Le 14 septembre prochain, nous croiserons à nouveau la route du roller derby. Après avoir consacré un diaposonore intitulé « girls don’t cry » à l’équipe Holly Wheels Menace (from Liège) en 2016, la deuxième édition de notre Bagarre Générale annuelle mettra à l’honneur ce sport de contact qui a vraiment beaucoup de choses pour nous plaire : très prisé par les filles (sa pratique a été investie par les milieux féministes alternatifs durant les années ’90), le roller derby oppose fréquemment des équipes mixtes et demeure sans conteste 100% badass.
Al et Xa nous racontent l’histoire de ce sport, depuis l’invention du patin à roulettes jusqu’à nos jours, et nous expliquent en quoi ce sport a contribué – et contribue encore – à l’émancipation des femmes et à promouvoir la diversité.
Roller derby, roller derby, Al en parlait depuis bien trop longtemps sans que Xa puisse mettre une image sur les entrainements et les matchs qu’elle lui contait. Ce qu’il savait, c’est que cela se passait en patins à roulettes, et que c’était un sport « de filles ».
Par un froid dimanche d’automne, Al emmena donc Xa à un entraînement de roller derby. Une fois arrivé, le brave homme s’apprêtait à voir des sportives au corps musculeux et au faciès agressif. Quelle ne fut donc pas sa surprise de voir des blondes (et des brunes, en fait) au visage angélique, des petites, des grandes, des toutes minces, des pulpeuses, des tatouées, des à la peau aussi vierge qu’une plage d’île déserte… En un mot, des filles de tout acabit.
Puis l’entraînement commence. Regards concentrés, muscles tendus, tension maximale. Sous les conseils de leur coach, Les Dissidentes s’entrechoquent, se mêlent, se poussent, s’entraident, filent à toute allure ou au contraire freinent au maximum. Tout va vite, ça bouge dans tous les sens ! Un joli bordel.
Devant ce drôle de rêve punk sous acide, le Xa se triture le cerveau (selon une expression d’Al). Il veut comprendre. Y a des règles à votre truc, ou c’est du catch à roulettes ?
Alors oui, il y a des règles. Dix patineuses montent sur la piste ; cinq de chaque équipe : une jammeuse dont le boulot est de passer les adversaires et de marquer des points (un point par adversaire dépassée) et quatre bloqueuses qui tentent de retenir la jammeuse adverse et d’ouvrir la voie à celle de leur équipe. Au début de chaque « round », qu’on appelle jam, les deux jammeuses donnent leur vie pour sortir du peloton. La jam dure deux minutes. Ça va vite deux minutes ! Sauf quand t’es jammeuse, parce que là, c’est loooong deux minutes.
Un parfum de liberté
Un peu de règles, ça rassure déjà à moitié Xa. Mais il reste perplexe (sans blague !) . Quelle peut bien être l’histoire de ce sport ? Et, surtout, pourquoi a-t-il la réputation d’être féministe ?
Ça commence en 1760. Il était une fois un Belge, Jean-Joseph Merlin (l’enchanteur ?), invente le patin à roulettes. Au cours du 19e siècle, l’invention se perfectionne et des clubs de loisirs orientés vers le patinage à roulettes ouvrent en Europe et aux USA. Du fait de la proximité du patinage et de la danse, les codes de conduite se ressemblent et il est admis que des hommes invitent des femmes à patiner avec eux et qu’ils puissent leur parler (carrément !). Les jeunes femmes de la haute société victorienne, cadenassées dans les règles de l’étiquette la plus stricte, y voient une formidable occasion de liberté et de flirt. Beaucoup d’entre elles vont occuper leurs loisirs au patinage qui leur permet non seulement de rencontrer des hommes, mais en plus de le faire loin de leurs chaperons, largués par la vitesse et les figures (bien fait !).
Nous sommes là dans les années 1880. Le combat des femmes pour l’autonomie politique et la visibilité sociale balbutie à peine. Et le patinage naissant, en tant qu’activité de loisir, leur apporte un début de commencement du parfum de cette autonomie.
Mais allons voir un peu plus loin dans le temps, au moment de la naissance du roller derby proprement dit, dans les années 1930.
En ces années de crise économique, on organise de nombreux défis hardcore comme les dancethon ou les walkathon où les participants marchent ou dansent jusqu’à l’épuisement, parfois jusqu’à la mort – on savait s’amuser à l’époque [ref] voir à ce sujet le film « They Shoot Horses, Don’t They? (On achève bien les chevaux) » de Sydney Pollack, 1969. [/ref] ! Le 13 août 1935, Leo Seltzer organise au Chicago Coliseum le premier roller derby de l’histoire. Il s’agit, en couples mixtes, de parcourir une distance équivalant à la traversée des USA de New-York à San Diego (4300 km environs), soit 57 000 tours de piste. Ce premier match dura trois semaines et attira 20 000 spectateurs. En 1937, Seltzer comprit que regarder des tours de piste pendant des semaines allait lasser (sans blague !) et, avec l’aide d’un scénariste, il ajouta à la course en couples la possibilité de se bloquer et de se faire tomber (bagarre !). Le roller derby devenait le sport de contact qu’il est encore aujourd’hui.
De nouveau, cette version ancienne du sport est en avance sur le plan du féminisme : non seulement, les femmes peuvent participer (et oui, on en est là : c’est déjà une victoire de participer), mais c’est une des premières activités où femmes et hommes recevaient mêmes salaires et mêmes récompenses, donc carrément on les paye pareil, les meufs ! En outre, hommes et femmes couraient ensemble, avec les mêmes règles, dans les mêmes équipes, sans discrimination… Trente ans avant le Mouvement de libération des femmes et ses revendications.
Féminisme à roulettes
Après, c’est la lose : on oublie le roller derby. Puis réssucitation ! (j’invente des mots si je veux)
Le roller derby revient au-devant de la scène dans les années 1970, sous l’influence des shows de catch à la TV et du mouvement punk qui depuis quelques années supplantait la mode hippie comme mode d’expression contestataire auprès des jeunes : les punks se voulaient plus durs, plus violents que leurs prédécesseurs dans leur opposition au système. Leur allure provocatrice (souvenons-nous des maquillages outranciers pour hommes et femmes, des fameuses épingles à nourrices utilisées comme piercing…) et leurs textes en forme de claque (il faut réécouter « Holiday in Cambodia » des Dead Kennedys ou « Anarchy in the UK » des Sex Pistols pour s’en rendre compte), tout ce mouvement inspire des équipes de jeunes femmes qui relaient sur le track la contestation du système propre aux punks. Ces nouvelles équipes vont éclore un peu partout aux USA, dans des tenues plus provocatrices (le micro-short et les collants déchirés, ils viennent de là, et pas d’une volonté de t’aguicher), des maquillages (de guerre) outranciers, et des noms pleins d’agressivité. Beaucoup de ces filles étaient ouvertement et consciemment féministes. Plusieurs d’entre elles vont également dire leur opposition à la guerre du Vietnam, par exemple.
Puis, de nouveau, le roller derby perd de son audience… (oui, c’est une sale habitude, mais bon)
Enfin, en 2001, à Austin, Texas, un groupe de filles renoue avec le roller derby en lui apportant toute la fantaisie et la virulence des scènes burlesque et drag qu’elles fréquentaient. Parmi ces filles, Molly « Master Blaster » Stenzel, présidente de la WFTDA (Women’s Flat Track Derby Association), et Shauna Cross, scénariste du film « Whip It (Bliss) » [ref] adaptation de son roman « Derby Girl » (2007) porté à l’écran par Drew Barrymore en 2009. [/ref] qui devient instantanément culte et suscite la création de milliers de clubs sur tous les continents (sauf l’Antarctique, c’est ballot !). Cette ultime renaissance du derby va apporter non seulement une mode de maquillages et de noms de joueuses proches de l’esthétique drag (tout en gardant un peu de punk, ce qui donne parfois des mélanges détonants), mais aussi une ouverture radicale aux personnes LGBTQ+. De nouveau, le roller derby se retrouve à la pointe du combat pour davantage d’égalité.
Seule ombre au tableau, si le roller derby se veut inclusif, les membres restent très majoritairement des femmes blanches, de 18 à 40 ans, issues des classes moyennes et bourgeoises.
La WFTDA, prenant au sérieux le problème, vient cet été de réagir avec vigueur en obligeant les clubs et le personnel à développer des politiques de discrimination positive envers les minorités racisées, indigènes et les populations appauvries sous peine de sanctions sévères, ce qui en fait l’un des rares sports à exprimer une telle volonté d’ouverture aux USA.
Tout le monde a le droit de patiner
Bon, la conclusion, tu la sens venir, tu l’entends comme un homme orchestre avec des sabots à grelots : quelles que soient tes qualités physiques, quelle que soit ta carrure, ta couleur, ta condition, you’re welcome ! Al, elle joue à Liège, chez Les Dissidentes, le club de roller derby attaché au RCAE, mais dans toutes les grandes villes il y a maintenant un club. Il y a même des équipes d’hommes qui se créent un peu partout (ben oui, quand une idée est fun, on les voit qui rappliquent). La seule condition, c’est de tenir vaguement sur des patins à roulettes. Le reste, ça s’apprend. C’est garanti, tu ne te retrouveras pas face à un mur (enfin si, mais uniquement dans le jeu) [ref] Ah… On me dit dans l’oreillette que personne ne comprend ma blague : alors un mur, c’est ce que les bloqueuses forment pour empêcher la jammeuse adverse de passer. [/ref] .
Bagarre Générale #2 ! Le teaser
Bagarre générale #2 Le 14 septembre 2019 @ La Caserne Fonck à Liège.
Bagarre Générale #2 – Romano Nervoso + Roller Derby
Samedi 14 septembre à partir de 20h
au Manège Fonck, rue Ransonnet 2, 4020 Liège.
Entrée : 10 € en prévente | 13 € sur place.