Le 4 octobre 2016, l’ouragan Matthew arrive sur la pointe est de Cuba après avoir dévasté l’ouest d’Haïti. Il s’acharne pendant de longues heures sur cette extrémité oubliée de l’île. Quand il poursuit enfin sa route pour se diriger vers les Bahamas et la Floride, il laisse la petite ville coloniale de Baracoa complètement dévastée, et les villages alentour dans le même état ou pire, sans électricité et sans contact avec l’extérieur pendant un temps plus ou moins long selon l’endroit. Et pourtant les médias n’en parlent pas… Bien que la force ait été la même, les ravages sont moins importants à Cuba qu’à Haïti [1], et surtout on ne déplore aucune victime. On peut se demander pourquoi les médias, si bavards sur Haïti, ont fait l’impasse sur Cuba, et surtout comment expliquer une telle différence dans les conséquences de la catastrophe…
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[pullquote]La meilleure chose qui soit arrivée à Baracoa depuis la Révolution, c’est le cyclone Matthew[/pullquote]
Deux mois après le passage de Matthew, je me rends sur les lieux, à Baracoa et dans un petit village à une vingtaine de kilomètres. Quand on rencontre les gens, le premier sujet de conversation est le cyclone. Où ils étaient, comment ils l’ont vécu, les dégâts qu’ils ont subis, ce qu’ils vont recevoir du gouvernement, quand leur « module [2]» va arriver et ce qui changé depuis le cyclone… Néanmoins, plus d’une fois, j’entends dire que la meilleure chose qui soit arrivée à Baracoa depuis la Révolution, c’est le cyclone Matthew. Difficile à croire quand on a suivi sa progression et les dégâts qu’il a occasionnés. Et pourtant…
La première raison pour laquelle on peut dire que Baracoa tire profit du cyclone tient à la publicité qui en a été donnée dans les médias nationaux. À Cuba, la région d’Oriente (la partie est de l’île) est la plus reculée et la plus pauvre, et de cet Oriente, Baracoa est la zone la plus défavorisée. On n’en parlait pas, rien n’y arrivait ou pas grand-chose, si ce n’est un tourisme tranquille et bon enfant, charmé par l’environnement naturel et la beauté paisible de la petite ville. Or les images de la catastrophe ont suscité un vaste élan de solidarité nationale et les moyens mis en œuvre pour aider la région à se relever sont très importants, bien plus importants et dégagés bien plus rapidement qu’après le passage du cyclone Sandy à Santiago en octobre 2012. Le gouvernement a battu le rappel et de tous les coins du pays des brigades ont convergé sur Baracoa pour le déblayage et la reconstruction, l’armée en première ligne, mais aussi les compagnies nationales de téléphone et d’électricité, des ambulances et des équipes médicales, ainsi que des ouvriers des travaux publics. Baracoa devient la ville dont on parle et on ne peut en parler sans constater le degré de dénuement dans lequel vit une bonne partie de la population (Raúl Castro lui-même s’en est dit surpris lors de sa visite dans la région). L’aide aux sinistrés du cyclone devient en même temps un coup de pouce pour l’amélioration des conditions de vie dans la zone sinistrée. Des familles qui vivaient dans des conditions plus que précaires voient ainsi se présenter une occasion inespérée d’aménager leur habitation. On leur offre en outre — gratuitement ou à moitié prix selon leur situation sociale — des objets d’usage quotidien — filtres à eau, draps de lit, matelas, jeux de casseroles, plaques de cuisson électrique —, dont certains n’auraient même pas pu rêver. Le recouvrement des sols par du béton et l’installation de réservoirs à eau avaient été décrétés travaux prioritaires pour l’amélioration des habitations, mais jusqu’ici l’État n’avait pas trouvé les moyens d’accorder son aide. À présent le ciment pour couler une dalle et une citerne sont ajoutés aux matériaux de construction nécessaires à la réparation des dégâts causés par le cyclone. Beaucoup de petites gens y trouvent leur compte et en oublient presque les mauvais quarts d’heure qu’ils ont passés au mois d’octobre.
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Bien évidemment, tout le monde n’est pas gagnant. Certains, par exemple, ont perdu la maison qu’ils venaient de faire construire et doivent encore rembourser, et, dans les campagnes, la situation des paysans est dramatique. Dans le village que je connais, par exemple, les plantations de cacao sont largement détruites, il n’y aura pas de récolte cette année et ce n’est pas sûr qu’il y en ait les années suivantes, car les cacaoyers vacillent sur leurs racines et les grands arbres qui leur donnaient de l’ombre n’ont pas résisté à l’ouragan. Il en va de même pour le café. Dans les plantations de cocotiers, le sol est jonché de grands troncs enchevêtrés et il est difficile de trouver une noix fraîche pour étancher sa soif. Les rares fruits qui restent (quelques oranges et quelques mandarines) sont disputés aux chauve-souris et aux pic-verts, alors que le village impressionnait par la diversité et l’abondance de sa production fruitière. Il paraît que l’État accorderait un crédit à la récupération et un crédit à la plantation, qui commenceraient à être remboursés dans dix ans, mais ce ne sont encore que des rumeurs. Pour l’instant, en tout cas, il n’y a plus de travail rémunéré au village et même l’élevage de porcs, qui apporte un complément substantiel aux familles, devient compliqué faute de nourriture.
En revanche, des travaux importants d’infrastructure sont entrepris un peu partout. Les projets étaient déjà ficelés, mais les caisses publiques étaient vides, ce qui n’est plus le cas à présent. Ou du moins, elles ne le sont plus pour Baracoa. Dans le village que je connais, par exemple, la grosse conduite d’eau en fonte qui part du barrage et alimente les maisons est en train d’être remplacée par de gros tuyaux en polyéthylène à haute densité. Chaque maison devrait y être reliée, alors que maintenant le tuyau d’arrivée d’eau est souvent partagé par plusieurs maisons ou n’existe pas. Le bruit court même que la voie d’accès à ce village, en terre et complètement défoncée par les pluies, sera bientôt aménagée. On parle aussi d’une nouvelle route entre Guantánamo et Baracoa, et de la réfection de celle qui relie Moa à Baracoa. On peut rêver… En tout cas, j’ai vu la route qui mène de Baracoa à la pointe de Maisí est en pleine construction, à grand renfort de dynamite, mais elle servira surtout aux touristes qui, une fois l’aéroport construit à Maisí, pourront plus facilement sillonner la région de Baracoa. J’ai aussi été étonnée de retrouver la ville de Baracoa bien plus pimpante que lors de mon précédent passage, les bâtiments du centre-ville (touristique évidemment) repeints à neuf. Certains endroits, comme la Casa de la Trova, en ont même profité pour entreprendre des travaux de rénovation intérieure et s’agrandir. Les réseaux téléphonique et d’Internet ont été améliorés dans pas mal d’endroits. Effectivement, à quelque chose malheur est bon…
Les dégâts matériels sont importants, certes, mais, comme je l’ai dit, aucune victime humaine n’est à déplorer, alors qu’à Haïti, on en dénombre plus d’un millier. Une des causes en est sans doute l’arrivée nocturne du cyclone, mais il n’en demeure pas moins que le Gouvernement a tiré leçon du passage désastreux de l’ouragan Flora [3], en septembre 1963, peu après la Révolution. L’information, les mesures de prévention et l’organisation des secours sont depuis lors efficaces. Via la télévision, qui a pénétré dans pratiquement tous les foyers, Matthew a été suivi heure par heure et les mesures de précaution répétées sans relâche : renforcer portes et fenêtres, quitter la maison, se réfugier dans une construction solide, y emporter de l’eau et de la nourriture, s’éloigner du rivage, ne pas toucher aux câbles tombés sur le sol, etc. Des brigades sont intervenues pour protéger des bâtiments publics (écoles, magasins d’État, dispensaires) en consolidant les toits et en abattant les arbres qui risquaient de les endommager en tombant, pour démonter des lignes téléphoniques et électriques, et surtout pour évacuer les populations des zones à risque. Il fallait aussi vider les magasins d’État et tout le monde a dû aller chercher les vivres auxquelles la libreta [4] donnait droit. Ici on ne discute pas les consignes : ou on obtempère ou on passe « par la gauche ». Les évacuations se font de gré ou de force. L’autorité et la discipline règnent, et incitent automatiquement à l’inventivité et à la fraude. Sans vouloir encenser l’État cubain (pas plus qu’un autre d’ailleurs), il faut lui reconnaître une réelle efficacité dans une situation d’urgence telle que le passage de l’ouragan. D’abord dans l’information et la prévention, comme je viens de le dire, mais aussi dans l’aide d’urgence et, dans une certaine mesure, dans la remise en état après les dégâts. Les personnes évacuées ont été logées dans des bâtiments publics ou militaires, nourries et assistées médicalement ; une partie d’entre elles y sont encore. Pendant le cyclone, les pompiers et la police étaient sur la brèche et ont sauvé plusieurs vies. Les touristes furent évacués dans un complexe touristique en zone sûre.
[pullquote] L’aide la plus rapide et la plus efficace vient de la population elle-même[/pullquote]
Si l’intervention de l’État a donné des résultats, il faut souligner que l’aide la plus rapide et la plus efficace vient de la population elle-même. Les mesures de prévention n’ont plus de secret pour elle : lors de mon dernier contact téléphonique avec le village, deux jours avant l’arrivée du cyclone, on n’y entendait que lamentations et coups de marteaux. Une fois la maison protégée vaille que vaille, il a fallu chercher un abri sûr. Pas de problème de pillage ici, l’État veille au grain. Ceux qui n’ont pas été évacués sont allés se réfugier chez des connaissances qui avaient une maison au toit en béton ou dans des bâtiments publics en dur. Sur la colline, tout en haut, là où les camions de l’armée n’ont pas accès, les familles se sont réfugiées dans un abri anticyclone, un vara-en-tierra ou construction traditionnelle en bois, très basse, dont le toit de palme arrive jusqu’au sol. Au petit matin, la plupart sont retournés chez eux et se sont mis au travail. Dans le village que je connais, qui n’était pas parmi les plus touchés, protégé qu’il est par le relief et l’abondante végétation, chacun s’est mis à réparer sa maison pour au moins en mettre une partie hors d’eau et pouvoir y habiter. Les voisins se sont entraidés et, assez rapidement, les hommes ont pu se retrouver pour effectuer les réparations nécessaires à l’arrivée d’eau et d’électricité. C’est ainsi que, s’ils ont été privés de ligne téléphonique pendant presque un mois, ils n’ont pas eu de problème d’approvisionnement d’eau et ont pu réutiliser une partie des installations électriques bien avant l’arrivée des brigades de secours. Comme le dit Frédéric Thomas dans son ouvrage sur Haïti [5], on ne parle jamais assez du travail et de la solidarité des sinistrés eux-mêmes, qui sont les premiers à réagir et à se venir en aide les uns aux autres. En outre, ni Cuba ni Haïti n’en sont à leur première situation difficile. Les habitants ont acquis une expérience précieuse, sans doute plus adaptée que celle des équipes humanitaires, et un sens de la débrouille (de « l’invention ») extrêmement développé. Dans les campagnes, cette première aide a été la plus efficace, parfois même la seule.
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L’impasse que les médias internationaux ont faite sur Cuba pourrait être interprétée comme un boycott de l’État socialiste par les médias capitalistes, si cette période n’était déjà passablement dépassée, Cuba devenant de plus en plus une destination touristique et un lieu d’investissement convoité. Certes les nouvelles sont moins spectaculaires qu’à Haïti, mais ne serait-ce pas aussi et surtout parce que l’État exerce un contrôle strict sur les organisations humanitaires et ne leur laisse pas les coudées franches ? Comme le remarque très bien Frédéric Thomas, médias et organisations humanitaires fonctionnent la main dans la main : sans mettre en doute leur intention de bien faire, il est certain que le misérabilisme, les mises en scène avantageuses et les comptes rendus valorisants pour justifier les actions humanitaires et continuer à capter des fonds nécessitent le soutien des médias. Alors que cette dramatisation atteint son point culminant à Haïti, elle est impossible à Cuba. L’aide humanitaire n’est pas absente pour autant : j’ai vu des colis portant le sceau du PNUD (vaisselle, citerne), de petits colis de l’Unicef pour les enfants et d’autres portant le sceau conjoint d’Oxfam et l’Union européenne (seaux, filtre à eau). Dans un village où je suis passée, on raconte que ces derniers colis dormaient dans des entrepôts jusqu’à ce qu’arrive un représentant d’une de ces deux organisations et qu’il exige qu’ils soient distribués gratuitement aux familles de la zone qui se trouvait dans l’œil du cyclone. Le Venezuela a envoyé des bateaux entiers chargés de matériel. Alors qu’à Haïti, ce sont les organisations humanitaires, aux budgets exorbitants, qui décident de leur action et qui vont jusqu’à intervenir dans les affaires d’un État fantomatique, à Cuba, qu’il s’agisse de grosses organisations ou de petites aides privées, toutes doivent passer un contrat avec le gouvernement. L’avantage est une meilleure planification de l’aide, en fonction des besoins et des zones, et une meilleure hiérarchisation des critères de priorité (destruction totale, destruction totale du toit, destruction partielle, personnes âgées, mères célibataires avec enfants, cas sociaux, etc.). L’inconvénient est évidemment la centralisation et la bureaucratisation de l’aide qui ralentit passablement la distribution, et laisse pas mal de personnes dans des situations problématiques. Vu le retard pris dans la répartition de l’aide, la situation d’urgence décrétée pour trois mois vient d’être prolongée d’autant.
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Et l’aide de l’État à la reconstruction, comment est-elle organisée ? Après les gros travaux d’urgence (évacuation des gravats, déblaiement et réfection des routes, rétablissement de l’adduction d’eau, des lignes de téléphone et d’électricité, etc.), il fallait s’occuper des sinistrés. Assez vite, une commission composée du délégué du CDR [6], d’un travailleur social et d’un technicien du logement est passée, maison par maison, pour évaluer les dégâts et les besoins. Une fiche technique est établie pour évaluer les nécessités de chaque famille et leur attribuer un certain nombre de matériaux, qui seront vendus à moitié prix. Par exemple, les plaques de tôle ondulée pour la réfection du toit, qui coûtent un peu plus de l’équivalent de 4 € pièce, sont vendues à un peu plus de 2 €. Cependant, même à ce tarif avantageux, certaines personnes n’ont pas les moyens de payer. Prenons l’exemple de Dalia. À 70 ans, elle vit seule et touche une pension (chequera) minime (240 pesos cubains, c’est-à-dire environ 10 € par mois) qui limite pratiquement son alimentation aux vivres de la libreta. Sa maison n’a subi des dommages qu’au toit, mais elle manque du confort le plus élémentaire. Après évaluation, on lui attribue un « module » comprenant, outre les matériaux pour le toit, du ciment pour le sol des chambres, une citerne pour l’eau, des lampes au néon et du câble électrique. Mais comment pourrait-elle payer ces matériaux, même à moitié prix, avec de si faibles revenus ? Elle a donc droit à une « bonification », autrement dit le prix est calculé en fonction de ses revenus. Résultat final : un peu moins de 1000 pesos cubains (environ 40 €) pour l’ensemble, somme qui lui sera décomptée petit à petit de sa pension. Le hic, c’est qu’au bout de quatre mois, elle n’a toujours rien reçu… Quant à ses voisins, ils n’ont pas encore fini de payer le toit que l’ouragan précédent leur avait détruit.
De nombreux bâtiments publics ont été transformés en points de distribution des matériaux de reconstruction (par exemple et à mon grand dam, la bibliothèque publique de Baracoa). Les gens vont y chercher le module qui leur a été alloué. C’est l’abondance : les entrepôts les plus divers sont remplis de matériaux de construction, mais aussi de matelas, casseroles, essuies, draps de lit, vaisselle, filtres à eau, etc. Le problème, c’est que ces objets ont du mal à sortir des entrepôts, alors que les gens n’ont parfois ni matelas pour dormir ni tôles ondulées pour réparer leur toit. La raison peut en être l’incompétence ou, plus fréquemment, la lenteur bureaucratique. La maison de Mariana a été détruite par le cyclone et elle vit depuis trois mois chez sa fille avec son mari malade. Elle bénéficie d’une subvention [7], mais les matériaux n’arrivent pas, alors que sa fille, dont la maison a été épargnée, a déjà reçu — et aussitôt placé — les tôles nécessaires pour rénover son toit. On peut parler d’incohérence administrative… Quant à la lenteur, elle s’explique par une organisation et un contrôle pointilleux, justifiés par un souci de justice sociale. Chaque fiche technique est envoyée à la « zone de défense » [8] pour signature et établissement d’un devis financier basé sur la quantité de matériaux attribués par le technicien du logement. Elle est ensuite remise au travailleur social, qui détermine les modalités de paiement en fonction de la situation sociale des sinistrés (paiement comptant à moitié prix, retenue sur salaire, crédit, bonification, subvention). S’il s’agit d’une bonification ou d’une subvention, la fiche est envoyée au gouvernement municipal de Baracoa pour approbation ; s’il s’agit d’un crédit, un délégué de la banque est présent dans chaque zone de défense pour s’occuper des formalités nécessaires. Un exemplaire de chaque fiche est conservé par l’administration de la zone de défense et un autre est remis à la personne concernée. Mais il faut d’abord retrouver la fiche, ce qui prend du temps, vu que rien n’est informatisé et que les papiers s’égarent facilement. Ensuite, il faut attendre que les matériaux correspondants arrivent au point de distribution. Ceux qui peuvent payer cash emportent directement leur module, les autres doivent se soumettre à une série d’épreuves bureaucratiques supplémentaires. Dans le meilleur des cas, un ordre de priorité est établi en fonction de la gravité des cas. J’ai par exemple assisté à une distribution gratuite de matelas (un par famille) réservés aux habitants d’un autre village qui avaient été victimes de destruction totale de la maison ou du toit. Les autres matelas viendront plus tard et devront être payés à moitié prix. Cette lenteur et ces contrôles n’empêchent pas les détournements, le favoritisme, la corruption et les arnaques, tout en les limitant passablement. La véracité des fiches techniques fait l’objet d’un contrôle aléatoire, avec sanctions à la clé pour les abus. J’ai connu le cas de travailleurs sociaux qui revendaient ou détournaient des objets stockés dans les entrepôts et qui ont été découverts lors d’un contrôle aléatoire. Arrêtés par la police, ils sont en attente de jugement.
À ces différentes aides, il faut encore ajouter des mesures générales de crise pour la région de Baracoa : distribution supplémentaire et gratuite de riz et de haricots noirs, contrôle temporaire du prix de certaines denrées vendues librement, réduction temporaire du prix des transports, vente à prix réduit de certains produits de base (savon par exemple), exemption temporaire de certaines taxes (transports privés et chambres d’hôtes), etc. Certaines de ces mesures sont bien accueillies, d’autres génèrent quelques effets pervers, mais la constante est qu’à Cuba, quelle que soit l’origine de l’aide, le généreux donateur reste toujours l’État…
En conclusion, ce qui frappe par rapport à Haïti, c’est la main(de fer)-mise de l’État sur la prévention et l’aide par rapport au cyclone. Malgré ses limites et ses errements, il faut reconnaître que le résultat est largement plus positif qu’à Haïti et a permis d’éviter les pertes humaines (si l’on excepte quelques morts par infarctus après le passage de Matthew), ce que l’on apprécie grandement quand on a des proches qui se trouvaient dans l’œil du cyclone. Par ailleurs, mes contacts sur place m’ont permis d’apprécier à leur juste valeur la débrouillardise et la solidarité des Cubains eux-mêmes. Et ce qui est étonnant pour l’Européenne que je suis, c’est que personne n’est désespéré ni même abattu. La situation est ce qu’elle est, il faut s’en accommoder. On se plaint des lenteurs administratives, mais on sait qu’un esclandre ne ferait qu’empirer les choses. On prend patience, on essaie de passer « par la gauche » et la vie continue, entre récriminations, musique, rhum et rigolades. Éducation socialiste ou vitalité cubaine ?
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Notes
1 La comparaison se justifie par la proximité géographique des deux îles et par le fait que le même cyclone s’y est déchaîné avec la même force. On ne peut cependant pas comparer ces deux pays sur d’autres plans, étant donné les différences politiques, socioéconomiques et culturelles qui les séparent, Haïti étant le pays le plus pauvre d’Amérique. Notons qu’avant la Révolution, Cuba était la destination préférée de l’émigration haïtienne, qui ne met plus le cap sur l’île voisine depuis lors…
2 Ensemble des matériaux et objets qui sont attribués à une famille après évaluation des dégâts occasionnés par le cyclone.
3 Flora a fait 1750 victimes lors de ses deux passages sur Cuba. Bien qu’ayant très peu touché Haïti, ce cyclone y a laissé 5000 morts. La différence entre les deux îles ne date pas d’hier. Il ne faut pas oublier que Cuba a toujours été un pays beaucoup plus riche qu’Haïti et se caractérise par un haut niveau d’instruction.
4 Carnet de ravitaillement (et non de rationnement, notons-le !) attribué par l’État à chaque famille. C’est grâce à ce système que tous les Cubains obtiennent les aliments de base à un prix extrêmement bas, et que la misère et la famine sont évitées dans l’île. Ce carnet, abondant à l’époque soviétique, s’est réduit comme peau de chagrin…
5 Frédéric THOMAS, L’Échec humanitaire. Le cas haïtien, Louvain-la-Neuve / Charleroi, CETRI / Couleur livres, 2013. Les références à Haïti dans le présent article sont tirées de cet ouvrage.
6 Comité de défense de la Révolution : dans chaque circonscription ou quartier, les habitants élisent un délégué non rétribué par l’État. Ce délégué connaît bien ses électeurs et les représente au gouvernement municipal, où il est censé défendre leurs intérêts.
7 Attribution gratuite de 90 000 pesos cubains pour la reconstruction totale de la maison détruite. Les bénéficiaires s’engagent à ne pas vendre leur maison pendant 15 ans.
8 Instance politico-militaire regroupant plusieurs circonscriptions.