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Les sept disques de l’apocalypse

Avant que le ciel ne nous tombe sur la tête, Phil nous propose une petite sélection d’albums au nombre de 7, comme les 7 sceaux de l’apocalypse…

15 décembre 2018

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Avant que le ciel ne nous tombe sur la tête, que nous ne soyons noyés suite à une montée spectaculaire du niveau des mers ou emportés par un cyclone, Phil nous propose une petite sélection d’albums au nombre de 7, comme les 7 sceaux de l’apocalypse. Faites entrer les cavaliers et résonner les trompettes, c’est parti !

Killing Joke, « Killing Joke » (1980, E.G. Records)

Lorsque Killing Joke sortent leur premier album éponyme à l’aube des 80’s, ils ont déjà derrière eux un single intitulé « Turn To Red », mélange de dub et de post-punk qui annonce la couleur de leurs futures productions. « Il y a quelque chose dans l’air, tout le monde peut le sentir. Vois le prédicateur, écoute le crier… », dit un des couplets du morceau.
C’est dans ce climat inquiétant et tendu que baignent également les différents morceaux du premier LP dont les paroles évocatrices révèlent les obsessions de son leader Jaz Coleman. Il y est entre autre question de soleil vert, de rivières empoisonnées, de mutations et du monde de demain où l’homme retournerait à un état plus primitif…

Musicalement c’est une œuvre incontournable pour tout amateur de post-punk digne de ce nom et qui influencera nombre de groupes du genre et au-delà (punk, hardcore, gothique, metal ou metal indus). Traversée par une voix incantatoire, un son sale et saturé et une énergie tantôt tribale, tantôt dansante, elle marquera les esprits.

En bon prophète de l’apocalypse, Coleman prédit en 1982 la fin imminente du monde (vraisemblablement suite à un conflit nucléaire) et quitte le groupe à l’issue d’un concert afin de se réfugier en Islande pour y échapper. Heureusement pour le futur du quatuor et aussi un peu pour celui de notre planète, ses visions s’avéreront fausses et il sortira encore de nombreux albums par la suite aux titres tels que « Brighter Than A Thousand Suns » (description japonaise de l’explosion d’Hiroshima) ou « Pandemonium » (capitale imaginaire des enfers où Satan invoque le conseil des démons)… On ne se refait pas !

Aphrodite’s Child, « 666 » (1972, Vertigo)

Si l’on a le plus souvent retenu d’Aphrodite’s Child les hits « It’s five o’clock » ou « Rain and Tears », on connaît peut-être moins le célèbre groupe grec du chanteur de charme Demis Roussos et du fameux compositeur de musique de films Vangelis à travers « 666 », un concept album autour de l’Apocalypse selon Saint-Jean (666 étant comme chacun sait le « nombre de la bête »).

Celui-ci, pourtant écoulé à plus de vingt millions d’exemplaires, dépasse largement le cadre de la musique pop en s’aventurant dans des eaux prog’ rock/psyché avec un côté expérimental ou jazz fusion qui lui évite à la fois une catégorisation trop évidente tout en lui permettant de tenir tête à ce qui fut fait de mieux dans le style à l’époque. On y retrouve notamment le thème des quatre cavaliers, de l’agneau, du septième sceau, des sauterelles, des sept trompettes et évidemment celui de la Bête ! Bref on se croirait dans une production de Cecil B. DeMille. Rien d’étonnant à ce que Vangelis se soit tourné par la suite vers la composition de B.O de films.

Néanmoins, à côté de la thématique biblique apparaissent aussi une performance d’Irène Papas  simulant un orgasme sur fond de percussions et qui valut à l’album d’être censuré dans certains pays, ainsi qu’un titre nommé « Altamont » probablement en référence au drame survenu au festival du même nom, symbolisant en quelque sorte l’apocalypse du mouvement hippie (ce festival organisé par les Rolling Stones en 1969 se voulait une réponse de la Côte Ouest au festival de Woodstock organisé quatre mois auparavant. Il fut marqué par de nombreux actes de violences et la mort de plusieurs personnes dont Meredith Hunter, un spectateur noir, poignardé à quelques mètres de la scène pendant la prestation des Stones).

Godflesh, « Streetcleaner » (1989, Earache Records)

Pionnier du metal industriel dès la fin des années 80, créature bicéphale formé de G.C. Green et Justin Broadrick, le duo de Birmingham sort en 1989 un second album au contenu aussi décapant que le suggère son titre. La pochette annonce l’ambiance apocalyptique avec un visuel tiré du film « Altered States » de Ken Russel (traduit en français par « Au-delà du réel »), des corps crucifiés sur fond de paysage enflammé rougeoyant. Une vision infernale répercutée dans différentes plages comme « Like Rats » (« You were dead from the beginning… »), « Devastator », « Mighty Trust Krusher » ou encore « Dead Head ».

L’alchimie entre les rythmes mécaniques et fracassés, le son ultra lourd et granuleux de la basse, les stridences hypnotiques/dissonantes de la guitare et la voix souvent déshumanisée à travers différents effets constituent une bande-son de fin du monde assez pertinente. On y croise les spectres de Killing Joke et Swans à leurs débuts ou encore de Big Black ou Throbbing Gristle. De solides références comme ce LP lui-même devenu culte au fil du temps, au point que certains concerts du groupe y sont parfois largement ou exclusivement consacrés.

La suite de la carrière de Godflesh sera plutôt à l’avenant de cette ambiance plombée, on mentionnera ici plus particulièrement l’album de 2014 (le premier de la reformation après un hiatus d’une dizaine d’années), « A World Only Lit By Fire » qui une fois de plus annonce des lendemains peu prometteurs avec des morceaux comme « Dead End », « New Dark Ages »… Prévoyez toujours une bougie le cas échéant !

Neurosis, « Times of Grace » (1999, Relapse)

Tout comme Godflesh, Neurosis sont incontournables quand il s’agit d’évoquer les musiques lourdes et apocalyptiques. Brassant à la fois des influences punk, hardcore, metal, indus, voire folk, ils se sont imposés auprès d’un large public, non seulement par leur son, mais aussi par des visuels psychédéliques assez marquants qui accompagnent leurs shows.
Dans ceux-ci comme sur leurs pochettes, le groupe d’Oakland utilise nombre de symboles mystiques et alchimiques pour plonger l’auditeur dans un rituel de fin du monde qui ne signifie pas nécessairement l’anéantissement absolu, mais plutôt un passage, une étape vers quelque chose d’autre (comme le suggère peut-être le titre « The Doorway »). « Under the Surface » invite bien sûr à aller au-delà des apparences, du visible afin d’y découvrir la vraie nature, l’essence de toute chose (?). Et si « Descent » ou « The Last You’ll Know » semblent décrire la chute ou la fin de ce que l’on connaît, « Belief » est là pour rappeler que la tribu d’alchimistes sonores ne verse pas non plus dans le nihilisme pur et dur. La lumière est toujours là, quelque part, elle apparaît furtivement lors de ces instants de grâce qui donnent à cet album son titre, ainsi qu’une partie de son éclat.

Pour intensifier encore l’écoute, il existe un frère jumeau à cet LP intitulé tout simplement « Grace » et enregistré par Tribes of Neurot, side-project de Neurosis axé sur le côté expérimental et ambient du groupe. Celui-ci est conçu pour être joué simultanément ou en léger décalage avec « Times of Grace » : l’effet est saisissant !

Red Sparowes, « At the Soundless Dawn » (2005, Neurot Recordings)

S’il est un genre musical fort imagé dont l’atmosphère renvoie fréquemment au thème dont il est question dans cette sélection, il s’agit bien du post-rock – ce terme fourre-tout reprenant des groupes aussi variés que Tortoise, Slint, Mogwai ou encore Godspeed You! Black Emperor – ou en tout cas de la branche la plus « dramatique » de celui-ci. La plupart du temps on y trouve des instrumentaux aux titres assez parlants, comme c’est particulièrement le cas ici.

En effet, les différentes plages de « At the Soundless Dawn » sont autant de vers qui, juxtaposés, forment une sorte de poème apocalyptique dépeignant une catastrophe approchant inexorablement sous le regard d’une foule médusée et impuissante, comme en témoignent les titres « Mechanical Sounds Cascaded Through the City Walls and Everyone Reveled in Their Ignorance » (Des bruits mécaniques traversèrent les murs de la ville et tout le monde était fasciné par sa propre ignorance) et « A Brief Moment of Clarity Broke Through the Deafening Hum, But It Was Too Late » (Un bref moment de lucidité perça le vrombissement assourdissant, mais il était trop tard).

Vous en conviendrez, l’ambiance ne semble pas au beau fixe chez ces oiseaux de mauvaise augure. Toutefois l’utilisation d’une guitare slide donne un petite touche lumineuse aux morceaux, comme une lueur crépusculaire apaisante en arrière-plan de leurs sombres tableaux.

Current 93, « Lucifer Over London » (1994, Durtro)

Formé en 1982 par David Tibet dont il est le seul membre permanent (bien qu’épaulé par de fidèles collaborateurs), Current 93 connaît des débuts très industriels avant de s’orienter plus tard vers une musique plus acoustique qualifiée de neo-folk, dark folk ou apocalyptic folk. Tirant le nom de son projet des écrits d’Aleister Crowley, les paroles de Tibet sont autant influencées par l’ésotérisme que par le mysticisme chrétien, le bouddhisme tibétain, l’étude des runes et le surréalisme, pour ne citer que quelques courants. Il chante/déclame ses textes d’une voix à nulle autre pareille, tantôt sereine et apaisée, tantôt incantatoire et maléfique, comme habitée par quelque esprit malin.

« Lucifer Over London » s’ouvre comme un clin d’oeil sur le riff de « Paranoid » de Black Sabbath avant de laisser place à une superbe, mais grinçante ballade où est répété comme un mantra « Six six six, it makes us sick, we’re sick sick sick of six six six » qu’on pourrait interpréter comme un ras-le-bol face aux (pseudo-)satanistes – ou en tout cas une envie de se démarquer de cette religion/philosophie que n’a jamais prêchée Current 93. Quant au morceau de clôture de ce 3-titres, il prend ici toute son importance puisqu’il s’agit d’une longue pièce eschatologique d’à peu près 14 minutes intitulée « The Seven Seals Are Revealed At The End Of Time As Seven Bows: The BloodBow, The PissBow, The PainBow, The FamineBow, The DeathBow, The AngerBow, The HoHoHoBow » (les Sept sceaux sont dévoilés à la fin des temps comme 7 arcs : l’arc de sang, celui de la pisse, de la douleur, de la famine, de la mort, de la colère et du hohoho). Vous voilà prévenus !

Kiss The Anus Of A Black Cat, « Weltuntergangsstimmung » (2012, Zeal Records)

D’entrée de jeu, le combo gantois n’a pas choisi la facilité en s’affublant de ce nom parfois rédhibitoire qui est le leur. Issu d’un rituel médiéval de sorcellerie, celui-ci est peut-être un obstacle à la conquête des charts mondiaux mais n’en marque pas moins immanquablement les esprits (le fameux magazine The Wire les a cité dans son top 10 des groupes aux noms les plus absurdes). Quant au titre de l’album à peu près imprononçable pour le commun des mortels, à l’exception de ceux et celles ayant des affinités avec la langue de Goethe, il s’inscrit pile-poil dans la thématique qui nous occupe et signifie « atmosphère de fin du monde » ou plus simplement « humeur d’apocalypse ».

Cette atmosphère est ici véhiculée par une dark wave souvent comparée aux Sisters of Mercy, Bauhaus ou encore Virgin Prunes, et qui derrière une apparente froideur musicale révèle une sensibilité exacerbée soulignée par la voix particulièrement expressive de Stef Heeren. Il s’y entend pour faire vivre ses sombres prophéties d’un monde déliquescent vu au travers du prisme du désenchantement et de l’aliénation, comme sur la plage titulaire et finale où il est question d’une vision qui se veut la seule et unique. Plus tôt, le morceau « Ruins » évoque le moment où « tout s’effondrera et tout ce qui avait du sens sera recouvert de boue (…) » et où il est demandé si alors « tu porteras la torche pour moi ? », clin d’œil fort probable au morceau « Torch » de Sisters of Mercy.

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