Depuis ce 8 octobre, la « radio jeunes » de la RTBF, Pure FM, diffuse l’émission « L’avenir appartient à ceux qui écoutent Pure FM ». De quoi s’agit-il. De permettre aux auditeurs « lève-tôt » de bénéficier en primeur d’offres d’emploi. Un seul critère pour la sélection des offres est réclamé par la radio : ne pas exiger d’expérience préalable. L’initiative n’a pas enchanté les oreilles des Jeunes-CSC. Ceux-ci dénoncent une énième stigmatisation des demandeurs d’emploi. « L’emploi des jeunes devient une forme de loterie conditionnée au fait d’écouter ou non une émission de divertissement »[ref] voir le communiqué des jeunes CSC datant du 8 octobre : http://www.csc-en-ligne.be/Actualite/Communiques/detail/PureFM.asp[/ref], qui plus est, sur une chaîne du service public. Bientôt, à l’achat de deux bacs de Cara Pils, une offre d’emploi.
Pour grotesque que soit l’initiative, elle est symptomatique des préjugés anti-chômeurs. Il y a quelques années, Christian Wagner, le ministre de la Justice du Land de Hesse avait suggéré de « garder un œil sur les chômeurs » au moyen de « menottes électroniques », afin de leur réapprendre à « vivre à des heures normales ». [ref]Les chômeurs de longue durée étaient comparés à des « drogués », parlant d’« accoutumance » à propos de leur situation sociale. Un parlementaire de la même région parlait lui carrément de « délinquance »… « Le Parisien », 30 avril 2005.[/ref] Certes, ces déclarations avaient suscité un tollé dans les médias allemands, M. Wagner avait dû faire machine arrière, prétendant que ses propos avaient été « déformés » et « mal interprétés ». Il n’empêche, ce dérapage, contrôlé ou pas, est révélateur du climat anti-chômeurs savamment attisé par les politiques et la presse. La doxa dominante a en effet réussi à détourner une bonne part de l’hostilité des travailleurs vers ceux qui n’ont pas le bonheur d’en avoir. Plus que les réels profiteurs, les professionnels de la rente, les boursicoteurs de haut vol, les tops managers surpayés, les stars de l’économie spectaculaire, ceux qui ne se lèvent pas tôt, parce que, très franchement, ils n’ont aucune bonne raison de le faire, suscitent la hargne des travailleurs.
Le prestige du grand matin
Si les récriminations des lève-tôt contre les lève-tard ne dit pas grand-chose sur la supposée paresse des demandeurs d’emploi, elles révèlent en revanche l’extraordinaire malaise des travailleurs, leurs frustrations. Si se lever tôt et travailler était réellement épanouissant, comme le voudrait la légende libérale, les travailleurs matinaux n’auraient aucune raison de se plaindre des travailleurs sans emploi. S’ils le font, c’est sans doute qu’ils détestent se lever tôt, mais qu’ « il le faut bien ». A voir les mines réjouies dans les trains ou les bus du matin, on se demande où les magazines santé unanimes ont trouvé que se lever tôt est bon pour le corps et pour le moral…
Ce serait même plutôt l’inverse qui est vrai. Se réveiller brutalement, de manière non naturelle, sous la contrainte d’un réveille-matin ou d’un autre facteurs extérieurs dérangeants, n’est pas très sain, perturbe les rythmes biologiques, suscitent du stress, etc. Et contrairement à ce qu’avancent beaucoup (et beaucoup d’« études »), l’heure du coucher n’a qu’une influence marginale sur la santé. Et pas dans le sens qu’on imagine. Les cycles de sommeil paradoxal sont plus longs le matin que le soir, il serait bon de ne pas se lever trop tôt. Si le sommeil du soir est « réparateur » pour le corps, celui du matin le serait pour l’esprit. Une étude menée en 2009 au Centre de Recherches du Cyclotron de l’Université de Liège (ULg) a comparé des sujets ayant tendance à se coucher tôt et se lever tôt (« du matin ») et ceux ayant tendance à se coucher tard et se lever tard (« du soir »). Les sujets de l’étude ont eu une tâche à effectuer 1h30 après leur réveil et 10h30 après leur réveil. Il n’y a pas de différence à 1h30 du réveil, par contre à 10h30 après leur réveil, on constate que ceux du soir ont plus de facilité à effectuer la tâche que ceux du matin, qui semblent avoir plus de mal à résister au sommeil…
Pourquoi donc cette obsession du matin et cette acceptation de normes contre-nature, qui fait passer les sans-emploi pour des feignants ? Bien sûr, c’est absurde, les chômeurs ne dormant pas plus que la moyenne (et probablement plutôt moins), mais certains, il est vrai, vivent « décalés » par rapport aux normes imposées par un travail fixe. Bien des emplois actuels ne justifient plus du tout des horaires précis, voire des horaires tout court. Mais on sait les employeurs plutôt frileux en la matière. L’aménagement des horaires de travail doit souvent faire l’objet d’âpres négociations. Et le télé-travail, qui permet au travailleur d’organiser lui-même ses horaires, n’arrive toujours pas à percer. Les « mentalités » n’évoluent pas si vite, dira-t-on. Le prestige du grand matin, s’il est quelquefois fondé en raison (profiter de l’ensoleillement, pour les métiers de plein air, par exemple), a surtout des origines religieuses. Le matinet est le meilleur moment de la journée pour adorer le Seigneur. C’est dans la Bible.[ref]D’autres exemples sur ce site évangéliste.[/ref] Et pour les organismes de placement, c’est le meilleur moment pour chercher du travail.