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Durbuy ou l’histoire d’une commune vendue

La plus petite ville du monde est en passe de devenir une Sim city qui vire au cauchemar. Marc Coucke, un des hommes les plus riches de Belgique vient de rafler 350 hectares avec pour ambition de créer une usine à gaz touristique. En faisant miroiter la création de centaines d’emplois dans la région, il s’est facilement mis les politiciens locaux en poche. C’était sans compter avec S.O.S Durbuy, résolu à faire entendre la voix des autochtones.

1 mars 2017

 
Sabina Sebastiani (CC-BY-NC-ND) 2017

Il était une fois… une ville, toute petite, « la plus petite ville du monde ». Son image depuis 30 ans s’est construite ainsi. Une petite ville de Famenne, le long d’une belle rivière, au pied d’un rocher millénaire, lovée sous un château, parcourue de ruelles en pavés, parsemées de petits cafés, de chocolats, de jambons fumés. Ici, le tourisme est roi depuis des générations et tout le monde, ou presque, est content…

En mai 2016, lors des mouvements «Nuit debout», quelques zouzous se réunissent devant la salle du conseil communal, à Barvaux… Des terres de la commune vont être vendues à Marc Coucke. Marc Coucke, c’est un des hommes les plus riches de Belgique. Oméga Pharma, Mithra, le club de foot d’Ostende, une équipe cycliste, etc., etc… Marc Coucke aime le sport. Marc Coucke, il aime Durbuy aussi. Tout à coup, comme ça, hop, il est tombé amoureux de la région. Marc Coucke, il aime la nature et les animaux. Il est co-propriétaire de Pairi Daiza. C’est la preuve qu’il aime les animaux.

Il vient nous sauver, nous et notre commune. Ici à Durbuy. Il vient y créer un parc de tourisme vert, dédié à la nature. Il a racheté dans la foulée Durbuy Aventure qui était moribond et s’associe à Bart Marten qui est propriétaire de la Petite Merveille. Il va créer de l’emploi. Et cet argument-là, c’est porteur. Ici, comme ailleurs. Il va relancer l’économie. Et ça, le bourgmestre, Philippe Bontemps, il se frotte les mains.

Le bourgmestre et son collège signent la vente des parcelles. Les socialistes et écolos et MR s’abstiennent. Tout le monde se tait. L’affaire est faite. Dégagez, y’a rien à voir. Ils baissent la tête et ils continuent.

«SOS Durbuy» se constitue et demande des informations, des plans, des études , des perspectives, des projections, les permis. Rien de rien. Dégagez, y’a rien à voir.

Le 26 juin 2016, grand barnum. Première conférence de presse. Le plan du domaine est dévoilé comme une statue sur un piédestal. C’est 200 hectares ! Des fermes, des prairies, des forêts, un téléphérique, un petit train électrique, une route nationale détournée (merci René Collin, ministre régional), des ponts de singe, des murs d’escalade sur un rocher, des chalets haut de gamme, des parkings, etc., etc… «200 hectares, rassurez-vous, promis juré, on s’arrête là. Faites-nous confiance, croyez-nous», qu’ils disaient.

Plus, plus, plus… ! Plus de touristes, plus de voitures, plus d’argent. Marc Coucke, il veut «relever le niveau». Il veut un tourisme haut de gamme…

Tiens, c’est étrange, un parc touristique « nature » dans la plus petite ville du monde qui est aussi une des communes les plus pauvres de Belgique. Du très, très grand dans du tout petit. Du très, très luxueux dans un lieu très pauvre…

Les choses vont vite avec Marc Coucke. Quand il dit, il fait. Grues, tronçonneuses, pelleteuses, entreprises en tout genre…

Le 9 février 2017, re-conférence de presse au Jean de Bohême, l’hôtel-restaurant récemment acheté par notre bonhomme si sympathique sur la place de Durbuy. Tout le gratin régional s’y engouffre.

Taratata… Ce ne sont plus 200 hectares… Hé non, c’est devenu 350 hectares. Plus grand que Disneyland, 9 fois Walibi. «Il y aura encore quelques petites choses à acheter par-ci, par-là pour éviter ce qui s’est passé à Pairi Daiza…» A Brugelette, Marc Coucke ne peut plus rien acheter. Il ne peut plus agrandir son domaine dédié aux animaux.

Il a aussi acquis le Belvédère, le bâtiment du syndicat d’initiatives de Barvaux, l’ancienne piscine, et des commerces, et des restaurant, et aussi des fermes, et le domaine de Hottemme. Rassurez-vous, braves gens, tout sera fait en concertation avec Natagora. Tout va bien.

Créations d’emplois, je vous le dis et le redis. Relance des commerces. Dynamisation de la région. C’est un projet social. C’est génial !!!

Euh, sauf que moi, quand on me dit «Crois-moi !», il y a une petite lampe rouge qui s’allume dans ma tête.
Quand un milliardaire me dit «Aie confiance !», une petite aigreur à l’estomac naît comme par enchantement.
Quand un propriétaire d’une entreprise pharmaceutique vient acheter des biens communs et un patrimoine naturel, tout ça bradé par le pouvoir communal en place depuis des décennies, mon souffle se fait soupir.
Quand on me dit que c’est aussi un projet social, puisqu’ils vont engager des gens pauvres de la région qui sont francophones, mais ce n’est pas grave, ils n’auront qu’à prendre des cours de néerlandais, je repense à certaines histoires de luttes syndicales que mon papa me racontait quand j’étais gamine.
Quand je sais que des petites gens sont intimidés régulièrement pour dégager les lieux, mon cœur saigne.
Quand j’imagine le trafic routier multiplié par 3 sur nos routes de campagne.
Ben, euh, j’ai comme un goût de nausée dans la gorge.
Quand je sais qu’un collectif citoyen, appuyé par une pétition de 2800 signatures, demande depuis des mois des informations concrètes au sujet de ce projet et qu’ils n’ont aucune réponse, mes poings se serrent dans mes poches.
Quand je regarde l’Ourthe déjà vide de ses poissons, je m’incline devant Mère Nature et je lui demande pardon pour l’arrogance des humains.

Le plus drôle, peut-être dans tout ça, c’est que Bart Maerten, l’associé de Marc Coucke, il me dit qu’on a les mêmes valeurs. Marc Coucke aime la nature. Moi aussi. Marc Coucke aime les animaux. Moi aussi. Marc Coucke aime la région. Moi aussi.

Alors, il est où mon problème?

Je vais vous le dire… Le pouvoir de l’argent qui anesthésie les consciences est ici à l’œuvre avec une rapidité vertigineuse. Le capitalisme est une croyance qui se radicalise d’autant plus fortement que notre société est déjà morte. Notre civilisation de consommation est déjà morte. Nous ne voulons pas le voir. C’est trop dur, trop brutal, trop désespérant. Le projet de Adventure Valley Durbuy (avez-vous remarqué le subtil glissement d’appellation depuis un an ?) en est une preuve criante.

Les industries sont mortes, les hauts fourneaux éteints, la santé privatisée, les transports aux mains du privé.

Que reste-t-il à acheter ? La nature ! Quelle bonne idée !

https://www.rtl.be/info/video/616889.aspx
 
Marc Coucke projetterait d’attirer un million de touristes et dix mille voitures par jour.
Une ambition difficilement compatible avec le respect de l’environnement.
Inquiets et mécontents, les membres du groupe S.O.S. Durbuy se sont présentés en nombre
au Conseil communal dans le but d’obtenir des réponses à leurs nombreuses questions :
« On sent quand même que le pouvoir politique est un peu perdu par rapport aux cafouillages du projet Coucke. Ce n’est pas très clair pour eux non plus, donc on pose des questions auxquelles ils n’ont pas eux-même la réponse. (…) On aimerait bien savoir s’il y a une limite, s’il y a un cadre à ce projet, ou si c’est du n’importe quoi. Ça, c’est préoccupant, le fait qu’il n’y ait pas de cadre. »

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