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Le grand sketch médiatique

Vous aussi vous avez déjà eu cette terrible impression que les médias diffusent en continu une immense blague qui se fait passer pour la réalité? Entre icônes photoshopées, leaders politiques hors sol et récits composés de clichés fabriqués à la truelle par des experts en commentaire, on se demande « m’enfin d’où sort le monde qu’il nous racontent »?

27 janvier 2017

Vous aussi, vous avez déjà eu cette terrible impression que les médias diffusent en continu une immense blague qui se fait passer pour la réalité et que big brother est en fait un gros farceur ? Entre icônes photoshopées, vedettes en carton pâte, têtes d’affiche au quotient intellectuel négatif, leaders politiques déconnectés du monde qui les entoure, sorties médiatiques dignes de dialogues de série Z et récits composés de clichés fabriqués à la truelle par des experts en commentaire, notre temps de cerveau disponible est cruellement malmené, au point qu’on en vient à se demander de quelle planète il est question. Certainement pas de celle que nous expérimentons au quotidien, comme nous en avons encore eu la preuve récemment. Comme nous le constatons chaque jour, à vrai dire, mais la petite histoire que je vais vous raconter pourrait bien nous livrer un élément de réponse presque évident : tout ceci pourrait simplement faire partie d’un sketch…

 

Alors, voilà comment ça s’est déroulé. Lundi matin, je vois passer un superbe canular dans mon fil d’actualité sur Facebook :

 

La vidéo a été originellement postée sur la page « RSCA FanFacebook » (un groupe public de supporters d’Anderlecht) dans le but affiché de se moquer de deux « rouches » à l’accent trop bien trempé. Sans doute beaucoup trop pour être vrai…

Rapidement, des Ultras du Standard la repèrent : c’est à leur tour de rire ! C’est que eux, évidemment, ils savent qui sont les deux « bons clients » que le journaliste de RTL-TVI pense avoir chopé à la sortie du stade de Sclessin — deux magnifiques cas d’école, bien fâchés avec leur équipe, mais aussi et surtout avec la langue française. L’un d’eux est Pierre Étienne dit Pavé, notamment membre du groupe Starflam, et l’autre s’appelle Fabrice Adde. Ils partagent plusieurs points communs dont celui d’être tous les deux diplômés du Conservatoire de Liège. L’hypothèse de la méconnaissance des règles de liaisons s’effondre, celle de la farce voit le jour.

Bref, si les responsables du journal télévisé de RTL-TVI s’intéressaient d’un peu plus près à la scène rap belge (au passage, Pavé anime également Hip Hop Iz Dead sur Radio Rectangle) et au cinéma (Fabrice a notamment joué dans Eldorado de Bouli Lanners, ainsi que dans The Revenant de Alejandro González Iñárritu, mais aussi dans la série télévisée La Trêve qui s’est exportée dans différents pays), ils auraient peut-être pu se rendre compte qu’on leur avait fait une bonne grosse blague — mais en même temps, ce n’est une bonne grosse blague que parce qu’ils n’y ont vu que du feu. Peut-être ont-ils aussi été induits en erreur par les clichés de supporters presque illettrés qu’ils utilisent pour tenter de comprendre ce qu’ils découvrent quand ils se promènent aux abords des stades.

Si nous en étions restés à ce seul passage dans un journal télévisé, nous aurions eu à peine de quoi sourire. Seulement, on peut faire confiance à la société de l’information et à son énorme incapacité à arrêter certaines blagues pour nous faire rire à gorges déployées.

Mercredi, je reçois donc un coup de téléphone de Pavé qui me dit : « Tu sais quoi ? Fabrice et moi, avec « thonteux, thonteux »… et bien, on est passés chez Hanouna ! » Là, j’essaye d’aller repêcher le passage dans Touche Pas à Mon Poste, la fâââmeuse émission dont on n’arrête jamais de parler dans la presse et sur les réseaux sociaux (même pour dire que c’est scandaleux, immonde, inqualifiable…). Après avoir passé quinze minutes sur le site de C8 et avoir regardé deux extraits en replay, je n’ai pas trouvé ce que je cherchais, je dois abandonner. Je suis pris de vertige : j’ai l’impression d’avoir ouvert une porte qui donne sur un immense trou qui va directement au centre de la terre… Sauf que le centre de la terre n’existe plus ! Si je reste une minute de plus sur ce site, je pourrais me transformer en zombie. Je préfère laisser tomber.

Beaucoup d’autres sont plus téméraires (ou inconscients, je ne sais pas) et ne laissent pas si facilement tomber TPMP. Le jeudi soir, ça rebondit encore : le passage de deux « cas sociaux » bien de chez nous dans l’émission du grandissime Hanouna a rendu le groupe Sudpresse tellement fier qu’un article est consacré à cet évènement sur son édition en ligne !

http://www.sudinfo.be/1772337/article/2017-01-26/un-supporter-du-standard-moque-dans-touche-pas-a-mon-poste-la-video-fait-le-buzz

Dans les années 1990, le Luther Blissett Project avait élaboré un plan quinquennal pour une guérilla de la communication : il s’agissait d’injecter des doses homéopathiques de faux dans le système médiatique pour le faire disjoncter. Ils avaient mis au point une série de canulars minutieusement conçus pour parvenir à leurs fins. Une vingtaine d’années plus tard, ce n’est plus la peine de concocter de grandes stratégies, on peut obtenir un emballement avec une improvisation rapidement orchestrée par deux comédiens sachant prendre la balle au bond. Alors, bien sûr, Pavé et Fabrice sont excellents mais, en même temps, toute cette affaire en dit long sur la diffusion de contenus au travers de certains réseaux (plus ou moins) informationnels : c’est vraiment l’auto-référencement infini du vide.

D’autant que ça ne va évidemment pas s’arrêter en si bon chemin. Puisque Sudpresse en parle et que ça fait le buzz, La Dernière Heure se doit de suivre le mouvement, et rapidement — vous comprenez, ça fait le buzz chez Hanounaaaaaa !

Et puisque l’article sur le site de Sudpresse suscite pas mal d’engagement de la part des lecteurs (il est partagé plusieurs centaines de fois), logique de synergie entre titres du groupe Rossel oblige, le vendredi matin, on retrouve une publication sur la page d’accueil du Soir — ce grand quotidien belge francophone de référence.

Indiscutablement, « c’est thonteux » et ça « fait rire »…

 

Post-scriptum : allô les gens des médias, ici la réalité !

Si par hasard un ou une des journalistes impliqué-es dans cette belle histoire lit ces quelques lignes et qu’il ou elle est intéressé-e de passer au-delà du cliché du supporter tellement beauf qu’il en parle à peine le français, nous l’invitons chaleureusement à nous rejoindre les 9 et 10 février prochain au Festival de Liège. Y est programmé « Supporter, pas dupe », un spectacle écrit et interprété par des supporters du Standard de Liège (des « vrais »), mis en scène par… Pierre Etienne et Fabrice Adde. Alors, d’accord, c’est un peu paradoxal de conseiller à des gens qui travaillent pour la presse d’aller au théâtre pour avoir accès au monde qui les entoure mais voilà, comme visiblement, quand on les lâche dans la « vie de tous les jours », ils risquent de confondre un sketch de comédiens avec des paroles populaires authentiques, ça peut sans doute les aider à y voir plus clair. En tout cas, ça ne pourra pas empirer les choses.

 

Mise à jour de la rédaction :

Il n’aura finalement pas fallu longtemps au groupe Sudpresse pour se rendre compte de la supercherie — à moins que des personnes de bon sens et bien intentionnées n’aient transmis notre compte rendu à ses journalistes : dès le 30 janvier, il publie, comme tout organe de presse qui se respecte, « les coulisses du buzz« , allant même jusqu’à inviter Fabrice Adde et Pierre Etienne à s’expliquer en images…

Supporter pas dupe: Thonteux

Supporter pas dupe: Thonteux

Faute avouée est-elle à moitié pardonnée ? Pas si sûr. Pour Sudpresse en tous cas, l’honneur — ou ce qu’il en reste — est sauf… jusqu’à la prochaine fois : par les temps qui courent, soyons assurés que la prochaine bourde journalistique ne se fera pas attendre et que la presse continuera de nous réserver de petits et grands éclats de rire, pour le meilleur et pour le pire.

Quant à nous, méditons sur ce non-événement et souvenons-nous des sages mots qu’Anatole France écrivit déjà en 1901 : « Qui est le jouet des apparences se laisse séduire par des mensonges. »

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