Alors que les Soupes et Papotes vont bon train dans le cadre du festival Nourrir Liège, Boris Krywicki nous invite à nous pencher sur nos habitudes de consommation, quitte à les changer. À leur rythme et un jour à la fois, sa compagne et lui-même ont déclaré la guerre aux déchets inutiles. Ils nous expliquent pourquoi et comment…
J’ai du mal à me rappeler si ça a commencé par le shampoing ou le dentifrice. Je ne vous parle pas de ma toilette de ce matin, mais de nos habitudes de consommation, à ma compagne et moi-même, soucieuses du mode de vie labellisé, sur internet et ailleurs, « Zéro Déchet ». Est-ce une secte, une conspiration, voire un monde parallèle ? Rien de tout ça. Plutôt une batterie de réflexes à intégrer, avec ses avantages et ses travers. J’ai testé pour vous la posture du « militant passif », du « convaincu circonspect » ou je ne sais quel autre oxymore : être entrainé dans le sillon de mon amoureuse-locomotive et opérer un tri, à mon échelle, des pratiques que j’accueille ou non parmi mes automatismes revanchards.
En bon reporter de l’extrême, j’ai harcelé ma principale source au cours d’un trajet en voiture – merci de n’y voir aucune pique concernant les femmes au volant, je conduis beaucoup moins bien qu’elle. Scoop : chez nous, le Zéro Déchet n’a pas été inspiré par du shampoing solide ou du dentifrice en poudre conseillé par une amie intrépide. Je suis ironiquement moi-même à l’origine de sa ferveur anti-emballages, en lui ayant recommandé la lecture d’une enquête. En 2015, la journaliste indépendante Stéphane Horel vient présenter son ouvrage « Intoxication » à l’Université de Liège. Elle y raconte une longue investigation au cœur des lobbies européens qui œuvrent quotidiennement pour pérenniser les fameux « perturbateurs endocriniens », des produits chimiques nocifs notamment présents dans les pesticides ou… le plastique. Il n’en faut pas plus à ma compagne – même si le documentaire « Océans de plastique » en a rajouté une couche – pour proclamer cette matière ennemi domestique numéro un. Elle ne veut plus voir sa gueule, ça va être sa fête !
Essais, erreurs, essais encore
Sauf que non : si je me montre honnête et que je romance moins mon récit, vous allez comprendre que ce genre de prise de conscience qui mène à une consommation différente n’a rien de radical. Nous ne sommes pas partis en croisade contre les emballages, et encore moins du jour au lendemain. Dans le cas de notre héroïne, le Zéro Déchet s’est tissé petit-à-petit, à force de rallier des groupes Facebook ou d’acheter quelques bouquins spécialisés, moins journalistiques que le travail de Stéphane Horel, certes, mais plus pratiques. « Elle explique un combat mais n’apporte aucune solution », m’assène ma compagne, qui s’est du coup orientée vers les astuces concrètes de livres tels que « Zéro plastique Zéro toxique » et les échanges avec d’autres initié.e.s sur les réseaux sociaux. « Sur Facebook, une dame avec quatre enfants expliquait qu’elle n’avait pas le temps de concocter elle-même sa lessive. Elle demandait des avis sur une marque de produits de nettoyages et de cosmétiques privilégiant les circuits courts et visant l’empreinte zéro carbone, en pensant que c’était une bonne alternative. Beaucoup de membres du groupe Facebook ‘Zéro Déchet’ étaient hostiles, arguant qu’il faut préférer le fait-maison, mais certains ont tempéré et considéraient ça comme un bon début ».
Parmi ces entreprises, H2O mise beaucoup sur le bouche-à-oreille, canal par lequel se propagent les adoptions de pratiques de vie différentes. Elles naissent de discussions entre ami.e.s à propos des gestes quotidiens, de comment on se débrouille pour gérer son habitat sans polluer comme des sagouins. Dans un secteur où il est difficile de faire confiance – l’esbroufe du label Bio, encore dénoncée récemment dans le film « L’illusion verte », en a dégoûté beaucoup –, pouvoir essayer un article en direct, grâce à la recommandation d’une connaissance, constitue un gros plus. Mais il reste des progrès à faire : d’après ma compagne, « ça reste mieux que ce qu’on trouve dans les supermarchés, mais ils utilisent beaucoup de plastique, par exemple pour emballer les recharges ». Pour se montrer exemplaire et éviter les dépenses irraisonnées, on n’est jamais mieux servi que par soi-même : il faut jouer les petit.e.s chimistes et partir à la chasse aux tutoriels sur le net.
Débute ainsi une longue traversée du désert. Des chaînes YouTube qui promettent une dizaine d’« astuces zéro déchet » parce que le courant semble à la mode, on en trouve facilement en quelques secondes (les outils de recherche sont vos amis !) Mais l’apprentie-écoresponsable éclairée qu’incarne ma compagne découvre qu’elles abritent souvent les mêmes rengaines, très convenues pour peu qu’on se soit déjà penché sur le sujet : « évitez les sacs en plastique », « achetez en vrac », « privilégiez les produits réutilisables »… Merci, on sait : « Ces vidéos permettent surtout de se rendre compte à quel point les Français sont en retard vis-à-vis du tri par rapport aux Belges : elles te présentent l’utilisation de la bulle à verre comme un truc révolutionnaire ». Pour obtenir des pistes en français qui sortent des sentiers battus, il faut fouiner sur les groupes Facebook et se préparer à une belle galère (en passant, on trouve bien plus facilement son beurre sur les blogs et webzines anglo-saxons, scandinaves et germaniques, sensibles depuis bien plus longtemps que nous à ces questions). Pourquoi tout le monde ne balance pas ses recettes de produits d’entretien faits-maison en open access ? Notre candide comprend vite : un peu comme pour les coins à champignon, ça ne se fait pas de demander. Ou alors, tu raques. « Souvent, les gens vont te répondre ‘Si ça t’intéresse, j’anime un atelier sur cette thématique, 30€ la journée’. C’est un business à part entière, et sans passer par là, on retombe toujours sur les mêmes guides un peu nazes » [ref] (elle recommande néanmoins le blog Aroma Tips) [/ref].
Avancer à son rythme
Alors on se résigne et on passe à la caisse. Au-delà d’une question d’argent, suivre une formation permet surtout un gain de temps : « Comme tu essaies sur place, en présence de personnes qui maîtrisent, tu sais que la méthode de fabrication est efficace et que tu pourras la réitérer ensuite ». Tester de nombreuses recettes disponibles gratuites, cela prend du temps. Quand ta tablette de lave-vaisselle homemade foire pour la troisième fois et qu’il faut renettoyer derrière – et utiliser les trucs nuls que tu as créés jusqu’au bout pour ne pas jeter –, tu perds patience et fais des concessions. Direction L’Entre-Pot, un magasin en vrac liégeois qui donne ce genre d’ateliers à l’occasion. Découle de ses enseignement notre utilisation quotidienne de dentifrice en poudre, par exemple, « concocté en trois minutes : blanc de Meudon, savon de Marseille, sel et éventuellement des huiles essentielles ». La boutique a longtemps incarné, en conséquence, notre havre du Zéro Déchet. Le vrac permet d’éviter pas mal de tentations, de ne pas céder aux injonctions du « 1 + 1 gratuit » dont les restes pourrissent dans le frigo. Puis viennent les commandes des paniers de légumes issus de la ferme bio Fitterer. « On se dit que c’est meilleur pour la santé, qu’il vaut mieux manger de saison ». Problème : les lots sont constitués au gré des récoltes. L’hiver me paraissait déjà long, mais quand il s’agit de manger du chou pendant trois mois, il devient interminable.
Nous nous sommes donc rabattus sur Les Petits Producteurs, une coopérative qui se fournit chez des agriculteurs des parages. Au-dessus de chaque article, un petit portrait du « mécano » de la nature à qui on le doit et, surtout, la distance qui sépare son origine du commerce. L’occasion de se rendre compte que, oui, quand tu achètes des oranges, même dans une boutique qui préconise le local, tu favorises l’importation. L’idée, ce n’est pas de vous dire que telle enseigne est meilleure qu’une autre : chacune a ses travers et il leur arrive à toutes de commettre des impairs. S’il fallait trouver une morale à ce modeste récit de vie je la puiserais dans la réponse de ma compagne quand j’étais réticent face au shampoing solide : « Tu sais, il ne faut pas te forcer. Chacun doit avancer à son rythme, choisir l’alternative qui lui convient sans se faire violence ou se rendre l’existence invivable ». Et, sans couteau sous la gorge, c’est de bon cœur que j’emballe mes tartines dans du bee wrap plutôt qu’avec de l’aluminium. Je me surprends à aller par moi-même dans une cafétéria végétarienne le midi, sans regretter mon ravier de frites. Et à pester quand, avec mon salad bar, on me tend des couverts en… plastique.