Insérez un jeu de mot debout …

Chroniques d’une Wallirfornienne à Paris. Épisode 10. Manif, rassemblement, occupation : une journée de mobilisation à Paris tout en douceur.

14 mai 2016

… ça fera un bon titre.

Depuis un mois et demi s’organisent dans plusieurs villes françaises des manifestations contre la réforme du code du travail. En l’appelant « Loi travail » le gouvernement lui a même conféré un espèce de pouvoir performatif : avec cette loi, tout le monde travaille, high five le PS pour cette grande idée.

Des manifs encadrées par les syndicats ou dites sauvages, des occupations de place (avec notamment les Nuits Debout qui, si vous suivez un peu, ne revendiquent rien mais mobilisent des gens qui souhaitent changer le monde), des occupations de lieux comme des théâtres par des intermittents-chômeurs-précaires, pas un jour ne se passe sans une action.

Depuis un mois et demi la répression des opposants au régime s’amplifie. La BAC (Brigade Anti-Criminelle) est en plein délire, les CRS, épuisés, craquent et se défoulent sur ceux qu’ils ont sous la main, les gendarmes mobiles, mobilent. La moindre action anti-gouvernement est violemment réprimée dans la rue.

http://videos.leparisien.fr/video/evacuation-musclee-de-nuit-debout-place-de-la-republique-a-paris-29-04-2016-x47o7k2

VIDEO. Manifestation contre la loi travail : un CRS donne un coup de matraque sur la tête d’un manifestant

Durée de la vidéo : 2 min. THOMAS BAIETTO / FRANCETV INFO Article rédigé par Des violences ont émaillé le cortège contre la loi travail jeudi 28 avril dans les rues de Paris. Francetv info a été témoin d’un coup porté par un policier contre un manifestant.

Loi travail : un manifestant perd son oeil. La police nous a tirés comme des lapins

LE PLUS. Jeudi 28 avril, à Rennes, la manifestation contre la loi du Travail avait débuté dans le calme. Mais aux alentours de 13h30, des échauffourées ont éclaté à proximité de la place de la République. Un jeune homme de 20 ans a été atteint par un tir de flashball, il a perdu son œil gauche.

Même comportement chez les élus. Vous n’êtes pas d’accord avec la loi ? Peu importe, puisque Valls vous dit qu’il est sûr de son coup. Et que « poursuivre le débat parlementaire fait courir le risque de revenir sur l’ambition du projet de loi ». L’a raison, débattre c’est so 2000. Avec le recours au 49.3 – c’est-à-dire le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution qui permet au Premier ministre d’engager la responsabilité de son gouvernement et qu’un texte soit considéré comme adopté sans le vote des députés – Valls (avec Hollande derrière qui sourit bêtement) a atteint des sommets de n’importe quoi en voulant faire passer une loi dont on ne sait même plus qui la souhaite vraiment (à part le MEDEF?) par-dessus la tête du Parlement…

Democracy is so overrated. #LoiTravail #49al3 pic.twitter.com/yadC6ODoVO

Une manifestation, un sit-in, une occupation et des centaines de CRS et gendarmes mobiles : mon jeudi 12 mai 2016 – ma dixième chronique d’une Wallifornienne à Paris – s’est transformé en illustration de la situation actuelle en France. Un mélange de paradoxe et de frustration dont je n’ai moi-même pas réussi à me sortir.

Mardi soir, j’annonce que je vais manifester à ma famille et des amis. Leur réaction : « Fais gaffe », « bon courage », « fais attention à toi », « t’es sûre que tu veux y aller ? » Sur Facebook, j’ironise avec un message : « Qui va à la manif demain à Paris ? Je cherche des camarades avec qui me faire taper dessus… » Je ne pensais pas en arriver là mais oui, les CRS et gendarmes mobiles me font peur.

Ce n’est pourtant pas la première fois que je leur fais face. Faut dire qu’en plus d’avoir été une étudiante impliquée dans le mouvement contre la réforme des universités dite « loi LRU » en 2009 [blocage des universités pendant quatre mois, sans succès…], je suis aussi une supportrice de foot. Deux putain de profils à risque selon les autorités. Ma chance ? J’suis une petite bonne femme qui ne sait pas se battre… mais qui a déjà pris des coups. Je refuse de me désolidariser du groupe.

C’est donc tout de noir habillée que je me rends au départ de la manifestation contre le 49.3 et la loi travail le 12 mai à 13h30. Avant de m’y rendre j’avais hésité à me procurer des bombes lacrymo pour me défendre, j’en ai même trouvé des roses pour les filles. J’ai laissé tomber, douée comme je suis j’allais m’en mettre toute seule dans les yeux.

Bombe lacrymogene au gaz CS, Achat / Vente

Cette petite bombe lacrymo est très utile pour passer inaperçu ! Sa petite taille permet de la dissimuler dans un petit sac, une poche ou même dans la manche d’un manteau. La bombe lacrymogène est très puissante et fait d’ailleurs partie des dotations de l’armée. Elle est produite en France par LPSA.

À la sortie du métro, les CRS fouillent les sacs, confisquent les lunettes de plongée et le sérum phy (des accessoires indispensables pour se protéger et se soigner des gaz lacrymo). Un communiqué de la préfecture publié la veille annonçait la couleur : les flics et le service d’ordre des syndicats travailleront main dans la main pour assurer la sécurité du cortège… Prier de manifester entre 14h et 15h sans trouble à l’ordre public, dans les clous, autorisés par la préfecture de police, en montrant vos sacs et en ne prenant pas de photos des violences policières. Merci.

La  » nasse « , ou l’importation du  » kettling  » –

Malgré les discours plaintifs des syndicats policiers concernant les ordres peu clairs, voire contradictoires, qu’ils recevraient, on peut noter depuis le début du mouvement contre la loi travail, en tout cas à Paris, une volonté de roder un dispositif de maintien de l’ordre relativement nouveau à cette échelle en France : le kettling (ou la  » nasse « ).

Les manifestants ne sont pas encore arrivés que déjà, sur tout le parcours, à chaque croisement : des flics. Nous sommes encerclés. Même en voulant l’éviter, impossible de ne pas se faire nasser aujourd’hui. Le service d’ordre de la CGT se met au pas. L’ambiance est dégueulasse.

Après avoir hésité, nous décidons de rester et de marcher. J’emmerde le communiqué de la préfecture et me place devant les organisateurs. Je ne suis pas syndiquée. Je suis une travailleuse indépendante précaire. Autour de moi, faut-il encore le préciser, les jeunes côtoient les vieux, qui côtoient les flics en civil. Ils sont presque comiques avec leur oreillette qui dépasse…

14h, le cortège démarre. En tête ? Deux à trois lignes de CRS – je n’arrive plus à les compter – boucliers levés, casques enfoncés sur la tête, visière baissée. Derrière ? Des gens avec plein d’étiquettes et de labels qui seraient trop long à lister ici. En gros, des citoyens qui se soutiennent les uns les autres. Ça discute un peu sur les moyens d’action. Ça se demande quand même ce qui est légitime d’attaquer ou pas. Le masque de chantier sur le visage, le foulard à portée de main, on marche tranquillement jusqu’à un premier échange de tirs sur le côté droit, dans une petite rue perpendiculaire au trajet. Un nuage de lacrymo nous envahit. Ça pique les yeux et ça prend à la gorge. Les insultes se multiplient dans ma tête mais je ne trouve personne à qui les crier. Les flics sont trop loin. À se demander l’intérêt de disperser ceux qui sont derrière les « affrontements ». Quelques projectiles, une poubelle renversée, de la fumée noire. Rien de bien méchant, finalement. [pullquote]À lire : « Le monde ou rien » : rencontre avec le Mili, en première ligne des manifs jeunes contre la loi travail[/pullquote]

Quelques dizaines de mètres derrière nous, les camions des organisations syndicales roulent tranquille.

Deuxième bouffée de lacrymo quelques minutes plus tard. Cette fois-ci ça dure un peu plus longtemps. On ne sait pas vraiment où se mettre. La crainte de se faire isoler du reste de la manif nous pousse à ne pas aller vers l’avant. Sur les côtés, pas moyen de s’échapper non plus.

Le calme revient jusqu’au point d’arrivée : les Invalides.

Une petite camionnette rose en plein milieu de la place ouvre pour vendre saucisses et bières. On tourne un peu en rond en attendant le reste du cortège, un peu déçus d’avoir fini si tôt. Une heure à peine. Le parcours était ridiculement court. C’est grand, pourtant, Paris.

Les jeunes de l’UNEF terminent leur discours expédié en 2 minutes : « Voilà, c’est fini ! Merci, rentrez chez vous maintenant et à la prochaine. »

D’un coup, sans raison aucune, des lacrymo et grenades de désencerclement nous tombent dessus. J’en reçois au moins trois à côté de moi et j’étouffe. Je remets mon écharpe sur mon visage comme je peux. J’y vois que dalle. Mes yeux brûlent. Il ne se passait absolument rien qui justifiait une telle attaque.

Comme depuis le début de la manif, nous sommes encerclés. On prend une rue sur la droite, la seule ouverte, jusqu’au bout. On retombe sur le boulevard et la fin de la manif. On a tourné en rond pour… se retrouver à nouveau nassés. Faits comme des lapins. Une voiture est incendiée. Un kiosque de presse fermé est attaqué à coups de pavé. Ça envoie quelques projectiles : des bouteilles en verre, des restes de poubelles ramassées sur le bord du chemin, tout ce qui peut être balancé.

Je ne sais plus ce que je fous là. Je ne veux pas partir en ayant l’impression d’être venue juste pour me faire gazer. Je ne veux pas rester parce que c’est une bataille qui se perd sous mes yeux. Le rapport de force est tronqué depuis le début.

Je tourne encore un peu, j’évite quelques grenades qui tombent du ciel – et dont je ne comprends toujours pas le but. Un gamin s’en prend une en haut du corps, il crache du sang. Il est très vite pris en charge. Apparemment rien de trop grave. Heureusement.

Flashball : 10 ans de blessures, 10 ans de lutte –  » Si l’effet physique d’un tir de flashball dans la tête est microscopique à l’échelle de la foule, il est macroscopique au niveau de la peur qu’il produit. « 

Jeudi 28 avril 2016 à Rennes, un manifestant de 20 ans s’écroule le visage en sang. Il vient de perdre un œil. L’étudiant qui lui a apporté les premiers soins témoigne :  » Les gens ont commencé à s’échapper par le pont. Les CRS les ont tirés comme des lapins au flash-ball, c’est là qu’il a été touché.

16h, je pars, direction l’Assemblée nationale. Tout ce putain de bordel pour nous empêcher de poursuivre la manifestation jusque-là. Avec l’aval des organisations syndicales. Faudrait pas que 10 000 personnes opposées au gouvernement se retrouvent aussi prêt des élus. Tenir le peuple éloigné a toujours été une excellente stratégie.

Nous sommes obligés de nous y rendre en petits groupes. Un barrage de CRS nous filtre sur le côté de la place des Invalides. Le seul endroit où l’on peut en sortir. Il faut montrer son sac grand ouvert. Le CRS qui me laisse passer me souhaite une bonne journée en rigolant. « J’ai pas de pavé dans le sac, haha. » J’ai envie de lui arracher son casque et de lui faire bouffer sa bonne humeur.

Des Invalides à l’Assemblée nationale, j’ai l’impression d’être passée dans une autre dimension : celle de ceux qui se foutent complètement de la loi travail, des manifs et du 49.3. ça doit être agréable, me dis-je. « On se bat aussi pour eux », me rappelle un ami.

Je suis avec un petit groupe de cinq personnes. On passe devant le MEDEF, arborant un drapeau français sur sa façade, gardé par trois camions de CRS. L’organisation patronale est semble-t-il une cible pour les terroristes. Sinon pourquoi mobiliser des forces de l’ordre pour protéger un bâtiment privé sous état d’urgence ? « Pour la séparation du MEDEF et de L’État », scande mes camarades !

Et que retrouve-t-on devant l’Assemblée nationale ? Oui, oui, encore plein de CRS et gendarmes mobiles. Je crois avoir vu plus de robocop en une journée que de personnes habillées en civil. Une centaine de personnes est déjà réunie devant le bâtiment en attendant le vote de la motion de censure déposée par la droite [seul moyen dont dispose le Parlement pour montrer sa désapprobation envers la politique du gouvernement et le forcer à démissionner]. On a l’air un peu pathétique mais on s’accroche. Certains finissent par s’asseoir au milieu de la route. Le rassemblement se transforme en AG de Nuit Debout. La circulation bloquée, un pauvre car de touristes nous supplie de les laisser partir après plus d’une heure à attendre. Vers 19h, l’info circule : la motion n’est pas passée. Puis, un autre message : les étudiants des Beaux-Arts occuperont leur école ce soir, à deux pas de l’Assemblée nationale !

20h, on y rentre sans trop de difficulté. Deux à trois cents personnes s’activent à l’intérieur. Le drapeau de la France en haut du bâtiment principal est remplacé par un t-shirt noir. Des barricades sont érigées dans la cour. Une AG s’organise dans un amphi.

Après une journée à m’être déplacée dans des espaces prévus et contrôlés par les autorités, j’ai enfin l’impression de voir se construire quelque chose de neuf et de libre. Enfin, presque. En sortant, vers 23h, le personnel de la sécurité de l’école me souhaite une bonne nuit et referme la porte derrière moi. « Toute sortie est définitive. »

PS : Deux jours après les Beaux-Arts ont été évacués « dans le calme » dixit Twitter, par des flics en civil.

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