Il faut parfois revenir aux bonnes vieilles analyses de langage pour débusquer la crapule. Chez ING, par exemple. Exemplaire à tous les étages. Au sommet. Au sommet du sommet.
Commençons par le summum. Le Top Niveau s’incarne dans le corps et la bouche d’un certain Ralph Hamers, grand chef de meute du groupe ING, un salaire de 1.63 million d’euros par an. Il s’exprime en anglais, mais on peut traduire aisément le courriel qu’il a adressé en interne deux jours avant l’annonce de la liquidation de 3500 emplois dans l’entreprise qu’il dirige : « Des choses excitantes arrivent, je pourrai vous en dire plus lundi. » Exciting ! Vous pensez peut-être à de beaux seins, des fesses charnues, une bite levée bien droit. Erreur. Ce qui les excite, ces vicelards, c’est le fric, la possibilité d’accumuler encore plus de fric, et tant mieux si ce fric a l’odeur du sang.
L’expression a choqué et très vite, il a fallu une nouvelle communication au sommet. Elle s’est effectuée un palier plus bas, via un certain Rik Vandenberghe, ingénieur commercial issu de l’Université catholique de Leuven,et qui n’est autre que le successeur du susnommé Ralph Hamers au poste de CEO d’ING Belgique.
Dans le cinéma que jouent ces patrons pour justifier leurs pratiques les plus scandaleuses (patrons grands ou petits, du reste, ça peut marcher de la même façon) figure toujours la scène où le chef explique à quel point la décision l’a affecté personnellement.
Rik de la Montagne ne fait pas exception à la règle. Dans une interview à l’Echo de ce mardi 4, il déclare en effet que « l’annonce a été un choc pour de nombreuses personnes. Croyez-moi, je n’en ai pas dormi pendant plusieurs nuits. » Pauvre petit manager sur qui pèsent tant de responsabilités !
Mais de telles personnalités ne peuvent se complaire trop longtemps dans l’expression de leurs sentiments personnels. Excités ou insomniaques, ils doivent avant tout faire valoir leur utilité sociale. On les accuse d’être des destructeurs d’emplois, de tissus sociaux ? Pour s’en défendre, ils vont montrer le contraire en recourant tous deux à la même image : celle du réparateur. Pas réparateur de chasse d’eau, de moteur pourri, de vieux frigo. Restons au sommet, je vous prie. Pour Ralph Hamers, ce sera réparateur de toiture. C’est ainsi qu’il affirme que « c’est quand le soleil brille qu’il faut réparer le toit » (en réponse à une question qui mettait en avant l’excellente santé financière du groupe bancaire). Quant à Riquet du Top-Niveau, il opte pour la réparation du corps, autre façon peut-être de se montrer une nouvelle fois plus humain que son chef. Il va dès lors se présenter comme un bon docteur (toujours en réaction à une question qui mettait en avant l’excellente santé financière de la banque). Il ne le fait pas explicitement, mais par le détour d’une expression convenue : « Cela a des effets secondaires pénibles, mais ces changements sont nécessaires si nous ne voulons pas compromettre notre avenir», déclare-t-il à Sonja Verschueren, dans la même interview de L’Echo.
Un chef de guerre aurait parlé des effets collatéraux provoqués par sa bombe. Pour un médicament puissant qu’on espère efficace, on parle d’effets secondaires. N’est-ce pas le rôle du médecin de prescrire des médicaments, qui, par essence, ne peuvent être que bénéfiques ? Qui pourrait imaginer qu’un docteur soit capable de trahir son serment d’Hippocrate en détruisant des vies plutôt qu’en les soignant ? Le langage sert à présenter comme une évidence naturelle ce qui n’est qu’une pratique de pouvoir, au profit de ceux qui possèdent le pouvoir et la fortune
Ces hommes des sommets sont rusés. Ils ont les moyens de se faire entendre. Mais qu’on se rassure. Qu’ils soient caterpillards ou hyènes glauques, ils ne trouveront jamais assez de mots pour dissimuler totalement ce qu’ils sont en réalité : des prédateurs des temps barbares.