (re)dévoile les processus mis en place par l’Eglise et par la science pour produire discours et représentations des femmes, limitant et conditionnant leurs possibilités d’exister en tant qu’individuEs singulières. En contrepoint, elle témoigne des brèches ouvertes par des femmes de l’Ancien Régime afin de produire leurs propres espaces d’expression et de représentations en détournant la contrainte. À la lumière de cette histoire, les vocations religieuses peuvent apparaître à certains égards comme des manifestations féministes : la manière de porter l’habit religieux, le rapport aux plaisirs de la chair (nourriture) dans les cloîtres, le choix du célibat, la possibilité de penser la « maternité » en dehors de l’implication organique de l’utérus, etc.
Le Christ de Lessines incarne la représentation de la possibilité pour une femme d’accueillir le divin (« Lamentation autour du Christ » présentant un Christ barbu mais avec des seins, veillé par les Saintes Femmes. Etonnante huile sur bois de la fin 16e siècle reprenant le thème du Christ maternel et nourricier). To be queer or not to be !
M.E. Henneau nous parle aussi de la querelle des femmes, de toutes les productions de discours et de la place des femmes intellectuelles au sein des salons. En quoi ces discours, au-delà des railleries dont ils ont pu faire l’objet, ont permis de poser les fondations des premiers possibles en termes d’égalité femmes-hommes, et d’émancipation des normes sociales (amitié femme-homme, célibat, etc.).
Je trouve intéressant de regarder dans le rétroviseur. Ces histoires me font penser à des stratégies contemporaines d’élaboration d’auto-représentations face aux idéologies et régimes dominants, des pratiques queer au féminisme islamique, en passant par le cabaret burlesque ou les discours sur la non-maternité.
Conférence n°2 : « L’avortement et le corps des femmes dans les années 60-70 »
Valérie PIETTE, historienne, révèle à la française que je suis l’histoire de la lutte pour l’avortement en Belgique : Willy Peers, le chanoine, le roi, Mai 68, Humanae Vitae, les plannings familiaux, Marie Mineur, Jeanne Vercheval, les politiques de repeuplement, etc. Les résistances individuelles deviennent à ce moment-là résolument collectives et s’incarnent à travers des luttes pour obtenir des droits spécifiques, trouvant un relais auprès de certains hommes.
Enfant de soixante-huitarde, je me sens plus en congruence avec ces luttes, directement en filiation avec les droits qu’elles ont acquis et les espaces d’émancipation qu’elles ont ouverts. Pourtant, un reflux amer me parcourt le corps.
Conférence n°3 : « Ecarts législatifs en Europe, focus sur les droits sexuels et reproductifs »
Rachel BRAHY nous fait la lecture de la communication de Véronique DE KEYSER, psychologue et ex-députée européenne. Cette communication s’inscrit dans la lignée de celle de Valérie PIETTE et présente l’articulation entre les luttes féministes et les politiques de santé publique en Europe : le principe de subsidiarité ; le politique et l’intime ; le coût de l’austérité pour les femmes ; le lobby de l’Eglise etc.
Nous sommes ici et maintenant, dans une Europe en crise économique et institutionnelle. On parle de moi, on parle de mes frangines en Irlande, en Espagne, en Grèce, de mes camarades des années Erasmus.
Les mots récession et régression ricochent tour à tour dans ma tête. Je suis d’une génération qui pensait que tous ces droits étaient acquis, que certaines batailles gagnées durement (droits des femmes, droits des homosexuel-le-s, droits sociaux) ne seraient plus à mener, que les soixante-huitardEs avaient fait le job correctement. Je pensais que ma génération et les suivantes allaient conquérir de nouveaux territoires : droits des transgenres, queer-isation des relations et des institutions, post-colonialisme, etc.
Que s’est-il passé ? A quoi ces luttes ont-elles cédé le pas ?
Conférence n°4 : « Hormones sexuelles en contraception et ménopause : poisons diaboliques ou instruments clés de la conquête de l’indépendance féminine »
La journée se clôture alors par l’intervention de Jean-Michel FOIDART, médecin spécialiste en gynécologie-obstétrique et cofondateur de Mithra. Il est apparemment très attendu et plébiscité par certaines membres de l’organisation du colloque, et n’est rien venu nous conter d’autre que la simple et belle histoire du stérilet hormonal qu’il vient de développer avec la société pharmaceutique wallonne Mithra, et avec la complicité de Warren Buffet. Le ton est élégant, assuré, paternaliste et drôle (enfin, selon l’humour). J.M. FOIDART entame un résumé lapidaire et subjectif de l’histoire des femmes et de leur émancipation à la lumière de l’apport des contraceptifs hormonaux. En réalité, il s’est lancé dans la défense de la thèse partisane pro-hormone qui a pour habitude fâcheuse d’oblitérer toutes les pratiques et expériences qui peuvent exister par ailleurs.
Cette conférence nous présente le développement des produits hormonaux à destination des femmes comme un progrès du point de vue de la science, mais également de l’économie capitaliste. Le prêche est contemporain, le prêcheur modéré. Il se targue de philanthropie, ne produisant pas pour l’Eglise, ni pour les vilaines sociétés pharmaceutiques – il cite Bayer – qui ne seraient animées que par des intérêts capitalistes. Il produit en Wallonie pour les femmes wallonnes et luxembourgeoises, pour sauver des emplois ici et maintenant, et pour Warren Buffet, son ami investisseur qui, de son côté, être très attaché au sort Des-Femmes-Du-Sud auxquelles il compte fournir ce nouveau stérilet hormonal en masse.
Je suis déçue : les modératrices du colloque ne mettent pas en perspective cette présentation partielle des enjeux liés à la contraception féminine avec des enjeux transversaux et globaux comme le marché économique, les politiques natalistes, la prévention des MST, les rapports nord-sud an matière de santé publique, etc., bref, ce qui a été évoqué précédemment dans la journée.