Changer de film

Cette analyse prend corps au lendemain du rassemblement au Parc de la Boverie dimanche 28 mars autour du collectif «Même pas peur» à qui, sois-dit en passant, je fais un big up pour son courage. Courtisé par les adeptes du grand reset, torpillé par les virologues Facebook, dénigré par les médias et stigmatisé par les politiques, faut être un peu givré pour emprunter un terrain pareillement miné… Petit tour d’horizon entre les tranchées…

photo: Manu Rigutto

2 avril 2021

Cette analyse prend corps au lendemain du rassemblement au Parc de la Boverie dimanche 28 mars autour du collectif «Même pas peur» à qui, sois-dit en passant, je fais un big up pour son courage. Courtisé par les adeptes du grand complot, torpillé par les virologues Facebook, dénigré par les médias et stigmatisé par les politiques, faut être un peu givré pour emprunter un terrain pareillement miné… Petit tour d’horizon entre les tranchées…

Avec les Cortèges de braises, La Santé en lutte, Still Standing for Culture et plus récemment Même pas peur, nous avons la particularité à Liège de descendre souvent et massivement dans les rues pour critiquer la doxa sanitaire sans céder à la confusion et au complot, comme c’est le cas dans d’autres pays. On n’est évidemment pas à l’abri de timides tentatives de l’extrême droite d’infiltrer, mais, globalement, l’agitation reste à gauche. Vous ajoutez à cela l’occupation des parcs et des berges de la Meuse par les « jeunes » et les cities parades de l’horeca. Certain.es se croient en Suède !

Les récentes émeutes raciales ont cependant brouillé l’échiquier et rappelé violemment que le confinement et ses mesures n’étaient pas vécu par toutes et tous avec la même intensité((« Tremblement de terre à Liège, Place Saint-Lambert, Samedi 13 Mars 2021, vers 15h » in L’Entonnoir https://bit.ly/2OcBVsT [consulté le 1er avril 2021])). La militarisation de l’espace public et tout l’arsenal post-colonial qui va avec renforce ce sentiment de dictature sanitaire, surtout quand des mesures (souvent incohérentes) sont prétextes au contrôle social et à l’arbitraire dans les quartiers ou dans les parcs. La dernière sortie de Même pas peur dimanche dernier, a rassemblé une foule bigarrées portant une parole « apolitique » sentant le « rassurisme » ou le corporatisme… Un patchwork difficilement audible dans les milieux de gauche. Si la contestation devait prendre de l’ampleur, il va falloir composer avec tout cela et ce ne sera pas facile.

Mais les gauches, enfin des gauches, occupent le terrain de la critique sanitaire sur les pavés de la Cité ardente, et ce n’est pas rien. Liège a aussi eu la particularité ces dernières semaines d’être « épargnée » par le virus. Les hospitalisations restent sous contrôle, les hôpitaux accueillent même des malades venus de Namur((« Coronavirus : les hôpitaux de la province de Namur quasi saturés transfèrent des patients vers Liège » in RTBF infos du 31 mars 2021 : https://bit.ly/3rCU0Ow)). Se sont succédés depuis maintenant plus d’un mois plusieurs gros rassemblements publics en mode « monde d’avant » sans qu’aucun cluster significatif ne soit épinglé, et trouble l’envie ou le besoin de se rassembler. Cela ne veut pas dire que les rassemblements ne font pas circuler le virus, d’ailleurs les chiffres de « cas » ont augmenté de 30 % ces derniers jours. Mais je ne suis pas sûr que les manifs vireraient à chaque coup en Tomorrowland si les hospitalisations ou la mortalité explosaient. L’intelligence collective, elle est aussi là, d’une certaine manière. Une idée peut être bonne un jour et mauvaise le lendemain. Toujours est-il que la révolte gronde, c’est le moins que l’on puisse dire. À l’heure d’écrire ces lignes, le tribunal de Première Instance de Bruxelles vient de condamner l’État à lever toutes les mesures Covid d’ici 30 jours((« L’Etat condamné par le tribunal de Bruxelles qui juge les mesures covid « illégales » » in Le Soir du 31 mars 2021 : https://bit.ly/3mcNBZb)) ; le collectif Wallonie Horeca appelle à rouvrir le 1er mai((« [On ouvre le premier mai] Collectif Wallonie Horeca » [page FB consultée le 31 mars 2021] : https://fb.watch/4A40ooIfuA/)) ; Still Standing For Culture, via un de ses porte-paroles, épingle la date du 25 avril comme un possible auto-déconfinement des lieux culturels((« La culture va-t-elle s’autodéconfiner ? « Il faut pousser le gouvernement à assumer ses choix politiques et idéologiques » » in La Libre du 31 mars 2021 : https://bit.ly/3cG3p3u)).

Certains marabouts prévoient le pic de l’épidémie pour le 10 avril, il est fort à prévoir que « ces prochaines semaines vont être décisives » et le premier mai risque d’arriver à un moment critique !

Sourd à la colère et aveugle à la souffrance

Sans revenir sur les critiques à « tout rassemblement public » énoncées à longueur de journée dans la presse et ses commentateurs/trices, il y a quand même un truc qui me turlupine. On l’a dit plus haut, les grands rassemblements publics ne semblent pas être de grands pourvoyeurs de clusters. Cela semble se confirmer à l’étranger aussi((https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20210308.OBS41115/faut-il-vraiment-craindre-les-rassemblements-en-plein-air.html)). Malgré ces informations somme toute rassurantes, on continue de se farcir les éternelles ritournelles peu nuancées sur le « déni de la maladie », sur « l’égoïsme de certain.es », avec les raccourcis attendus comme quoi ces irresponsables seraient en fait responsables de l’encombrement des hôpitaux. Comment ne pas voir le sous financement des soins de santé, le scandale des masques, les dysfonctionnements du testing, du tracing, sans même parler de la campagne de vaccination. Comment « se tromper d’ennemi » à ce point ? D’où vient ce biais cognitif ? Personne ne sort indemne du matraquage médiatique constant, d’une année de « météo des morts, des hospitalisations et des contaminations » et ce, à l’échelle mondiale. Je parle de météo, mais cela ressemble plus à un écran de trader. Biberonnés par la peur, une peur vivante, qui se construit par effet centripète entre les communications politiques relayées par les médias mainstream et discutées sur les réseaux sociaux. Même si certain.es en tirent profit, personne n’est probablement responsable. On vit un moment d’auto-hypnose collective sans précédent.

Les alarmistes sont autant victimes psychologiquement du lockdown que les autres, à différents degrés selon leur échelle sociale, bien entendu. Mais en s’agrégeant de la sorte, ces alarmistes forment, malgré eux, un bataillon qui assure un rempart à la critique de la gestion sanitaire voulu par les néolibéraux et l’élite occidentale en général. Il est difficile de concevoir cette alliance contre nature autrement que comme résultat de la peur. Et de la rancœur aussi : « Comment osent-ils sortir alors que je reste chez moi ? ». Il n’y a aucune raison rationnelle pour une partie de la gauche d’être sourde à ce point à toute détresse autre que celle liée au Covid 19. Ça explose de partout. Secteur de soin en burnout, Horeca, secteur événementiel et socio-culturel, étudiant.es, jeunes des quartiers, adolescent.es en souffrance. L’état de santé mental de ces populations se dégrade, les hôpitaux psychiatriques et pédopsychiatriques ont du mal à suivre((https://plus.lesoir.be/358874/article/2021-03-04/les-services-hospitaliers-de-pedopsychiatrie-sont-satures)), les thérapeutes ont des listes d’attente de 6 mois et le services sociaux associatifs sont submergés. Bref, tout ce bordel est rassemblé sur un plateau de la balance et sur l’autre, le Covid 19. Et ben, sans suspense, c’est le Covid 19 qui fait pencher la balance ! Ce carnage sociale est relativisé à coup de : « On sait que c’est difficile pour tout le monde », « encore un peu de patience », « on voit le bout du tunnel », « il faut tenir bon et éradiquer le virus ». Que l’élite politique distille ces horreurs pour masquer son amateurisme (au sens où se donner les moyens serait perçu comme professionnel), je peux le comprendre. Mais tous les autres qui approuvent cela, ça me laisse sans voix. La peur devient une arme quand elle assoit l’urgence et, de fait, empêche la remise en question de la gestion de la santé publique.

Sortir de l’urgence sanitaire…

Que pouvons-nous faire pour sortir de l’urgence et changer de paradigme ? Perso, je ne crois pas trop à la consultation populaire, comme le voudrait le collectif Même pas peur. L’état d’hystérie collective dans lequel baignent les réseaux sociaux me fait craindre le pire. Par contre, va falloir débriefer sérieusement tout ce merdier et demander des comptes. C’est la première chose à revendiquer, et qui pourrait mettre tout le monde d’accord (sauf les fachos). Il faut des commissions d’enquête réellement indépendantes et publiques, où les actrices et acteurs de la société civile soient représentées. Ça devrait être une exigence pour nous. Pour la mort de nos aîné.es dans les maisons de repos, et pour tous les autres mort.es qui auraient pu être évité.es…

… et changer de film

Les virologues ont évidemment une utilité de premier ordre, surtout en début de pandémie. Tout qui a vu un blockbuster apocalyptique le sait. Les virologues lancent l’alerte, les politiques temporisent, c’est la merde partout dans le monde, puis on trouve un vaccin et ciao, bonsoir, générique. On a trouvé le vaccin, c’est le moment de changer de film. S’il y a une urgence, elle est là. Les virologues doivent cesser de souffler à l’oreille des politiques et doivent passer la main aux expert.es de la santé publique. Ça devrait être une exigence non négociable.

Repenser un autre système de soins de santé, cela va prendre du temps. Autant démarrer tout de suite avant que les désastres provoqués par les changements climatiques « prennent par surprise » l’élite politique et qu’elle soit encore obligée de nous confiner « pour nous protéger ».

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