Le plan initial de ma chronique est d’explorer la créativité parisienne avec mon regard de Wallifornienne. La première parlait d’une expo sur Game of Thrones. La deuxième s’intéressait au festival #IloveTransmedia. Mais avec les « récents événements », comme dirait mon voisin Roger, vous comprendrez bien que je n’ai pas la tête à vous parler de tout et n’importe quoi. Parler de l’après vendredi 13 devient incontournable quand chaque conversation commence par : « Et toi, ça va ? T’étais où ? »
J’étais chez moi, dans le 10e arrondissement, à quelques rues du Petit Cambodge, devant le match France-Allemagne. Je ne le trouve pas passionnant et préfère discuter avec ma sœur. Un texto de mon frère : « C’est quoi ce bordel à Paris ? » m’interpelle. Comme si j’allais avoir une vue d’ensemble sur la ville, je regarde par la fenêtre. Rien. Je reviens vers la télé, allume mon ordinateur, apprends les nouvelles et m’informe en continu jusqu’à 3h du matin, heure à laquelle je ne tiens plus physiquement, il me faut dormir quelques heures. Choquée, émue, triste. Vraiment triste.
« Par chance, tout le monde va bien. »
La suite, tout le monde la connaît. Les formules de circonstance inondent les réseaux sociaux : « toutes mes condoléances », « soutien aux familles et proches des victimes », « solidarité », « R.I.P. ». Inévitable. Quand Paris est touché, le monde (presque) entier pleure. On se retrouve tous à écrire la même chose dans ces moments-là. C’est sincère. C’est souvent très beau. J’ai pleuré pour des gens que je ne connaissais pas. Ou pour des amis d’amis, des amis de connaissance ou un mec que je suivais sur Twitter et dont j’aimais lire ses tweets.
Je ne suis pas sortie mettre une bougie à République, je ne suis pas allée dans un bar le lendemain pour dire fuck à Daesh. Mes potes n’étaient pas sur Paris, je n’avais aucune raison de sortir. Je continue de recevoir des messages de soutien, comme si c’était moi qui étais en deuil. On me demande si ça va, comme si c’était moi qui avais été blessée. Je n’ai rien. Je vais bien.
« Vous n’aurez pas ma haine. »
Les témoignages des victimes, des rescapés ou des proches se multiplient. On lit l’horreur comme si on la découvrait pour la première fois. Des témoignages « glaçant », « effrayant », « émouvant », « poignant », « exclusif ».
Ma nuit au Bataclan :
Ma nuit au Bataclan
Disclaimer : Ce billet est pour moi, pour mémoire de ce que j’ai vécu sur l’instant. Il est chiant, parle de trucs futiles et raconte ma vie. J’écris pour me souvenir et c’est (heureusement) pas illustré. En bref : j’ai rien vu, j’ai eu de la chance, je suis en vie.
« Pour ceux qui veulent savoir sachent » :
« Bien sûr que je vais te vomir toute ma version dessus, tu vas pas comprendre, meuf »
« Vendredi, j’ai rejoint mon amie des concerts vénères, celle qui fait des pogos avec moi comme quand on avait 14 ans, celle que je perds dans la foule après la première chanson et que je rejoins à la fin avec un « c’était si BIEN, nan ? SI BIEN OUAIIIIS ! »
Deux heures trente avec les terroristes du Bataclan :
Deux heures trente avec les terroristes du Bataclan
Stéphane T., 49 ans, fait partie de la dizaine de spectateurs pris en otages par les terroristes pour servir de bouclier humain et communiquer avec la police. Il raconte le choc de l’attaque, l’attitude des assaillants et l’assaut final. Et la difficulté de réaliser qu’il a été au cœur d’un tel drame.
D’abord publié sur Facebook, un texte fait le tour des médias : TF1, La Croix, Libération, Auféminin.com, RTL, L’Express, France TV, Télé Loisirs, Midi Libre, Metro News… Celui d’Antoine Leiris dont la femme a été tuée vendredi 13.
Mon premier réflexe à moi, c’est de partager ce statut sur Facebook écrit par un certain Benoît Meledina (que je ne connais pas) le 14 novembre à 03 heures 07 minutes :
Petite piqûre de rappel avant la vague de conneries qui se profile à l’horizon : l’attaque qui vient d’avoir lieu à Paris, ce sont les mêmes actes de barbarie qui ont eu lieu jeudi à Beyrouth, il y a quelques mois à Sousse, et qui ont lieu tous les deux jours au Moyen-Orient – sauf que là ça se passe sous nos fenêtres – mais c’est également la même barbarie que tous les réfugiés en exode à travers l’Europe en ce moment tentent de fuir en quittant leur pays. Leur exode n’est pas la cause des attentats, mais la conséquence.
Soyez Charlie, Paris, Beyrouth, Sousse, tout ce que vous voulez mais de grâce ne soyez pas cons.
Et ce dessin de 20/20, dessinateur belge, publié par Le Poiscaille :
Quand certains contacts se drapent des couleurs de la France et appellent à la répression, d’autres diffusent des messages de paix et d’amour. Pendant ce temps-là, la France déclare l’état d’urgence. La Belgique se met en alerte 4, sur 4. Les manifestations sont interdites. Les contrôles d’identité et fouille de sacs deviennent quasi systématiques. La surveillance, partout, tout le temps. Il paraît que c’est pour notre bien, pour nous protéger.
« Je n’ai pas peur. »
Je commence à digérer les événements et rassembler mes esprits avant de partir à Liège quelques jours pour travailler. Les policiers et l’armée patrouillent. En Belgique aussi. Sur le retour, alors que le pays est sur les nerfs à la recherche des suspects des attaques, je reprends le Thalys pour rentrer sur Paris. Le contrôleur ne me voit même pas et ne contrôle pas mon billet. En arrivant sur Paris une voix féminine prévient les voyageurs que tous les sacs seront fouillés. Je passe sur le côté, un flic me laisse passer sans même contrôler mon passeport. Je suis passée à travers. Je n’avais pas besoin d’en être convaincue mais je l’ai à nouveau vécu : je passe inaperçu. Pour combien de temps encore ?
Bien sûr, je n’ai pas peur de sortir, je n’ai pas peur de vivre, je n’ai pas peur de lire un livre, aller au ciné, boire un verre (alcoolisé ou non) ou me rendre à un concert. Je suis blanche, j’ai 26 ans et suis une privilégiée dans la précarité. Mais je commence à avoir un peu peur d’aller à un match de foot, parce que je suis identifiée sous le profil « supporter de foot » jugé « à risque ». Je vais sans doute avoir un peu peur d’aller dans une manifestation, parce que je vais me retrouver associée au profil « militante de gauche » ou « militante écolo » – alors que je n’ai moi-même jamais réussi à me définir. J’ai peur de cette catégorisation de la société qui te retire la possibilité de discuter.
J’ai ressenti la peur de me trouver face à un mur de policiers en descendant du train en me disant que je n’avais pas le choix de dire non à la fouille de mon sac. Pour le bien et la sécurité de tous.
Et puis, il y a ce soir de 22 novembre. Bruxelles est paralysée par des opérations policières et militaires. La police demande de ne pas informer. Les médias s’exécutent et consentent à se réduire au silence. (Même plus besoin d’une décision de justice pour les museler comme ça a été le cas pour Médor. Le trimestriel belge est interdit de publication et de diffusion d’un article par une ordonnance rendue mercredi 18 novembre 2015 par le président du tribunal de 1e instance de Namur suite à une requête unilatérale de Mithra Pharmaceuticals S.A. – sous peine de 12 000 euros par infraction constatée et par jour de retard.)
Sur Twitter, le hashtag #BrusselsLockdown devient la tendance en se transformant en parc à chats. L’analyse est sans appel : c’est un acte de soutien à la police. Impossible d’imaginer qu’au contraire, les Belges ont tweeté des chats pour se foutre de la gueule de ces opérations. Nous sommes dans l’union sacrée : tout message ou discours d’opposition sera et pourra être retenu contre vous.
J’ai donc peur des choix qui sont en train d’être opérés à tous les niveaux : dans nos vies quotidiennes, dans les bureaux de vote et dans notre capacité à désobéir. Pour vivre heureux, restons cachés ? Après les attaques du 13 novembre, j’ai eu envie de quitter la France alors que je viens juste de revenir (après six ans passés à l’étranger). Pas à cause d’une menace de l’extérieur, mais à cause de celle qui nous ronge de l’intérieur. La menace de ceux qui ont pris le pouvoir, qui décident pour nous et qui nous entraînent dans leur propre merde sans un seul instant se remettre en question. Je ne sais pas encore si je dois fuir ou rester. En attendant, je sais que moi, je ne suis pas en guerre.
Je suis loin d’avoir réussi à dire tout ce que j’avais en tête. C’est l’avantage d’en avoir fait mon métier, je vais pouvoir continuer à m’entraîner. J’ai lu plein de textes pour m’aider à comprendre et mettre des mots sur mes sentiments. J’en ai trouvé quelques-uns utiles et justes. Je ne suis pas d’accord avec tout et heureusement ! Bonne lecture.
À nos lecteurs (et aux autres), de Gonzaï :
A NOS LECTEURS (ET AUX AUTRES)
Au moment où nous attendons encore la liste complète des victimes suite aux attendats du 13 novembre 2015, nous ne pouvons que craindre d’y lire le nom de proches, de lecteurs, d’abonnés ou de toute personne que nous connaitrions de près ou de loin. Contrairement à l’attentat contre Charlie Hebdo, attaque symbolique dirigée vers un […]
« Monsieur le Président, vous êtes tombé dans le piège ! », de David Van Reybrouck :
» Monsieur le Président, vous êtes tombé dans le piège ! «
David Van Reybrouck, d’expression néerlandaise, est l’auteur de nombreux ouvrages dont Congo, une histoire (Ed. Actes sud), pour lequel il a notamment reçu en 2012 le prix Médicis dans la catégorie » essai « . L’écrivain et historien interpelle le président français sur le champ lexical guerrier de son discours, samedi 14 novembre, lendemain des attentats qui ont endeuillé Paris.
« La France n’a pas besoin de brandir son ‘French way of life' », Jean-Yves Pranchère :
« La France n’a pas besoin de brandir son ‘French way of life' »
C’est une question qu’il est trop tôt pour trancher. Nous sommes encore tous pris dans le vertige de tristesse et d’indignation qui nous a saisis vendredi. L’obligation de faire face à l’événement, alors que nous manquons encore d’informations, crée une pression qui pousse aux dérapages.
C’est donc comme ça que débutent les guerres ?, de Vinvin :
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Lettre à ma génération, moi je n’irai pas qu’en terrrasse, de Sarah Roubato :
Lettre à ma génération : moi je n’irai pas qu’en terrasse | Le Club de Mediapart
Note de la lettre : « Je ne suis qu’une lettre d’opinion, pas un essai. Je suis juste une petite lampe de poche qui a essayé d’éclairer ce qui était trop souvent laissé dans l’ombre. Alors oui, mon étroit faisceau lumineux laissera bien d’autres choses dans l’ombre.
Dépasser Charlie d’André Gunthert :
Dépasser Charlie
Quelques jours après les attentats de janvier, j’écrivais » La défaite Charlie « , réaction affligée devant l’horizon d’union sacrée et de fuite en avant sécuritaire qui constituaient apparemment la seule réponse à la violence. Rien n’a changé depuis.