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Bruxelles Lobbyzness

17 avril 2015

Vendredi 27 mars, quelques membres de l’équipe du C4 et moi-même, jeune stagiaire plein d’ambition, sommes partis à Bruxelles pour faire une petite excursion dans le quartier Schuman, vous savez, le quartier Européen de la capitale. Au milieu du rond-point, face à la commission, une bande hétéroclite nous attendait déjà pour commencer notre parcours. Ils nous accueillent en anglais, inévitable quand il s’agit de parler des affaires Européennes…

J’avais tout prévu, ma fausse carte de presse, mes sourcils froncés exprimant-tout-mon-sérieux-et-mon-intérêt-pour-ce-que-vous-dites-Monsieur, mes lunettes de soleil, mon bloc note, mon stylo, mon enregistreur et…

Et je n’ai eu besoin de rien de tout ça!

La visite était en fait ouverte à toutes et tous, elle s’est déroulée nonchalamment, avec simplicité et humour. Pour changer, il a fait moche toute l’après-midi, le vent et les bruits de travaux omniprésents dans le quartier ont rendu prise de son ou de notes impossible. Je n’ai donc que mon jeune cerveau issu de la génération écran plat pour me remémorer tous les évènements de cette petite balade.

Des lobbys comme lubie.

On s’imagine bien ce qui se déroule dans l’arrière-cour du spectacle Européen, certains documentaires comme « The Brussels Business »  nous l’ont déjà fait comprendre, je me demande alors ce qu’une simple visite aura à m’apprendre de plus sur la question.

Ce « Lobby Tour » est organisé par le C.E.O.* et a comme objectif de nous emmener, le temps d’une promenade, découvrir les arcanes du pouvoir Européen.

*CEO = Corporate Europe Observatory, cet acronyme désigne habituellement un Corporate Executive Officer, le chef d’une société, le boss quoi, celui qui tiens les manettes, qui a un plus gros salaires et donc la grosse bagnole qui va avec.

En effet, la première information frappante concerne la concentration géographique des lobbies sur le sol Bruxellois. Pour faire une métaphore délicate, on pourrait dire que ceux-ci sont agglutinés autour des institutions européennes comme des mouches qui gravitent autour d’un caca. Un très gros caca. Bien faisandé. Avec beaucoup de mouches.

Ah mais oui messieurs dames, en fait, Bruxelles c’est le 2ème pôle du lobbysme mondial, rien que ça, au-dessus de notre capitale il n’y a que le Capitole (à Washington DonC)!

And ze winneur hisse…

La 2ème place nous revient autant en termes d’audimat que de dépense annuelle, il y aurait entre 15.000 et 30.000 lobbyistes à Bruxelles. Deux tiers d’entre eux seraient liés au milieu des affaires et de la finance (ce qui nous laisse au maximum un tiers pour tout ce qui relève directement de l’intérêt public et de la société civile…super). Ceux-ci dépenseraient chaque année quelques centaines de millions d’euros afin d’influencer les processus de décisions Européen.

Vous allez me dire que c’est vachement approximatif tout ça.

Ouai, c’est vrai, que je vous répondrai. ET JUSTEMENT, j’y arrive, ces petits coquins de lobbyistes sont plus discrets que les membres d’un club échangiste, aucune loi n’exige actuellement qu’ils ne se déclarent, ni identité, ni adresse, ni nom de la compagnie pour lesquelles ils agissent. D’accord, il existe un registre volontaire pour lobbyiste mais bon…

C’est à peu près comme si on avait une case « revenu issus du travail au noir » ou encore « dessous de table généré par mon clientélisme » dans nos déclarations d’impôts, je ne pense pas que beaucoup de monde se précipiterait pour les remplir, ces cases.

Les lobbyistes c’est la même chose, ils savent bien où se trouvent leurs intérêts. En l’occurrence, leur intérêt commun c’est de rester discret, voire anonyme. Par contre, eux sont bien renseignés sur leurs cibles, on apprendra au détour de deux buildings que le groupe Philip Morris a été surpris la main dans le sac. Pas bien, Philip, méchant méchant !

Au coin Philip !

Malgré l’évidence éthique et morale d’éviter pour tout groupe issu de l’industrie du tabac de prendre contact avec les élus Européens en charge sur ces questions (conflits d’intérêts, anyone?), un document interne a fuité et nous raconte que Philip Morris détient un véritable répertoire des élus. Ce document bien fourni contient des informations sur l’identité de 233 parlementaires et bien plus encore…

Leur couleur préférée, en couple ou pas, leurs emplois du temps, la composition de leur famille, si il ou elle aime bien faire de la moto, qui aime bien boire un coup le weekend…

Je vous vois venir, Philip Morris, leader sur le marché des rencontres matrimonial entre eurocrates, c’est ça? Beh non, désolé, www.elitedating.be ça existe déjà, le nom de domaine est pris, raté (en plus, ils ont l’air d’assez bien se débrouiller entre eux).

Par contre, savoir que notre cher parlementaire X est passionné de course hippique et chevauche au manège de Hoeilaart tous les week-ends ça peut s’avérer utile lorsqu’il s’agira de le convaincre de l’innocuité des additifs dans les cigarettes, il faut les brosser dans le sens du poil ces bêtes-là (les parlementaires, pas les chevaux). C’est pour ça que Philip s’arrange pour voir tout ces amis au moins une fois par mois ! Un petit café par-ci, un tour de manège par là, un poster de licorne le vendredi, un vote favorable le lundi… ?
L’amitié, relation basée sur la réciprocité et la confiance, c’est beau non ?

Après, chacun sa méthode, on nous dit qu’il faut parfois savoir être direct pour séduire.

Tâime iss maunie.

On apprendra aussi que comme en amour, les affaires c’est une histoire de timing et de première impression. Devant un bâtiment fourmillant de cols blancs, nos euro-guides nous ont présenté un petit graphique réalisé par la société BASF, celui-ci nous explique que c’est lors des premières discussions et négociations que l’influence du lobbyiste sera la plus efficace. La première phase d’un projet de loi serait donc la plus rentable. Beh oui, les lois du rendement et de rentabilité s’applique aussi ici hein, on est dans l’euro-bulle mais on garde les pieds sur terre quand même. Lobbyistes ≠ membres du club de charité pour Eurocrates. Non mais allô.

 

 

 

On peut s’imaginer que le processus fonctionne bien, par exemple en analysant les publications du site LobbyPlag.eu, on s’aperçoit vite que le copier-coller est devenu une pratique rédactionnelle commune chez les décideurs Européens. On retrouve parfois des documents contenant des propositions faite par les lobbyistes qui sont identiques aux textes légaux proposés à l’assemblé puis voté. Ca marche tellement bien qu’on installe de nouveau clavier dans les bureaux. Moins cher et plus ergonomique à ce qu’il paraît.

Une visite écrasante.

Cette visite nous a permis de nous rendre compte physiquement du poids du lobbyisme à Bruxelles, on est plus dans le fantasme, on voit les bâtiments, on voit la carte, on regarde d’un air suspicieux tout les encravatés aux allures de golden boy qu’on croise (et ils sont nombreux)…

La bureaucratie Européenne nous apparaît alors comme un spectacle à la mécanique bien huilée et qui nous dépasse complétement. Nos guides nous apprendrons encore que le phénomène des “Revolving Doors” est devenu une pratique avérée et récurrente, un zigzag constant entre des postes à responsabilités publiques et privées qui laissent présager les pires des abus. Du conflit d’intérêt aux petits (ou gros) privilèges, la marge de manœuvre est large, tout comme l’imagination de ceux qui s’en inquiète.

A l’image du quartier que nous avons visité, défiguré par une tempête de bureaux et de buildings, il y à de quoi attraper le tournis avec la vitesse et le fourmillement des euro-activités qui se déroule chaque jour à Bruxelles sous une opacité impénétrable. Impénétrable peut-être mais pas imperméable, les fuites se faisant heureusement de plus en plus récurrentes mais restant malheureusement toujours aussi alarmante.

La transparence n’est décidemment pas encore dans l’air du temps.

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