Ceci est un article au poil !

En ce début de printemps, Mademoiselle Catherine a voulu en savoir davantage sur les poils qui nous ont tenu chaud (ou non) pendant l’hiver…

9 avril 2019

Parce que c’est le printemps, le retour des beaux jours, la montée de sève, etc., Mademoiselle Catherine a voulu en savoir davantage sur les poils qui nous ont tenu chaud (ou non) pendant l’hiver. Et puisque la galerie Rature expose du 11 avril au 11 mai un Cabinet des Curiosités dédié au Poil imaginé par la Compagnie Ah Mon Amour !, elle fait d’une pierre deux coups !

 

Je me souviens, il y a plus de vingt ans de cela, quand la patineuse artistique Katarina Witt avait posé pour le magazine Playboy, une jeune femme d’origine turque m’avait dit trouver ces photos très belles, mais que les poils pubiens n’étaient pas, dans sa culture, une chose à montrer, ni même à avoir. Nous étions en 1998, et ça m’avait marquée parce que l’épilation intégrale n’allait être à la mode par chez nous que plusieurs années plus tard. La multiplication des plateformes de streaming porno gratuites sur internet (YouPorn n’arrivera sur la toile qu’en 2006) n’y sera pas pour rien, et le prestigieux magazine de charme ne succombera à l’entrejambe imberbe qu’à l’aube du troisième millénaire.

En quelques années seulement, le poil pubien deviendrait l’ennemi à abattre pour qui souhaite se conformer aux « normes » – normes que l’ont prendrait étrangement moins au sérieux quand il s’agira, par exemple, de blanchir son anus, une pratique certes marginale et cependant tout aussi réelle que la nymphoplastie [NSFW], intervention chirurgicale visant à raboter les petites lèvres génitales. Mais je m’égare…

Un peu d’histoire

Les hommes et les femmes se seraient débarrassés de leur toison aussi loin que l’Âge de pierre. En ces temps reculés, les êtres humains auraient déjà rasé leurs cheveux et poils faciaux dans le but d’éviter les engelures au visage et à la tête. Ce n’est qu’à l’Antiquité que l’épilation dépasse l’aspect purement fonctionnel : si les Égyptiens abandonnèrent leur toison à des fins de confort – en raison des températures élevées –, mais aussi d’hygiène – puisqu’il arrive que des petites bêtes y élisent domicile –, le rasage et l’épilation devinrent aussi un signe de civilisation et de sophistication. Même son de cloche en Grèce et en Rome antique, qui adoptèrent les pratiques égyptiennes. En l’absence de rasoirs à usage personnel, la dépilation était réservée aux hommes issus des populations les plus aisées, ayant les moyens de se rendre chez le barbier, tandis que les femmes s’épilaient au sucre ou à la cire pour fréquenter les bains. Si les poils pubiens étaient considérés comme barbares dans certaines franges de la population de la Grèce antique, il n’en allait pas de même pour les sourcils touffus, et le mono-sourcil était le nec plus ultra en termes de séduction. Les Chrétiens du Moyen Âge mirent fin aux corps imberbes, en interdisant cependant la barbe aux hommes, possiblement comme une manière de se distinguer des cultures juives et musulmanes. Fun fact : cette période verra naître la merkin, ou perruque pubienne. D’abord utilisé par les prostituées qui se rasaient le pubis pour éviter les morpions, le postiche connaît un regain d’intérêt depuis que Hollywood s’accorde le droit d’exposer des corps nus en full frontal. La moumoute pubienne est ainsi apparue dans la série « Black Sails », « The Girl with the Dragon Tattoo » de David Fincher ou encore le merveilleusement dégueulasse « The Greasy Strangler ».

Le marché du poil

Il faudra attendre le 18e siècle pour voir apparaître les premiers rasoirs à usage personnel : jusqu’alors, la dépilation faciale était effectuée chez le barbier. C’est le coutelier français Jean-Jacques Perret qui eut l’idée d’adapter la longue lame des professionnels en l’attachant à une garde en bois, inventant ainsi le rasoir à rabot. L’outil, alors réservé aux plus riches, sera perfectionné par l’entrepreneur américain King Camp Gillette en 1895, avec l’élaboration du premier rasoir de sécurité, moins onéreux et plus fonctionnel que son prédécesseur. Au cours du 20e siècle, celui-ci sera d’ailleurs de plus en plus massivement adopté par les femmes qui, outre le sucre et la cire, se tournaient auparavant vers des crèmes dépilatoires souvent toxiques et abrasives pour arriver à bout des poils inopportuns.

Entre temps, l’épilation et la dépilation représentent un marché extrêmement juteux à la clientèle aussi variée que ses méthodes : rasoirs jetables ou non, tondeuses, épilateurs, laser, lumière pulsée et j’en passe. Autant de produits que l’ont pourrait croire en perte de vitesse face au récent revival du poil facial masculin et à une prise de conscience que notre pilosité, notamment pubienne, a peut-être bien une quelconque utilité (spoiler : oui !). Il n’en est rien, que du contraire : l’industrie de la chasse aux poils poursuit une croissance qui semble ne pas vouloir s’arrêter. Pourtant, des œuvres et créations récentes, telles que le Cabinet des Curiosités de la Compagnie Ah Mon Amour ! ou la bien nommée « Défense du poil – contre la dictature de l’épilation intime » de Stéphane Rose (La Musardine, 2010), nous rappellent que le pelage humain peut-être un terrain de jeu ludique et envoûtant.

Un poil nommé désir

Dans son poétique court-métrage d’animation « Poils » (2013), Delphine Hermans dépeint en 9 minutes chrono une galerie de portraits et de fantasmes parfaitement jubilatoire.

« J’avais envie de parler du désir, mais pas de manière trop directe, j’ai donc essayé de faire se croiser et s’entrecroiser des personnages qui avaient chacun leur manière d’aborder ou de vivre le désir. Ça m’amusait aussi de parler des poils parce que c’est quelque chose d’étrange et de fascinant à la fois. Quand tu commences à creuser ce sujet-là, tu te rends compte qu’il y a toutes sortes de bizarreries, et que les cheveux et les poils ne sont pas des objets anodins. Du coup, le poil est une sorte de métaphore, et plus tu tournes et t’éloignes progressivement du sujet, plus tu peux parler de tout ce dont tu as envie. »

Au départ de cette histoire de poils, Delphine Hermans nous invite à explorer le corps, le désir et la sensualité :
« C’est un truc qui m’a toujours posé question : est-ce que quand tu aimes quelqu’un depuis longtemps, tu as toujours du désir pour lui ? Et si le désir s’en va, est-ce qu’il revient ? Quand on commence à réfléchir là-dessus, on peut imaginer toutes les situations possibles… Ça m’a permis de pousser de plus en plus loin d’aspect onirique du film, et c’est jouissif parce qu’avec un sujet comme celui-là, on peut aller au plus loin de ce qu’on peut imaginer, et dans les choses les plus folles. »

Si, dans son film, les poils créent du lien entre les personnages, ils représentent également leurs difficultés à établir des rapports intimes :
« J’avais aussi envie de parler de la performance à travers ce personnage qui essaye de bander, et ça ne marche jamais. C’est un sujet qui titille parce que c’est très délicat, et il y a peu de gens qui ont envie de parler de ce genre de choses. Peut-être que pour moi, c’est plus facile parce que je suis une femme… Mais parfois, tout le foin qu’on fait autour de ça m’impressionne, alors qu’il y a tellement d’autres manières de se faire du bien. »
Et de conclure notre entretien en me confiant qu’elle « aime bien l’idée que chacun fasse à sa manière ».

En avoir, ou pas…

S’il est facile à l’Occidental(e) lambda d’être critique vis à vis des diktats selon lesquels il serait chic et hygiénique de se débarrasser de ses poils, tout ou partie, ou encore d’en promouvoir la pousse comme outil de résistance et d’émancipation, qu’en est-il des individus dont l’état de santé ou l’appartenance à une communauté culturelle ou religieuse laisse finalement peu de choix ?

Ingrid a vaincu un cancer du sein, et au cours de son traitement, elle a perdu l’entièreté de ses poils. « D’être sans aucune pilosité n’a vraiment pas été quelque chose de compliqué, mais juste quelque chose de très déboussolant, surtout au niveau pubien : un retour à l’enfance qu’on n’imagine pas parce que je m’épilais, mais certainement pas intégralement, et ça, du point de vue du toucher, ça a été quelque chose de très particulier. Je pense que j’ai, d’une certaine manière, pris conscience de l’erreur de ce qu’on pouvait penser par rapport à l’hygiène : je pense que le poil est important, je l’ai vu, je l’ai senti… »

Une prise de conscience qui s’est révélée à différents niveaux :
« Je me suis rendue compte de la futilité de toutes ces normes, qu’on ait des cheveux par choix ou non, qu’on se rase les sourcils… Pendant mon traitement, je ne maquillais pas mes sourcils, je n’ai pas porté de perruque : ma féminité n’est pas là-dedans. J’ai un sein en moins et ne compte pas du tout faire de reconstruction, par contre, j’ai fait tatouer ma première cicatrice et vais tatouer la deuxième. Pour moi, cette expérience d’être totalement imberbe m’a permis d’une certaine manière de reprendre le contrôle de mon corps puisque depuis, je continue à me faire épiler par une esthéticienne. C’est un choix que j’ai fait : à partir du moment où mes poils ont repoussé, je n’en avais plus envie. »

En fin de compte, que vous ayez du crin, du duvet ou rien du tout, qu’est-ce qu’on s’en fout ?! L’important n’est-il pas d’être bien dans sa peau et dans ses poils… ou dans ceux des autres ?

 

Le Cabinet des Curiosités dédié au Poil de la Compagnie Ah Mon Amour ! sera à la galerie Rature (13 rue Roture, 4020 Liège – au premier étage du KulturA) du 12 avril au 11 mai 2019.
Vernissage le jeudi 11 avril à 18h30.

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