Ce texte s’adresse aux personnes qui sont vaccinées ainsi qu’aux personnes qui ne sont pas vaccinées contre le covid-19 et ses itérations. Il s’adresse à celles et ceux qui ne sont pas dupes. Il dit aux « pro-vax » comme aux « anti-vax » la chose suivante ; le problème n’est pas là. Ou pas uniquement. Ce qui fait problème, en revanche, à coup sûr, c’est l’ordre sanitaire, ses contrôles et ses pass. On voit l’avènement d’un modèle de société basé sur la traçabilité et le tri ; accès verrouillés ou déverrouillés, sur une base non plus uniquement raciale et économique mais, dorénavant, également sanitaire. C’est une nouvelle ligne de segmentation, qui bouleverse radicalement l’expérience de ce que c’est qu’être blanc dans une nation coloniale – c’est-à-dire ayant pour habitude et tenant pour acquis que toutes les portes soient toujours ouvertes et tous les indicateurs au vert. Désormais, le voyant peut clignoter en rouge et la barrière rester fermée. On voit par là que l’enjeu n’est pas de camper sur des positions figées, revendiquer le respect de « droizacquis » ou autres « libertés fondamentales ». Il n’y a pas de libertés toutes nues et encore moins de fondements. Il y a, bien plutôt, la production d’un ordre auquel on nous demande, jour après jour, de consentir. Il ne faut plus seulement être obéissant (en mode passif) mais réitérer continuellement notre engagement à l’être et à le demeurer. Voici donc la question posée par ce texte : qu’advient-il de nos capacités à désobéir ?
Or donc ledit « pass sanitaire » est en voie de devenir une réalité en Belgique. On voit mal comment on pourrait y couper, quand nos grands pays voisins y cèdent les uns après les autres, dans un cadre européen que la Belgique adore tant harmoniser.
Concrètement, cela signifie ; pour pouvoir vivre en société, faire la preuve répétée de son innocence sanitaire. C’est un renversement inédit ; tout un chacun est considéré malade a priori, jusqu’à ce que le fait d’être en « bonne santé » soit positivement démontré.
En ce sens, le pass sanitaire a une certaine vertu de vérité ; car nous sommes effectivement tous malades. Nous sommes malades d’une société corrompue jusqu’à l’os, baignant dans son pétrole jusqu’à la nausée, irradiée jusque dans les tréfonds de ses campagnes, empoisonnée par toute la merde qu’elle avale et respire.
Tout cela, bien sûr, on le sait. Il n’y a guère que les clés du destin, ou la force du vent qui souffle, qui pourraient en décider autrement et ce n’est pas notre affaire ici.
Ce qui est tout à fait impardonnable en revanche, c’est d’accepter de vivre des petites vies craintives, étriquées, toute rabougries, flétries comme des pommes jetées en tas au pied du pommier. Nos sociétés occidentales sont vieilles et gouvernées par la peur de mourir.
On peut y voir de la résignation, une certaine paresse à s’opposer à la bêtise ambiante : bref, une attitude passive par rapport à ce qui arrive.
Il y a de cela, c’est vrai, mais ce n’est pas tout. Aujourd’hui, il y a aussi qu’on nous demande sans cesse notre consentement. Il nous faut acquiescer jour après jour à ce cirque abruti qui mime, sans trop de conviction, ce que nous avions jadis coutume d’appeler « société ».
Le ver était dans le fruit depuis le début de la pandémie, quand on y pense. Ne sachant quoi faire, tous les gouvernements occidentaux s’étaient tournés vers la Chine et ont dupliqué leur politique de confinement, de masques et de psychose collective. Le meilleur de la parano communiste dans le plus capitaliste des mondes. Merci.
Ça, c’est pour le régime gouvernemental, dans la droite ligne duquel se profile le pass sanitaire. Je me souviens avoir vu un documentaire sur ARTE, il y a des mois, où l’on voyait effectivement les citoyens chinois brandir des QR codes pour grimper dans un taxi, rentrer dans un centre commercial ou aller au restaurant. Et m’être dit que ça nous pendait au nez.
Mais, de notre côté de la route de la soie, le ver était aussi dans le fruit avec… notamment, la Réglementation générale sur la protection des données, adoptée par la Commission européenne.
Eh bien, le RGPD est exemplaire de ces gestes que nous posons tous les jours qui valident, dans le concret de nos existences, une farce dans laquelle nous sommes à peu près contraints de jouer un rôle. Vous vous souvenez peut-être de l’apparition massive, sur tous les sites web, de tous ces bandeaux annonçant la politique de gestion de données. Ceux où il faut sans cesse cliquer sur « J’accepte », « j’accepte tout », « j’accepte en vrac »…
Vous avez peut-être eu la curiosité d’aller lire, une fois ou l’autre, ces fameuses conditions, peut-être même de cocher ou décocher une case ou l’autre, et puis, bien sûr, vous avez renoncé. Et à présent, comme tout le monde, vous cliquez avec agacement sur « oui », « s’il vous plaît », « laissez-moi entrer », « merde je veux juste visiter votre site », « foutez-moi la paix »…
Bien entendu, cela n’empêche rien ni personne de faire du pognon avec toutes ces masses de données numérisées, les vôtres y compris.
Je pense que cet exemple de RGPD est tout à fait caractéristique de tous ces gestes que nous répétons machinalement, jour après jour, sans plus même y penser, par lesquels nous validons une société malade qui projette sur ses bons sujets sa maladie et les voit pour ce qu’ils sont ; de pâles reflets de vivants.
Et nous, tous les jours, dorénavant, nous « acceptons tous » les cookies ; nous enfilons nos masques comme nos chaussettes ; nous payons sagement avec le « sans contact » de la carte bancaire (tout un programme en soi…) ; nous nous faisons curer le nez à tout bout de champ et nous « restons chez nous », bien sagement, à « prendre soin de nous ».
C’est terrible en termes de subjectivation. « Subjectivation », ça veut dire qu’on devient les gestes qu’on pose. Qu’on consent activement, tous les jours, de façon répétée, à ce régime de gouvernement sous psychose qui entretient une espèce de peur panique, qui met les jeunes sous clé, qui masque et bâillonne à tout va et, à présent, qui veut nous inoculer son vaccin sous peine de nous priver de vie collective.
On la voit venir d’ici, la norme ISO du bon citoyen, le citoyen standard ni trop vieux ni trop pauvre, ni trop en bonne santé (il faut continuer à faire du profit pour les firmes pharmaceutiques quand même) ni trop amoché (il faut continuer à produire et consommer).
On va produire les citoyens certifiés conformes en batterie. Il y aura les trop gras, trop imbibés, ensevelis sous le sel, la graisse, le sucre et autres « biens non méritoires », comme on dit en langage fiscal pour désigner le tabac l’alcool et l’essence, les gavés de la pharmacopée… et puis les autres.
Les autres : Les bourgeois standard, classe moyenne, repus, satisfaits, l’œil en berne, prompts à dégainer leur QR code, prêts à caqueter alentours leur bonne foi, ceux qui « n’ont rien à se reprocher((Cet argument est un vieux loup de mer : il n’y aurait pas lieu de s’opposer aux technologies de contrôle et de surveillance quand on a « rien à se reprocher ». On produit par là une citoyenneté « conforme », « normale », qui se distingue d’une citoyenneté réputée « déviante ». Déjà, bien peu nombreux sont ceux qui n’ont effectivement rien à se reprocher et, bien souvent, les premiers à se draper dans leur innocence supposée sont les plus gros cochons (poke Harvey Weinstein). Mais la question n’est pas là ; la question est que cette acceptation porte en elle un régime de surveillance, c’est-à-dire que la définition même de ce qui est « reprochable » ou pas n’est pas stable. En d’autres termes, vous pouvez très bien avoir un comportement irréprochable un jour qui devient répréhensible le lendemain. Exemple : vous rendre à l’étranger en tant que résident Belge, en 2020. Jamais on aurait pu imaginer que cela deviendrait illicite un an avant cette interdiction.]))» et sont tout prêts à en faire la démonstration à chaque occasion possible.
La bonne conscience à un coût, aujourd’hui ; consentir à produire son innocence sanitaire. Il sera donc dit que les indulgences contemporaines seront « sanitaires ».
Déjà, ce mot horrible de « sanitaire » rappelle, en vrac, le pire de l’hygiénisme et des showrooms de salle de bain en toc du grand capitalisme. Être sain. Ne pas présenter d’anomalies. N’être ni pourri ni gâté. N’avoir subi aucune altération. Avoir de belles dents blanches bien alignées. Être de bonne morale, évidemment. De plus en plus heureux et productif.
C’est ce qu’on appelle un processus de « conformation », c’est-à-dire qu’une forme apparaît ; cette forme du bon citoyen neutre et en bonne santé, indifférent à l’absurdité de la réponse à la pandémie et à ses suites. Cette forme, on nous demande de l’endosser, de la revêtir comme s’il s’agissait d’un vêtement.
Le problème central, de ce point de vue, est le vaccin. Il est de bon ton de ne pas prendre position sur cette question, critiquant « le pass sanitaire » mais « pas le vaccin », en faisant attention à bien dissocier l’un de l’autre. Sauf que, depuis le début de cette pandémie, la vaccination nous est rabattue en mode TINA, comme s’il n’y avait pas d’alternatives. Pas de ciblage des populations à risques, pas d’investissement dans l’hôpital public, pas de discernement quant aux priorités médicales.
Non, non ; le vaccin, le vaccin, le vaccin. Pour toutes et tous, partout et tout le temps. En dehors du vaccin, point de salut. C’est la seule issue envisagée.
C’est à ce point seulement qu’on peut ne pas aller plus loin sur la question du vaccin ; je ne dis pas qu’il est efficace ou dangereux ; je n’en sais rien et ce n’est pas mon problème. Là où ça devient mon problème, c’est que le pass sanitaire ne peut exister qu’à la condition d’avoir accepté le vaccin comme seule réponse politique à la pandémie.
La seule solution, c’est le vaccin, donc tous les moyens sont bons pour l’administrer à la populace, au nom bien sûr de la « solidarité avec les plus faibles ». Ce qui apparaît très clairement aujourd’hui, c’est qu’en acceptant la piqûre, c’est aussi bien le virus de la société qu’on se fait injecter dans les veines.
On endosse ce régime de gouvernement et cette bêtise pandémique ; on les arbore en sous-cutané.
Le vaccin appelle le pass et le pass répond au vaccin, comme mode de tri, de vérification de celles et ceux qui se sont sagement comportés, et comme mode de punition des autres. Quiconque s’avise de dévier de la ligne droite est aussitôt rejeté comme hérétique ; c’est vrai dans les récits médiatiques, mais c’est vrai également dans les familles, sur les lieux de travail, dans les écoles, …
On me reprochera de dramatiser un petit peu et on n’aura pas tort. Je cherche ici à rationaliser ce qui crie en moi depuis le début de cette pandémie et qui me rend fou. Ce rejet, par mes tripes et par toutes les fibres de ma peau, de l’ordre qui s’installe et de son spectacle ; et la grande sensation d’impuissance qui m’habite, face à cette trame grotesque.
La situation pandémique est comme un avis de gros grain, une tempête qui souffle sur nos sociétés. Ce n’est en rien une « catastrophe naturelle » ; si l’événement covid devient une catastrophe, c’est parce qu’elle vient se greffer sur une époque et un certain état de délabrement de nos sociétés vieillissantes.
À cette condition, la pandémie pouvait devenir catastrophe. En témoignent tous les pays du globe – j’en ai visité quelques-uns cet été – où on ne fait pas tout un fromage du covid ; sans doute par manque de lait et de ferments. Il est des endroits où on a mieux à faire ou moins à perdre.
Alors, chez nous, il y a un avis de tempête. Que voulez-vous faire face à une tempête ? Il faut faire le dos rond. Ne pas s’échiner à lutter contre l’événement, parce qu’il est trop puissant. Le Zarathoustra de Nietzsche donne ce conseil « à ses ennemis et à tout ce qui crache et vomit : “Gardez-vous de cracher contre le vent !” »
En revanche faut apprendre à ne pas se laisser obséder, posséder par ce qui arrive, à ne pas vouloir que ça change massivement – parce que ça n’arrivera pas. Personnellement, j’y parviens très mal et très péniblement, et cela me demande beaucoup d’énergies.
Alors, à tort ou à raison (la vérité n’est pas ici mon affaire), parfois je refuse d’acquiescer. Je refuse de consentir, de me plier, de me courber. Je puise de la force dans ces refus, j’y trouve des prises dans une époque qui en manque cruellement.
C’est une façon parmi d’autres de composer avec le temps qu’il fait.