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Service de confession publique

12 mars 2013

Nous mangions distraitement nos tartines respectives quand nos cerveaux ont été violemment frappés. Comme souvent, nous n’écoutions pas religieusement la Première où passait l’édition du journal de 13 heures. Quelque chose à un moment donné a dû capter notre attention et quand le sujet a été dés-annoncé, on s’est regardé et l’un d’entre nous a dit : « m’enfin ». Il voulait signifier : « qu’est-ce que c’est que ce truc immonde qu’ils viennent de passer sur antenne ». Bref, ça méritait de s’y arrêter un peu, histoire de voir comment ça fonctionne, une machine pareille.

Préambule : je vais commencer par faire ce que pas mal de journalistes devraient faire plus souvent au lieu de se cacher derrière ce bidule qu’ils appellent neutralité et dont la consistance théorique est des plus douteuses. Je vais expliquer, avant de commencer, avec quelle hypothèse de travail je pense la question qui va nous concerner, en l’occurrence, celle du chômage. Il me semble (et je suis loin d’être tout seul à penser dans ce cadre) que toute cette histoire de plan d’accompagnement fonctionne comme une réponse hyper-répressive et très conservatrice quand il s’agirait plutôt d’être innovants -parce que la tendance de l’emploi à disparaître n’a rien de conjoncturel et que réduire à l’infini les cotisations sociales, si on y regarde de plus près, ça ne fait qu’aggraver le problème. Hélas, tous les ministres de l’emploi fédéraux (des socialistes) qui se sont succédés ces dernières années refusent d’envisager les mutations qui s’imposeraient pour préférer rendre, finalement, les chômeurs responsables de la situation. Il suffirait qu’ils s’activent pour trouver un job – et donc, le créer. Évidemment, avec une équation de base aussi tordue, impossible d’obtenir des résultats probants. À moins que ce qu’on ne cherche ce ne soit de mettre encore plus de pression sur le marché de l’emploi…

Voilà donc l’outillage que j’ai en tête quand je me retrouve à écouter ceci :

 

13h 8mars V.Fievet Chômage by Gregpascon on Mixcloud

Il y a d’abord l’intro de Marie-Laure Steisel, très intéressante. Elle nous signale qu’on va rester dans le chapitre socio-économique du journal pour parler du contrôle des chômeurs – on vient à peine de quitter les ouvriers d’Arcelor-Mittal qui bloquent les postes frontières d’Eynatten et de Visé. Il y aurait pas mal de liens à esquisser entre les deux situations : les métallos virés d’aujourd’hui se retrouveront, après-demain, devant un facilitateur de l’Onem ; puis, on pourrait aussi s’interroger sur l’adéquation d’une politique d’activation du comportements des demandeurs d’emplois aussi répressive en période d’épidémie de licenciements. Mais, ici, rien de tel. Impossible de savoir pourquoi – toujours est-il que les deux situations ne semblent avoir aucun rapport si ce n’est qu’elles sont insérées dans la même catégorie.

Donc, une transition minimaliste et la présentatrice de ce journal du 8 mars va rappeler ce qui est donné à entendre comme « les règles du jeu » en matière d’accompagnement des chômeurs. Comme ça, très à plat. Que ces règles fassent l’objet de pas mal de contestations de la part des syndicats ou de collectifs de chômeurs, ça importe peu.  De nouveau, impossible de savoir pourquoi on n’a pas un mot sur la dissension à ce sujet – toujours est-il qu’à ce moment-là, elle n’a pas droit de cité.

Or, on pourrait vraiment penser qu’il y a quelque chose de fameusement pernicieux à présenter une question aussi politisée sous son angle simplement réglementaire. On pourrait même se demander si la démultiplication de propos médiatiques fonctionnant sur ce type de régime discursif, complètement déchargé de tout antagonisme, ne participe pas à la neutralisation du débat. Et qu’une question comme le chômage, à force d’être introduite de la sorte, finit par se réduire à une simple question morale (faire retourner une partie de la population dans la norme comportementale par rapport à laquelle elle avait fait un écart) ou un problème de gestion comptable (ça coûte trop cher, on ne peut plus payer). Et surtout, faudrait commencer sérieusement à se demander si on ne confond pas être neutre et neutraliser.

Voilà, maintenant, nous sommes supposés être suffisamment informés, pour accompagner Véronique Fievet devant l’Office national de l’Emploi bruxellois. Et là, on rencontre Sophie qui apparaît d’emblée comme très inquiète. Logique, cette jeune maman vient d’être sanctionnée. Le facilitateur qui a examiné son comportement a rendu un avis négatif. Et là, suite à une question (qui aurait pu être tout autre), la chômeuse va avouer au public de la RTBF sa culpabilité : « je suis en colère mais contre moi-même parce que je n’ai pas fourni assez de preuves d’activation ». Elle n’en veut pas aux contrôleurs de l’Onem, ils appliquent les lois, mais ce serait mieux s’ils l’expliquaient plus précisément aux chômeurs. Et Sophie de conclure en disant que la seule échappatoire possible à tout cet enfer, ce serait de trouver un emploi.

La Logique de l'Abstraction

La Logique de l’Abstraction

Voilà, c’est tout pour le témoignage sous forme d’aveu de la jeune-mère-de-famille-pour-la-journée-de-la-femme (on est le 8 mars). Rien à ajouter. Pas la peine de contextualiser économiquement le propos : le fait que Sophie soit forcée de participer à une grande compet’ qui ressemble à un jeu de chaise musicale où il y a quelque chose comme 20 concurrent-es pour 1 siège, c’est pas très important. On peut faire sans et on comprendra tout aussi bien. Et c’est vrai, on comprendra, et on va même mieux comprendre que si on avait complexifié la situation. Le problème c’est : qu’est-ce qu’on va piger, qu’est-ce qu’on est amené à croire.

En nous livrant ainsi le témoignage de Sophie, abstrait de tout contexte socio-économique, on a vraiment l’impression qu’on légitimise pleinement la vision psychologisante que le ministère de l’emploi a du problème du chômage – et que son actuel locataire résume parfaitement en affirmant qu’il faut parfois prendre les chômeurs par le collier. Une des principales critiques des opposants au plan d’accompagnement des chômeurs (ceux-là même sur qui on a fait l’impasse en début de reportage) porte, précisément, sur cette stratégie de psychologisation d’une question pourtant résolument politique. « Plus d’un million de chômeurs et on voudrait te faire croire que tout ça, c’est de ta faute à toi », écrit le collectif Chôming Out.

Ce qui semble vraiment dérangeant, c’est que tout le sujet fonctionne comme un spot radio vantant les mérites et la pertinence des politiques gouvernementales d’activation des chômeurs. Or, un truc pareil n’aurait rien à faire dans un journal du service public. Et ce qui est troublant, c’est que plus les journalistes ne pensent pas la situation en terme politique, plus ce qui est produit ressemble à s’y méprendre au point de vue du pouvoir en place. Mais ça, il nous faudra sans doute continuer à supposer que c’est tout simplement le fruit du hasard.

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