La bande originale

A l’occasion de la sortie du 231 de notre magazine C4 « Il était une fois la révolution », nous vous proposons un petit tour d’horizon de quelques albums dont les pochettes ont été fortement influencées par l’esthétique propre à la révolution russe et aux courants artistiques inhérents à celle-ci. De l’électro à l’EBM en passant par l’industriel mais aussi le (post) punk ou le rock’n’roll.

7 novembre 2017

A l’occasion de la sortie du 231 de notre magazine C4 « Il était une fois la révolution », nous vous proposons un petit tour d’horizon de quelques albums dont les pochettes ont été fortement influencées par l’esthétique propre à la révolution russe et aux courants artistiques inhérents à celle-ci. De l’électro à l’EBM en passant par l’industriel mais aussi le (post) punk ou le rock’n’roll.

 

KRAFTWERK « The Man Machine » (Capitol Records)
Faut-il encore présenter la mythique formation allemande Kraftwerk ? En 78, les hommes-machines ont déjà traversé et dépassé le kraut rock depuis deux ou trois albums pour en arriver à quelque chose de plus personnel et proposent alors une musique robotique mais hautement mélodique, accessible et franchement addictive. Énorme influence sur la musique synth-pop ou électronique des 80’s (et d’après), cet album reste une de leurs œuvres majeures maintes fois samplée et sans laquelle la scène techno de Detroit, par exemple, n’aurait jamais existé telle qu’on la connaît.

 

DEUTSCH AMERIKANISCHE FREUNDSCHAFT « Die Kleinen und Die Bösen » (Mute Records)
Avant de devenir un des piliers fondateurs de l’EBM (electronic body music) sous la forme d’un duo composé du batteur/« machiniste » Robert Görl et du chanteur Gabi Delgado, DAF officiait en quatuor avec guitare et basse électriques dans un style électro-punk déjanté aux paroles cyniques, provocatrices et parfois surréalistes, comme sur le morceau « Nachtarbeit » où ils décrivent l’aliénation du travail de nuit. Un an plus tard, le groupe sortira leur morceau probablement le plus populaire, « Der Mussolini », où les différents courants politiques/religieux tels que le fascisme, le communisme ou le christianisme sont présentés comme des danses… Quant à « Der Sheriff », sorti début des années 2000, il constitue une solide charge anti-américaniste et anti-Bush avec une vidéo assez explicite présentant la confection d’un cocktail Molotov embrasant le drapeau américain.

 

FRONT 242 « Back Catalogue » (Wax Trax ! Records)
Autre groupe incontournable et fondateur de l’EBM mais en provenance de notre beau royaume, Front 242 reste assez unique dans le paysage belge. Ils ont marqué les esprits non seulement avec leur musique mais aussi avec un visuel soigné – que ce soit à travers leur look ou leurs pochettes –, jouant sur les codes ainsi que sur une imagerie futuriste et martiale pas toujours bien vue. Cela ne les empêchera toutefois pas de gagner une popularité sans cesse croissante bien au-delà des limites de notre petit pays, tournant aux USA pour la première fois en 83, suite à leur signature sur le label Wax Trax ! La compilation « Back Catalogue » sortie en 87 revient sur les premières années du groupe, les plus intéressantes à mon sens.

 

NITZER EBB « That Total Age » (Mute Records)
Autre formation majeure de l’EBM, les Anglais de Nitzer Ebb, fortement influencés par DAF, pousseront la formule du duo allemand encore un peu plus loin dans le minimalisme, voire parfois le basique. Ici, il n’est peu ou pas question de mélodie ou d’atmosphère, c’est le règne du chant hargneux, scandé, de la percussion martelée et de la ligne de basse implacable. Implacable, c’est en effet le mot qui vient immédiatement à l’esprit à l’écoute des classiques hyper dansants du genre « Join in the Chant » ou encore « Let Your Body Learn », hymne à cette formidable machine qu’est le corps humain!

 

TEST DEPT « Shoulder to Shoulder » (Some Bizzare Records)
Pionniers du mouvement industriel souvent comparés à leurs cousins germains Einstürzende Neubauten en raison de l’utilisation commune de matériel et de pièces récupérés sur des chantiers, les Londoniens de Test Department s’en distinguaient toutefois par un côté percussif et rythmique plus prononcé ainsi que par l’absence du côté lyrique et extraverti qui caractérise les Allemands précités. Leur engagement politique les poussa aux côtés des ouvriers grévistes lors de la fermeture des mines de charbon au milieu des années 80 par la Dame de fer en Grande-Bretagne, allant jusqu’à collaborer avec les choristes du South Wales Striking Miner’s Choir  pour une tournée ainsi que l’enregistrement de l’album dont il est ici question.

 

LAIBACH (artwork de Andrey Martynov)
Originaire d’ex-Yougoslavie, le groupe emprunte son nom à celui de Ljubljana (capitale de la Slovénie), Laibach étant la traduction en allemand de celui-ci. Représentant la branche musicale du Neue Slowenische Kunst – un mouvement artistique dont ils sont également les co-fondateurs –, ils sont aussi l’une des formations les plus controversées de la musique moderne par leurs provocations diverses, utilisant aussi bien l’imagerie nazie que socialiste ou futuriste. Ce mélange de symboles et d’esthétiques laisse rarement indifférent comme le prouve la réaction de Manu Chao au début des 90’s sur Canal+, qui les qualifia purement et simplement d’extrémistes et de fascistes (suite à la diffusion d’un documentaire sur Arte). Une opinion qui mérite certainement d’être nuancée quand on y regarde de plus près.
Musicalement proche de la scène industrielle originelle à ses débuts, avant d’évoluer de différentes manières (pour le meilleur ou pour le pire) selon ses changement de musiciens, Laibach peut néanmoins se targuer d’être le premier groupe étranger a avoir joué en Corée du Nord. Adeptes des reprises improbables et savoureuses au Xème degré, ils ont aussi bien « détourné » Queen que les Beatles, les Stones ou même Opus !

 

CONSOLIDATED « Consolidated ! » (Nettwerk)
Plus qu’un groupe de musique nourri d’industriel, de funk, de hip-hop ou de metal, Consolidated formait un collectif radical et activiste clairement positionné à gauche. Bien que conscient de faire malgré tout partie de l’« industrie du spectacle », il essayait néanmoins d’en tirer parti pour faire passer son message auprès du plus grand nombre tout en gardant un sens de l’auto-dérision censé lui permettre d’éviter le piège de « l’éducation permanente ». Ce qui ne les empêchait pas, toutefois, d’interrompre leurs shows pour passer le micro dans le public afin d’ouvrir le débat au sujet du contenu de leurs morceaux, une ouverture assez inédite, en-dehors peut-être du milieu anarcho-punk.

 

THEATRE OF HATE « Westworld » (Burning Rome Records)
Mené par le charismatique Kirk Brandon, cette formation emblématique du post-punk/tribal anglais tire son nom du « Théâtre et son double » d’Antonin Artaud dans lequel il est question de « théâtre de la cruauté », concept impliquant l’engagement émotionnel de son public. Un concept cher à leur leader dont émane une ferveur quasi héroïque, propre à soulever les foules, avec son chant fier et haut-perché. En 1982, le groupe enregistre son premier album studio « Westworld » sous la houlette de Mick Jones, guitariste des Clash. Les compositions y sont épiques et parcourues d’un souffle de révolte/ révolution. Il y est question de jugement, de conquêtes, de réveil ou encore de remise en question du monde occidental comme sur le fameux « Do you believe in the westworld ? »

 

CCCP Fedeli alla linea « Ortodossia II / Compagni Citadini Fratelli Partigiani » (Attack Punk Records/ E.M.I)
On pouvait difficilement passer à côté de ce légendaire combo anarcho-punk italien, vu la thématique abordée dans cet article en regard de la sympathie qu’il affichait clairement pour l’Union soviétique. Très critique dans ses paroles envers la société occidentale et ses mythes, il préférait y opposer – avec une posture d’attirance/rejet relativement paradoxale – l’idéologie communiste/socialiste, voire islamique, comme sur le morceau « Punk Islam » dont il existe une trace youtubesque (au son pourri mais néanmoins haute en couleurs) issue d’une improbable performance télévisée d’époque… sur la RAI! Car le groupe est effectivement devenu au fil des ans très populaire dans son pays, allant même jusqu’à enregistrer un morceau avec… Amanda Lear !
Un peu avant la chute du mur, malgré leurs paradoxes, ils sont invités à Moscou où ils chantent leur fameux « A ja ljublju SSSR » devant un parterre de soldats de l’Armée rouge au garde-à-vous (et au premier degré !). En 1990, suite à la chute du mur de Berlin et à l’effondrement du bloc communiste, le groupe se dissout et se recompose sous l’acronyme de CSI (qui signifie à la fois « Consorzio Suonatori Indipendenti », leur nom officiel – Collectif de musiciens indépendants –, mais qui veut dire aussi « Comitato degli Stati Indipendenti » – Comité des États indépendants).

 

THE EXPERIMENTAL TROPIC BLUES BAND « The Belgians » (Jaune Orange)
Last but not least, un savoureux pastiche de la part de notre gloire rock’n’roll nationale célèbre pour avoir écumé toutes les scènes du plat pays (et d’ailleurs) avec leur « psycho boogie blues » complètement festif et déjanté. Il n’y a probablement pas plus à en dire que vous ne sachiez déjà à leur sujet, je préfère vous laisser contempler l’œuvre d’art à la gloire de notre vaillant royaume, camarades !

 

 

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