Ici Forest, à vous les studios…

Je vous écris parce que le quartier où j’habite quand je suis à Bruxelles est un peu le centre du monde ce soir, si j’en juge par le nombre de journalistes qui s’y concentrent depuis quelques heures et par le vrombissement de l’hélico à quelques centaines de mètres au-dessus de ma maison, qui rappelle à mes oreilles que toutes les rues avoisinantes sont sous très haute surveillance.

16 mars 2016

Bonsoir les amis,

Je vous écris parce que le quartier où j’habite quand je suis à Bruxelles est un peu le centre du monde ce soir, si j’en juge par le nombre de journalistes qui s’y concentrent depuis quelques heures et par le vrombissement de l’hélico à quelques centaines de mètres au-dessus de ma maison, qui rappelle à mes oreilles que toutes les rues avoisinantes sont sous très haute surveillance.

 

Ce quartier de Forest, je l’ai aimé tout de suite, dès la première fois où je m’y suis perdu, il y a une quinzaine d’années. Je l’ai aimé par métonymie, si je puis dire. Je l’ai aimé à cause de l’usine immense que j’ai longée pendant des centaines de mètres sans savoir où j’allais, Volkswagen et ses chaines de montage, des centaines de mètres d’atelier, comme chez moi, à Seraing, mais chez moi, les murs étaient de briques, noircies à force de fumée, ici, murs de tôles ondulées beiges, sable, havane, propres : temps nouveaux. Forest. Pas la ville capitale, ministère, princière et banquière, mais la ville industrieuse, ouvrieuse, combative. Quartier que j’ai aimé aussi à cause d’elle, qui y vivait dans ces rues où je me perdais, où je n’arrivais pas à la rejoindre, alors que j’en avais tant envie et désir. Puis je les ai côtoyés quotidiennement, elle et le quartier, et la rue longeant l’usine, et voisins et voisines, et commerces et lieux publics. Le samedi : marché sur la place Saint-Denis. Fruits, légumes, fleurs, fromages, charcuteries (les Italiens de La Louvière ont pris leur retraite, plus de bonne ricotta, ni de pancetta, dommage), poissons et crevettes d’Ostende, et un fameux bazar d’objets et d’ustensiles divers, brosses, éponges, lunettes de soleil, mouchoirs en papier, attrape-mouches, tout à un euro. Le dimanche : brocante. Les autres jours : Delhaize, Zeeman, Wibra, marchand de journaux, pharmacie, snack pitta, boucherie, bijouterie, boulangerie,  Lotto sportif, pizzeria, chinois, sushis (pas pour moi, merci), cafés et maisons de loukoums et de thé, et agences bancaires et bureau de poste, et Bancontact et arrêt de tram et de bus, et bel hôtel de ville, récemment restauré, qui date des années 30 du siècle dernier, et église, beaucoup plus ancienne, dédiée à saint Denis. Un quartier qui n’a rien de particulier, en somme, mais ce soir le centre du monde.

On ne traverse plus la place. Elle est fermée à la circulation. Toutes les rues alentour sont bouclées.

« L’actualité de ce mardi a été marquée par les deux fusillades qui ont éclaté ce mardi à Forest après une perquisition menée dans le cadre de l’enquête sur les attentats de Paris »,
lit-on dans La Libre Belgique.

« Des policiers ont été visés par des tirs lors d’une perquisition qui a mal tourné, mardi 15 mars à Forest, une commune au sud de Bruxelles. Cette opération se déroulait dans le cadre de l’enquête belge sur les attentats du 13 novembre à Paris »,
trouve-t-on sur le site du Monde, qui fait son article avec les infos fournies par AFP et Reuters | 15.03.2016 à 15h38 • Mis à jour le 15.03.2016 à 22h30.

A minuit, sur le site du Corriere della Sera, on découvre :
« Allarme terrorismo. Bruxelles, blitz delle forze speciali ? Un terrorista morto, forse due in fuga. Nel pomeriggio nella zona di Forest ci sono state sparatorie dopo una perquisizione legata agli attentati di Parigi . L’uomo morto non sarebbe Salah Abdeslam. Nell’operazione sono stati feriti 4 poliziotti, tre belgi e uno francese. »

Et du côté du Times et de la Tamise,
j’apprends ce que j’entends, ce que j’ai pu constater de mes yeux :
 « Police sealed off a wide perimeter around the Forest neighbourhood, where shots were heard. A helicopter was hovering overhead as police said that they were looking for at least one suspect. »

Moi, je passais par là, je rentrais chez moi et je n’ai rien vu.

Rien vu que des gens de presse qui attendaient que quelque chose se passe, mais le temps ne passe guère et l’on a froid aux mains,  que des policiers en cagoule noire qui empêchaient qu’on circule sur la place, que trois ambulances jaunes de pompiers qui stationnaient dans le périmètre interdit, au cas où.

 

Pas de trams, pas de voitures, mis à part naturellement les véhicules de presse et de police, et même pas de curieux qui regardaient par la fenêtre. La lune. Un hélicoptère. La lumière des réverbères et celle des projecteurs. Le scintillement des écrans de contrôle sur les caméras. Des voitures équipées de toutes sortes d’appareils et surplombées par une antenne parabolique.

Dans une boulangerie, un type qui nettoyait son magasin, comme tous les soirs sans doute (mais les autres soirs, je ne m’attarde pas en face de sa boutique).

Des gens face à leur caméra qui racontaient leur attente dans toutes sortes de langue (y compris dans une langue d’Asie extrême) et qui parfois, d’un geste de la main en direction de la place inaccessible, montraient qu’ils y étaient vraiment, au cœur de l’événement.

 

C’est parce que je n’ai rien vu  que je vous envoie mes photos et mes commentaires à chaud, en espérant que vous pourrez en faire quelques chose pour l’Entonnoir.

Amicalement,

Carmelo

Ce matin,  pas grand-chose à se mettre sous la dent : les deux mêmes photos à la une de tous les journaux, parfois recadrées. Des clichés, d’évidence, qui ne peuvent avoir été réalisés que par la police, la nuit, sur un toit brûlant.

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