« Je n’aime pas les gens. »
C’est ce que j’ai pour habitude de dire pour avoir la paix et c’est généralement une bonne façon de tenir à l’écart la populace.
En effet, passer pour une personne désagréable est un excellent moyen de ne pas être emmerdée, alors que dans le fond, je ne suis pas si désagréable que ça : je suis simplement introvertie. Le hic, c’est que l’inconscient collectif semble confondre introversion et timidité ; un état de fait qui me conforte dans l’idée – certes un peu radicale – que les gens sont cons.
Quand je me suis lancée dans la rédaction de ce billet, j’ai demandé à mes contacts facebook ce que signifiait « introverti » à leur sens et j’ai eu de tout, ainsi que beaucoup de n’importe quoi : les adjectifs réservé, timide, taciturne et complexé côtoyaient ainsi la discrétion, le sens de l’analyse, un penchant plus prononcé pour l’introspection et l’idée de tirer de l’énergie de son monde intérieur. L’image du cocon ou de l’escargot est également revenue à plusieurs reprises.
Plus qu’un réel trait de caractère, l’introversion se traduit avant tout par un immense besoin de solitude, car c’est elle qui permet aux introvertis de recharger leurs batteries quand leurs réserves s’épuisent : contrairement à nos camarades extravertis qui se nourrissent au contact d’autrui, les rapports humains ont tendance à pomper notre énergie vitale, et ce n’est qu’en rentrant dans notre coquille que nous nous ravitaillons.
C’est le psychanalyste Carl Gustav Jung qui, le premier, a défini les concepts d’introversion et d’extraversion dans son ouvrage « Types psychologiques » en 1921. Par la suite, il insistera toutefois sur le fait qu’« il est assez stérile d’étiqueter les gens et de les presser dans des catégories »[1]. Il est cependant bon de savoir de quel côté de la barrière on se situe, ne serait-ce que pour préserver sa santé mentale : selon plusieurs études, les introvertis seraient davantage sujets à ce mal du siècle qu’est le burnout que les extravertis – une faible résistance au stress due au fait qu’en ces temps d’open space et d’hyperconnexion, il est devenu difficile de s’isoler et de prendre son temps.
Cela ne fait pas de nous des antisociaux, quand bien même il nous arrive, par facilité, de faire passer notre introversion pour de la pudeur, de la timidité ou même de la sociopathie : il est en effet parfois plus commode de passer pour réservé, taciturne ou franchement grossier plutôt que d’avoir à expliquer ce besoin de solitude socialement peu valorisé. Comme l’écrivait déjà la romancière Anaïs Nin, « [n]otre culture a élevé au rang de vertu le fait de vivre comme des extravertis. Nous avons découragé le voyage intérieur, la quête d’un centre. Aussi avons-nous perdu notre centre, et il nous faut le retrouver ».
En quête du centre
En me renseignant auprès d’introvertis de mon entourage, cette quête du centre semble être au cœur de leurs préoccupations et rend difficile le multitasking, quand bien même ceux qui alternent les activités sur de courtes périodes soient nombreux parce que la société attend de nous de savoir jongler. Et comme me le faisait très justement remarquer une connaissance, cela ruine généralement le processus, qui est de se recentrer ; processus qui se traduit par le besoin de faire le vide à intervalles réguliers.
Autre élément récurrent, celui des nourritures spirituelles et un besoin de s’évader à travers des activités que je qualifierais de plus « contemplatives ». Ainsi, lire, voir et écouter des histoires, que ce soit par le filtre littéraire, musical ou cinématographique, permet de nourrir un monde intérieur déjà riche qui demande parfois à être réalimenté une fois que le vide a été fait. C’est ce que j’appelle « le principe de l’éponge », à savoir un besoin presque physique de se remettre du plomb dans la cervelle quand on en a dans l’aile : certains pratiqueront un sport exigeant peu d’esprit d’équipe (course à pied, vélo, randonnée, tir à l’arc, etc.), d’autres s’adonneront aux loisirs créatifs, tandis que d’autres encore se plongeront dans la lecture, la musique ou le cinéma, les voyages quand ils ont besoin à la fois de grand air et d’anonymat ou encore le contact humain pour peu que celui-ci soit soigneusement trié sur le volet, le rejet des conversations mondaines étant une caractéristique commune aux introvertis.
Qui sont-ils ?
Selon les sources, nous représenterions 25 à 50% de la population mondiale. Un chiffre extrêmement vague dû au fait que beaucoup d’entre nous ignorent leur nature[2]. Une mienne amie me confia récemment que ça lui aurait vraiment simplifié la vie de se savoir introvertie plus tôt, tout empêtrée qu’elle était dans la confusion classique entre timidité et introversion.
Parmi les introvertis célèbres, citons Audrey Hepburn, Björk, Eleanor Roosevelt, Albert Einstein, Bill Gates ou encore Charles Bukowski, pour ne mentionner que quelques personnalités ayant fait leur « coming out ». Au cours d’un entretien avec The Guardian en mars 2010, l’actrice Drew Barrymore mit les pendules à l’heure en déclarant qu’il existe une « énorme différence entre être seul et souffrir de sa solitude. Vous pouvez vous sentir seul au sein d’un groupe. (…) Je dois prendre sur moi et me dire que je dois vraiment voir mes amis parce que j’aime énormément passer du temps en solitaire ».
En effet, comme nos voisins germaniques, les anglo-saxons font une subtile distinction entre être seul et souffrir de sa solitude (alone et lonely dans la langue de Shakespeare ; allein et einsam dans celle de Goethe). Jean Yanne, cet autre génial introverti, semblait d’ailleurs déplorer cette absence de nuance en déclarant au magazine Première en mars 1999 que « solitude ne veut pas dire isolement. Ce n’est pas parce qu’on est seul qu’on est mal ». Au contraire, notre solitude garantit notre bien-être, ce qui ne nous rend ni moins sociables ni moins bavards ni forcément plus casaniers que nos copains extravertis (qu’il nous arrive par ailleurs de fréquenter avec beaucoup de plaisir) : la seule différence entre eux et nous est l’endroit où nous puisons notre énergie ; eux du monde extérieur, nous du monde intérieur.
La réelle question est de savoir si l’on se sent physiquement et mentalement épuisé après avoir passé beaucoup de temps en société, ou si, au contraire, ça nous stimule.
[1] Carl Gustav Jung, « L’homme à la découverte de son âme », éd. Albin Michel, p. 117.
[2] à titre d’exemple, le Myers-Briggs Type Indicator proposé en 1962 par les théoriciennes Katharine Cook Briggs et Isabel Briggs Myers aide à l’identification des dominantes psychologiques d’un individu.
Bibliographie :
Susan Cain, « La force des discrets – le pouvoir des introvertis dans un monde trop bavard », éd. Jean-Claude Lattès, 2013.
(voir aussi sa conférence TED)
Pour aller plus loin :
L’introversion en B.D. par Lucie Bryon,
l’introversion en B.D. par Roman Jones,
l’introversion en infographies par Buzzfeed.